La Norvège à la traîne pour fêter dignement l'année Munch
À la veille de l'année Munch, le célèbre peintre norvégien semble plus respecté dans le reste du monde - accessoirement, aussi, par les trafiquants d'art - que par ses concitoyens. L'anniversaire s'annonce d'ores et déjà assombri par l'incapacité de la municipalité d'Oslo à donner un écrin à la hauteur du joyau que le peintre lui a confié.
À sa mort en 1944, Edvard Munch avait légué à la Ville une collection gigantesque comprenant 1.100 peintures, 3000 dessins et 18.000 gravures. Pour ce trésor inestimable, les autorités n'ont construit qu'un petit musée dans un quartier déshérité après la guerre.
"Il est grand temps de disposer de quelque chose de plus moderne qui permette de mieux accueillir le public et d'exposer l'oeuvre de Munch sous d'autres perspectives, dans des contextes plus larges, aussi bien le sien que le nôtre", explique le directeur du musée, Stein Olav Henrichsen, cité par l'AFP.
Or, si tout le monde s'accorde sur la nécessité de construire quelque chose de plus somptueux pour Munch, les divergences fusent sur le futur emplacement de la collection. Après être tombée d'accord, en 2008, sur le principe d'un nouveau bâtiment tout près de l'opéra sur les rives du fjord d'Oslo, la municipalité s'est déchirée quand, trois ans plus tard, la droite populiste a soudain retiré son soutien.
Un coup d'éclat d'autant plus gênant qu'un cabinet d'architectes espagnol avait été déjà retenu avec son projet Lambda, un immeuble incliné d'allure ultramoderne.
Depuis, c'est le blocage. Aucune des possibilités envisagées ne recueille de majorité : ni le concept des Espagnols, ni un déménagement dans le bâtiment central mais vieillot aujourd'hui occupé par la Galerie nationale, ni le maintien, moyennant rénovation, dans le quartier actuel, à l'écart du centre. "De Lambda à nada", ironise-t-on à Oslo.
Si les coûts estimés sont sensiblement les mêmes pour chaque projet, soit environ 1,6 milliard de couronnes (215 millions d'euros), les différences portent sur la fréquentation attendue, le calendrier et la future morphologie d'Oslo. Un artiste bien plus populaire dans le reste du monde
Cette paralysie, qui sonne comme un désaveu de l'artiste norvégien le plus connu au monde, contraste avec son immense popularité internationale. Un million de personnes ont visité l'exposition qui lui a été récemment consacrée à Paris, Francfort et Londres. L'un des quatre exemplaires du "Cri", le seul détenu par des collectionneurs privés, a été adjugé pour la somme record de près de 120 millions de dollars cette année à New York.
Bien qu'il possède deux versions du "Cri", le musée Munch d'Oslo peine, lui, à attirer les foules avec environ 126.000 visites par an. Un chiffre dont on n'est pas sûr qu'il augmente massivement dans un bâtiment flambant neuf. "Je ne crois pas que les Norvégiens aient vraiment saisi la puissance de l'oeuvre d'Edvard Munch", confie Stein Olaf Henrichsen. "Ici, son importance tant culturelle qu'économique est sous-estimée."
Les descendants du pionnier de l'expressionnisme, eux, s'impatientent. "Honteux et scandaleux", lâche son arrière-petite-nièce, Elisabeth Munch Ellingsen. "Vu le trésor sur lequel ils sont assis, c'est une honte que les politiciens locaux n'arrivent pas à trouver une solution. Pourtant, quand ils ont décidé de postuler aux JO d'hiver, ça leur a pris cinq minutes", siffle-t-elle auprès de l'AFP.
Même s'il est représenté sur les billets de 1000 couronnes, la plus grosse coupure du pays, ce n'est pas la première fois que Munch est malmené sur sa terre natale. La Ville d'Oslo a ainsi démoli la maison qui lui avait léguée, et l'emplacement a été partiellement transformé en parking...
En Norvège, seuls les malfaiteurs semblent vraiment trouver le peintre à leur goût : deux exemplaires du "Cri" ont été dérobés en 1994 et 2004. A chaque fois, ils ont été retrouvés.
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