L'archéologie de la Grande Guerre : une nouvelle discipline exposée à Strasbourg
"Ce sont des événements relativement récents, sur lesquels on dispose d'une riche documentation. Mais il y a toujours des zones d'ombres, et c'est là que l'archéologie peut jouer un rôle", résume Yves Desfossés, un des grands spécialistes de cette discipline naissante. La plupart du temps, c'est lors de la construction d'une route ou d'un bâtiment que l'on découvre par hasard des vestiges de tranchées ou d'abris souterrains, ou des sépultures improvisées pendant les combats, et dont la trace s'était perdue depuis.
En 1991, la découverte dans la Meuse de la fosse commune où gisait l'auteur du Grand Meaulnes, Alain-Fournier, avait ainsi suscité un grand intérêt. Mais le soufflé était rapidement retombé: "Il y a 15 ou 20 ans, quand on tombait sur ce genre de restes, on avait tendance à les considérer sans grand intérêt historique, et souvent ils finissaient à la poubelle", explique l'archéologue alsacien Michaël Landolt. "Aujourd'hui, les mentalités commencent à changer", selon ce spécialiste, l'un des artisans d'une exposition sur ce thème, à voir actuellement au musée archéologique de Strasbourg.
Pipes, gamelles et chapelets
Intitulée "A l'Est, du nouveau!", cette exposition, la première en France consacrée exclusivement à cette problématique, présente notamment les très nombreux objets découverts à Carspach (Haut-Rhin) dans un abri souterrain allemand, détruit par un obus français en mars 1918, et dont la trace avait disparu pendant près d'un siècle. Retrouvé par hasard en 2011, ce site a fait l'objet d'une fouille systématique, sous la direction de M. Landolt.
Les squelettes de 21 soldats allemands y ont été exhumés. Tous ont pu être identifiés, et bénéficier d'obsèques en juillet dernier, 95 ans après leur mort. Les restes des soldats du Kaiser ont été retrouvés avec tout leur équipement militaire, mais aussi leurs pipes, journaux, gamelles, dés à jouer, bouteilles de bière, chapelets...
Une mine d'informations
Autant d'éléments qui constituent une mine d'informations sur la vie quotidienne des soldats au front, un aspect peu évoqué dans les documents, car jugé relativement secondaire par ceux qui, à l'époque, tenaient une chronique des événements.
Ainsi, les fouilles ont permis de mettre en évidence que les troupes étaient parfois mal équipées, qu'à certaines périodes les soldats devaient tuer le temps entre deux offensives en jouant ou en fabriquant des bibelots - on a ainsi retrouvé une balle qu'un combattant avait commencé à transformer en bague. Ou encore que les armées avaient mis en place un complexe système d'approvisionnement en bouteilles d'eau minérale, afin d'éviter que les soldats tombent malades en buvant de l'eau sale.
Balles ennemies comme talismans et vaisselle en porcelaine
Les combattants tentaient, dans la mesure du possible, de "civiliser la guerre (et) d'humaniser leur cadre de vie", souligne la commissaire de l'exposition strasbourgeoise, Bernadette Schnitzler. Ainsi ils s'octroyaient parfois des moments plus festifs - des coquilles d'huîtres ont été retrouvées à Carspach -, se parfumaient, décoraient leur abri de bibelots en opaline, ou amélioraient l'ordinaire avec de la vaisselle en porcelaine.
Ce qui, bien sûr, ne changeait rien à leurs conditions d'hygiène parfois déplorables: le travail minutieux des archéologues, couplé à des analyses biologiques et parasitaires sur les squelettes, a permis d'établir que les aliments ingérés par des soldats de Carspach avaient été souillés par des excréments de rats.
Une grande expostion nationale prévue fin 2014
Dans cet univers de mort quotidienne, la religiosité était prégnante, comme en témoignent les médailles pieuses ou chapelets, parfois affublés d'une balle ennemie en guise de talisman. Près d'un siècle après le conflit, quelque 650.000 corps seraient toujours enfouis dans des lieux oubliés le long des 700 km de front. "On a encore un champ d'études important devant nous", souligne M. Desfossés.
Fin 2014, une grande exposition nationale sera consacrée à ces questions. Elle sera d'abord présentée à Arras, avant de partir en "tournée" le long de la ligne de front.
"A l'Est rien de nouveau"
Musée de l'archéologie, Strasbourg
Jusqu'au 31 décembre 2014
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