"Explora-sons" : au festival d'Ambronay, musique et patrimoine ne font qu'un
Cette année le Festival d'Ambronay, entièrement repensé à cause de la crise sanitaire, s'est associé aux Journées du patrimoine pour proposer d'explorer l'abbaye à travers la musique. L'expérience a un nom, "Explora-sons".
A Ambronay, cette année, on ne viendra pas aux Journées du patrimoine que pour la belle pierre. Le groupe d'une quinzaine de personnes au départ de la place de l'Abbaye découvrira certes l'histoire de ce lieu, havre dans les siècles des moines bénédictins puis des frères mauristes. Mais il sera tout au long habité par autre chose, la musique.
Faire résonner les murs de l'abbaye
Et pour cause, direz-vous, les lieux abritent l'un des plus prestigieux festivals de musique ancienne et baroque. Oui, mais il n'y a pas que cela. Les bâtiments eux-mêmes sont chargés de musique. Pour Mathilde Oudin, chargée d'action culturelle à Ambronay, qui enfile la casquette de médiatrice lors des visites, il faut faire "résonner" les murs. "Il n'y pas que les grands moments historiques qu'on vient reparcourir ici. C'est dans la vie de tous les jours que l'abbaye existe le plus. Et on sait combien, notamment, la musique, la chanson, étaient présentes au Moyen-Age", dit-elle. "Ce bâtiment a sa fonction première dans l'occupation monastique. J'ai l'impression que les gens s'aperçoivent de cet aspect musical dès qu'on traverse le cloître, ils ralentissent le pas, et ainsi sous le passage couvert, ils captent quand ça résonne, il y a quelque chose d'agréable".
Comme à l'accoutumé, Mathilde Oudin mène son parcours en captant l'attention des visiteurs par des détails sur les lieux, leur édification par couches, et leur incroyable restauration effectuée récemment, entre 2009 et 2011 dans l'esprit 17e siècle des moines mauristes. Ses mots chantent et elle-même évoque une "musicalité" créée presque malgré elle pour garder l'intérêt du public dont on ne mesure plus la réaction sur les visages masqués. Une fois passé le porche, traversée la place de la tour, arrivés dans la salle Monteverdi, une autre musique prend, brusquement, le relais de Mathilde.
Improvisation
Sans présentation, les instruments de L'Arbre Canapas occupent l'espace : banjo, clarinette basse, batterie, tuba, violon, saxo baryton… et vocalises en liberté de l'étonnante Hélène Péronnet. Du jazz et beaucoup d'improvisation. De loin, aucun rapport avec le patrimoine de l'abbaye. "On a choisi des ensembles musicaux en lien avec le festival et impliqués dans le territoire", explique Mathilde Oudin. Et à y regarder de plus près, ajoute-t-elle, leur approche résonne singulièrement avec les formations baroques et leur usage de l'improvisation. Les spectateurs, eux n'en demandent que davantage.
Ce qui ne tardera guère après une plongée dans les guerres delphino-savoyardes des 13e et 14e siècles (Ambronay était coincé entre deux territoires rivaux) et la découverte d'une fromagerie qui sévit quelque temps au 19e siècle juste aux pieds de la tour conservée (presque) en l'état. Dans le quartier de la tour, justement, un jardin abrité accueille les visiteurs dans un esprit bucolique digne d'un film de James Ivory, au son de la flûte de Matthieu Berthaud et du violon d'Alice Julien-Laferrière, créatrice du très bel ensemble Artifices.
Au son des oiseaux
Peinture romantique, mais musique résolument baroque à la rencontre des oiseaux : pouvez-vous reconnaître le chardonneret au son de Vivaldi, la tourterelle chez Hotteterre ou le rossignol dans les notes de Couperin ? L'imitation des volatiles est un art que l'ensemble a su faire revivre avec poésie. Et l'humour n'est pas loin quand on nous joue (très sérieusement) comment s'effectuait à cette époque l'apprentissage du chant aux oiseaux.
Enfin l'Abbatiale, cœur de la vie monastique et du village. Et lieu symbolique du festival de musique, c'est à cause de son exceptionnelle acoustique que des musiciens défricheurs du baroque comme William Christie ont voulu en faire l'écrin de leurs concerts. De l'extérieur, son aspect a changé au gré des régimes et des époques. La Révolution a arasé le clocher, le 19e siècle l'a rebâti plus haut, le 20e siècle l'a réajusté à la bonne taille… A l'intérieur, il faut s'approcher, observer la pierre du 9e siècle, celle du 13e et celle du 15e, dit Mathilde, accepter ce singulier patchwork de constructions et d'agrandissements.
Sans crier gare, une polyphonie prend possession des lieux. C'est Cantoria, excellent quatuor vocal espagnol qui, littéralement, enveloppe les visiteurs amenés à s'assoir dans les fauteuils installés pour les grands concerts du festival. Cantoria a fait de la spatialisation un art, son jeu labyrinthique entre les différents lieux de l'église est enivrant. "Les gens se questionnent, d'où vient ce son, ils se tournent d'abord, puis, non, c'est devant, du côté droit, du côté gauche, avant de choisir de se laisser aller", raconte, amusée Mathilde Oudin. Comment mieux faire résonner les murs de ce patrimoine qu'avec ce répertoire de la renaissance espagnole ? C'est tout le sens des visites qu'Ambronay a pensé en cette édition si spéciale du festival.
"Explora-sons", parcours de visites ponctué de trois concerts par les ensembles Artifices, Cantoria, L'Arbre Canapas
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