"Comment on s'est glissés dans le site de l'abbaye" : Alain Goudard et ses incroyables Percussions de Treffort revisitent le patrimoine à Ambronay
Pour les Journées du patrimoine, Alain Goudard et son ensemble ont imaginé une autre visite du site d'Ambronay, dans l'Ain, à la demande du célèbre festival de musique du même nom. Rencontre avec ce génial créateur de sons.
Alice, Mathilde, Marie, les trois médiatrices d'Ambronay, face à leur groupe, devant l'Abbatiale : ce qui commence comme une classique visite du site dans le cadre des Journées du patrimoine, disjoncte très vite avec l'irruption d'une chanteuse à la voix magnétique et troublante, puis une autre, et un cliquetis de sons boisés venus de nulle part. Les guides s'en voient désorientées, leur flot de paroles s'embourbe, onomatopées, bribes de mots, syllabes en liberté, leurs gestes s'égarent. La visite de l'abbaye a bien lieu mais prend les airs d'un train fantôme en folie parmi les murs, les musiques et les sons d'Ambronay, quelque part entre Jacques Tati et John Cage. Brillant et drôle.
La performance s'appelle Architectura, signée de l'ensemble Résonance contemporaine comprenant à la fois les célèbres Percussions de Treffort et les Six Voix Solistes. Maître d'œuvre, leur créateur, le musicien Alain Goudard qui a répondu à une commande du Festival d'Ambronay de revisiter le parcours des Journées du Patrimoine à l'abbaye. Nous l'avons rencontré dans les jardins du site après l'une de ses représentations.
Franceinfo Culture : Comment est née cette visite-performance à Ambronay ?
Alain Goudard : Le Festival d'Ambronay nous a demandé de faire une visite particulière du site à l'occasion des Journées du Patrimoine. Comment inventer un regard ? On s'est mis à l'écoute… On n'est pas là pour lui imposer des choses mais pour se glisser dans ce lieu. On est venus en amont, voir comment on l'entendait. Et on a amené des toutes petites choses qui ont juste changé l'acoustique sans qu'on s'en rende compte. Des choses minimalistes, mais ça a mis en mouvement quelque chose.
Et l'idée des médiatrices ?
Je suis venu rencontrer les trois médiatrices et j'ai écouté comment elles racontaient le site. Tous les gestes qu'elles font dans la performance ne viennent que d'elles. On est partis de ça, de leur attitude, de leur manière de raconter, des gestes qu'elles faisaient quand elles étaient avec un groupe de personnes. Et après des propos, des silences, des superpositions, des encastrements, des moments où la voix chantait… Et ce qui est intéressant, c'est qu'elles ont sur chaque endroit du site les informations historiques, mais chacune les interprète à sa manière.
Il faut rappeler que les trois guides, Alice de Villablanche, Marie Rand et Mathilde Oudin, sont de vraies médiatrices et non des comédiennes…
C'était la contrainte vis-à-vis du festival : je leur ai dit, l'enjeu est qu'elles fassent partie de l'équipe. Et elles ont été d'emblée hyper-participatives, on a enlevé un peu leurs inhibitions, il y avait des peurs… Et puis petit à petit elles ont travaillé avec les chanteuses de l'équipe et j'ai construit au fur et à mesure avec elles en fonction de ce qu'elles devaient dire. Car il y a à la fois le lieu et les dire explicatifs qu'elles portaient habituellement : ça nous a servi de base aussi à ce qu'on allait pouvoir imaginer. Donc on est venus enregistrer toute une journée une cinquantaine de sons de portes différentes, de placards, des clefs, des scies, tout est partie du tissage général.
Cet aspect sonore est important, il s'inscrit pleinement dans ce que vous faites comme musicien depuis des années, notamment avec les Percussions de Treffort.
Vous avez raison, c'est important. Je suis musicien, et avec l'ensemble Les Six Voix Solistes on fait de la musique contemporaine, de l'improvisation… Certains œuvres interprétées sont très écrites, d'autres moins, il y a des choses qui nous amènent aux frontières des phonèmes, de la voix dans tous ses registres. Et puis d'autres encore qui nous rapprochent du performeur Will Menter (artiste britannique connu pour ses sculptures sonores, NDLR) qui travaille à partir des éléments de la nature, comme la pierre, les arbres… On peut aussi retrouver des pensées de John Cage à un moment… Il y a toutes ces influences, ces manières d'aborder la musique, et pour nous ça fait sens.
Question référence, on peut voir également du Claude Régy dans la décomposition de la parole…
Oui, tout à fait. C'est un travail qui a affaire à la voix et même à l'essence de la voix. Prenons les médiatrices par exemple : elles avaient leur manière de dire et leur savoir-faire et on est partis de là pour construire des superpositions, des fragmentations, des répétitions, des imitations…
Et il y a une autre constante dans votre travail, que l'on retrouve ici également : l'intervention d'artistes handicapés mentaux
Oui, la création peut être un endroit où tout un chacun, quel qu'il soit, quelles que soient ses compétences, peut rencontrer l'autre. Un endroit où, si on l'aborde d'une certaine manière, on va revisiter les places, les rôles, les compétences et tout ça peut former un commun extrêmement important.
Si on l'envisage de cette manière-là, on ne va plus du tout voir un handicapé par son handicap, mais en tant qu'individu. Comment un endroit comme celui-ci peut faire qu'une intelligence se révèle à elle-même et en rencontre d'autres et à partir de là va pouvoir se construire. Alors, on est partis d'un atelier musical, un soir de semaine, pour aujourd'hui devenir un ensemble professionnel qui travaille avec des musiciens comme Louis Sclavis, les Percussions de Strasbourg, des tas de compositeurs…
C'est le sens aussi de ce travail aujourd'hui ?
Oui, ça correspond à cet esprit de recherche global de Résonance contemporaine. Comment la création peut être reliée à la vie, comment elle s'ancre dans notre quotidien. Et, d'un point de vue un peu philosophique, comment elle peut être un endroit où se pose la question de l'être aujourd'hui, ensemble.
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