Rénovation des jardins de Notre-Dame de Paris : la colère monte aux abords de la cathédrale
Ce sont seulement quelques centaines de mètres carrés, mais situés au centre de Paris et à l'arrière de Notre-Dame. De la verdure et du patrimoine. Deux jardins dont la transformation provoque une violente polémique. En avril dernier, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la Mairie de Paris, présente le projet de réaménagement de la pointe de l’île de la Cité comme une nécessité. "Le site n’existe plus. Il a été détruit par l’incendie et par l’implantation de la base de chantier. Nous allons devoir le recréer", déclare-t-il dans le Journal du dimanche. Les partisans d’une restauration à l’identique s’insurgent et l'accusent de mentir. La colère monte aux abords de Notre-Dame. Deux visions s'opposent : ceux qui veulent repenser l'espace pour plus de commodités et ceux qui préfèrent préserver cette esthétique typiquement parisienne. Explications.
Tout part d’un concours lancé par la Ville de Paris pour réaménager en 2025 les abords de la cathédrale la plus célèbre de France. Le paysagiste Bas Smets, lauréat, propose de fusionner le square Jean XXIII (dit jardin de l’Archevêché) au pied du monument avec le square de l’Île-de-France qui accueille le Mémorial des martyrs de la déportation à la pointe de l'île. L'idée est d'augmenter la végétalisation afin de créer une grande clairière propice aux pique-niques et autres agréments.
Certains habitués des lieux s'opposent au projet et lancent alors une pétition rassemblant plus de 50 000 signataires. "Ils vont arracher les haies du square de l’Île-de-France sans respecter le projet initial de l'architecte, bétonner une partie de la pelouse pour construire un belvédère, changer le dessin des parterres fleuris ", liste Baptiste Gianeselli, ancien électeur d'Anne Hidalgo et auteur de la pétition. Il ajoute : "Ces deux squares ont leur identité propre. Celui de l’Archevêché est l’un des plus beaux de Paris. S’ils suppriment les grilles comme ils souhaitent le faire, cela va dénaturer l’esprit du lieu. Les Parisiens attendent de la Mairie qu’elle valorise le patrimoine actuel, pas qu'elle le détruise".
Déroulez le curseur pour voir à gauche le projet du square Jean XXIII et à droite son état antérieur.
Mais, pour Emmanuel Grégoire, il y a un vrai intérêt à ouvrir cet espace peu fréquenté des Parisiens. "Le projet vise notamment à réorganiser le square de l’Île-de-France pour donner plus de visibilité au Mémorial des martyrs de la déportation, explique le premier adjoint. Et à ma connaissance, ce projet suscite justement l’enthousiasme du Mémorial." Il tient aussi à rassurer certains opposants en expliquant que le mobilier ancien - typiquement parisien - sera préservé. "Certains visuels pour le concours n'ont pas reconstitué, sur les images de synthèse, l'intégralité des bancs. Mais le mobilier historique est protégé. Nous allons donc le reconstituer".
Une clôture qui divise
Début mai, la Commission nationale du patrimoine et de l'architecture [CNPA] valide les grandes lignes du projet. Mais le ministère de la Culture (partie prenante dans cette commission) nuance : "La CNPA a émis un certain nombre de conditions dont l’une est le maintien des grilles du square Jean XXIII. […] Elle a considéré que ces grilles avaient une valeur patrimoniale puisqu’elles ont été installées quelques années après la destruction du palais de l'Archevêché, dévasté en 1830 et 1831." Le débat sur les grilles porte aussi sur des questions d’usage : faut-il ou non marcher sur les pelouses ? Y pique-niquer ? Profiter des jardins à toute heure malgré de possibles incivilités ? "Ces questions d’usage ne sont pas sans lien avec la protection du patrimoine, ajoute le ministère. En protégeant les plantations, on préserve l’environnement immédiat de la cathédrale".
L'avis positif de la commission n'est donc qu'une victoire en demi-teinte pour la municipalité qui est invitée à revoir ses plans. "La question des clôtures est une divergence de fond, admet Emmanuel Grégoire. Je dirai même philosophique. Nous avons bien conscience que ce n’est pas facile d’avoir des jardins ouverts, mais nous avons estimé que c’était de l’ordre du possible. Et pour nous, il y aurait une vraie cohérence patrimoniale. Mais encore une fois, il va falloir être convaincant sinon, les architectes des Bâtiments de France nous imposeront les grilles". De son côté, le ministère de la Culture rappelle : "L’avis de la CNPA est consultatif, mais il est habituellement suivi". Ne pas écouter la commission nationale serait donc une prise de risque.
Des débats qui durent
D’autant que les opposants au projet scrutent les moindres détails de chaque document en leur possession. Dans La Tribune de l’art , le journaliste Didier Rykner rappelle, archives à l’appui, que des débats sur les grilles existaient déjà au moment de la création du square. En 1836, le Conseil de la Ville acceptait la cession du terrain à condition qu'il y ait "une grille qui serait ouverte et fermée à certaines heures" tout en s'assurant que le futur square ne soit "employé à aucun service public ou particulier."
Or, loin d’apaiser les tensions, un document produit par Bas Smets et validé par la Ville déclare page 68 : "Le square Jean XXIII [est] le lieu idéal pour installer des marchés, ou des jeux temporaires." Pour les défenseurs des jardins historiques, voilà le signe que la Ville entend dénaturer cet espace, au mépris des règles antérieures : "Emmanuel Grégoire nous accuse de mentir sans arrêt, explique Didier Rykner. Mais nous ne travaillons qu'à partir des documents qu'il fournît. Bien que nous attendions encore de voir le cahier des charges qu'il évoque tant."
Si le dialogue semble rompu entre la Ville et les opposants, Emmanuel Grégoire avoue que cette idée de faire des marchés dans le square est "une absurdité passée en dehors des radars." Il affirme :"Cette suggestion n'est pas validée et ne verra jamais le jour".
Le premier adjoint rappelle qu'il s’agit pour l’heure d’un avant-projet sommaire. "Le seul document qui fera foi sera le permis de construire", insiste-t-il avant de poursuivre : "Les associations seront reçues. Nous répondrons très précisément aux questions qui sont soulevées par la pétition : les garanties sur les arbres, sur les circulations pour ne pas abîmer les systèmes racinaires... Mais, je ne les recevrai que lorsque je serai capable de répondre à toutes les questions, probablement en septembre ou en octobre." De son côté, sans garantie claire de la part de la Mairie, Baptiste Gianeselli souhaite faire entendre la voix des 50 000 signataires auprès de l'État.
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