Un documentaire renfloue le vapeur "France", mystérieux naufragé du lac d'Annecy
Sa silhouette, alourdie de deux roues à aubes propulsées par une machine à vapeur, ornait les cartes postales anneciennes du siècle dernier. Le "France", version marine d'eau douce, a vaillamment travaillé de 1909 à 1962 au transport des paysannes qui se rendaient au marché ou de touristes berçés au clairs de lune romantique du lac. L'épave du bateau fétiche repose depuis 1971 par 40 mètres de fond et continue d'attirer la curiosité des plongeurs du dimanche.
Avec des documents filmés inédits, des témoignages rares et la grâce d'un vice-champion du monde d'apnée, le réalisateur Stéphane Santini met la dernière main à un documentaire qui retrace la longue traversée du siècle du dernier bateau à vapeur français.
Reportage France 3 Alpes : A. Combes / C. Mathieu / J.-J. Picca
Une épave intacte
L'eau douce a protégé l'épave des outrages du temps, comme les bandelettes préservent la momie. A peine ici et là, les bulles des bouteilles des plongeurs ont elles piqué de rouille les bastingages de la passerelle. Au fond, le "France" continue un peu d'appartenir au paysage du lac d'Annecy. En surface, pendant 60 ans, il fût l'emblème du plan d'eau haut-savoyard, ses roues à aubes le propulsant à travers les époques. En retraçant sa croisière presque séculaire, le réalisateur Stéphane Santini sait que son récit racontera l'histoire de toute une région.Des paysannes aux miliciens vichystes
Quand il est lancé, en 1909, le vapeur "France" éblouit Annecy : 47 mètres, deux ponts, une machine vapeur développant 350 chevaux, le navire file ses 14 noeuds sur les eaux plates du lac. Surtout, avec ses 500 places, il relie les rives comme un TER innerve une région. Le mardi, les paysannes embarquent pour le grand marché d'Annecy avec leurs légumes, victuailles et poules pondeuses. Le dimanche, les familles y jouent à l'aventure nautique. A la Belle Epoque, s'invente le tourisme et les bourgeois parisiens s'offrent à peu de frais l'illusion de croisières luxueuses au large rassurant des grands hôtels. Pendant l'occupation, la milice vichyste, en manque de geôles, y détient et y interroge une centaine de raflés, suspects de résistance.Après la guerre, le "France" reprend du service, mais le coeur n'y est plus. Les voitures ont plus vite fait le tour du lac et la machine à vapeur, qui dévore sa tonne de charbon quotidienne, s'essouffle dans une course perdue d'avance à la modernité. On parle de démanteler le navire... Levée de bouclier des riverains qui n'imaginent pas leur lac sans les halètements de son vieux vapeur. En 1962, un Monsieur Bruel, propriétaire des bateaux-mouches parisiens, consent à racheter le dernier vapeur français mais le transforme en hôtel-restaurant flottant après l'avoir mené une dernière fois autour du lac en 1965.
Un naufrage non élucidé
Le 13 mars 1971, le jour se léve sur le lac et les plus matinaux des Anneciens se demandent ce qu'il manque au panorama. Le "France" n'a pas levé l'ancre dans la nuit, mais il a tristement sombré sur son corps mort, en baie d'Albigny, à quelques encâblures de l'Imperial Palace, l'hôtel également vestige de la Belle Epoque.Les rumeurs, telles le "France" au meilleur de sa forme, font à toute vapeur le tour du lac : sabordage volontaire sur fond d'escroquerie, ballets bleus ou roses dont on a voulu dissimuler les traces, attentat... Plus prosaiquement, il semble que le gel ait eu raison de la vieille coque mal entretenue. La glace accumulée à fond d'une cale disjointe au long d'un hiver rigoureux a probablemnt précipité le vapeur à aubes aux abymes. Mais la preuve n'en a jamais été établie, donc les rumeurs sillonent toujours le lac.
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