Musée-mémorial du terrorisme : on vous explique la polémique suscitée par l'abandon du projet
De la "stupéfaction", un "manque de reconnaissance" et la sensation "d'un grand gâchis". Danièle Klein, fondatrice et membre du bureau de l'Association française des victimes du terrorisme (AFVT), a livré son ressenti, mardi 10 décembre, lorsqu'elle a appris l'abandon du projet de Musée-mémorial du terrorisme (MMT). Le président de la République avait pourtant annoncé sa création en grande pompe, le 19 septembre 2018, lors de la commémoration universelle pour les victimes d'attentats. Estimé à 95 millions d'euros répartis sur huit ans, le MMT devait ouvrir ses portes en 2027 à Suresnes (Hauts-de-Seine).
"Le gouvernement a décidé l'arrêt du projet de musée pour des 'raisons budgétaires', sans nous consulter, sans même s'informer du contenu et du travail accomplis depuis cinq ans", avait dénoncé dès lundi après-midi l'historien Henry Rousso, dans une interview au Figaro. Président de la mission de préfiguration de ce musée depuis 2019, au côté de l'ancienne déléguée interministérielle Elisabeth Pelsez, qui occupe la fonction de directrice, il nous confirme avoir été "convoqué" à Matignon le 6 décembre. "On nous a informés que le site de Suresnes où devait s'implanter le Musée-mémorial était abandonné", rapporte-t-il. Contactés par franceinfo jeudi, les conseillers culture et justice de Michel Barnier, Premier ministre démissionnaire, n'ont pas donné suite.
"Un arbitrage du gouvernement Barnier
Pourquoi abandonner un projet de cette envergure ? "Les coupes budgétaires, c'est la seule raison avancée", expose Henry Rousso, qui ne "croit pas" à cet argument. "Il y a une volonté politique d'arrêter ce projet", dénonce l'historien, qui espère désormais "que le dossier change d'échelle", afin que le président de la République reprenne la main.
L'abandon du projet "est une décision prise par l'ancien gouvernement [de Michel Barnier] et qui sera remise en question par le prochain", a déclaré jeudi à franceinfo l'entourage du chef de l'Etat, qui réagissait pour la première fois à cette polémique. Car c'est Emmanuel Macron qui porte le projet de ce lieu d'hommage à toutes les victimes du terrorisme en France et à l'étranger, mené en partenariat avec d'autres musées et mémoriaux dédiés, dont ceux du 11-Septembre à New York et de la tuerie d'Utoya en Norvège.
De fait, les associations étaient partie prenante du projet et régulièrement sollicitées pour y contribuer. "Certains d'entre nous ont donné de leur temps pour ce projet alors qu'on est bénévoles", confirme Danièle Klein, qui dit être "tombée de l'armoire" quand Henry Rousso l'en a avisée. "On a demandé aux conseillers de Matignon s'ils avaient informé les associations de cette décision, ils ont dit non. Alors on l'a fait, on a compris qu'on devait les appeler", précise l'historien.
"C'est l'expression d'un mépris total"
"Avec ce Musée-mémorial, on pouvait exprimer et expliquer d'une manière forte ce qu'on est. L'abandonner est une façon de ne pas reconnaître les victimes, déplore Danièle Klein. C'est vraiment nous dire : 'Cela n'a pas d'importance ce que vous faites'." A quelques jours du verdict du procès de l'assassinat de Samuel Paty et à moins d'un mois des dix ans des attentats de janvier 2015, elle trouve que le moment est particulièrement mal choisi. "Cela nous a beaucoup blessés, vraiment", souffle cette femme qui a perdu son frère dans un attentat à la bombe en 1989 et souligne l'hypersensibilité des victimes de terrorisme.
"C'est l'expression d'un mépris total, tant pour les victimes que pour tous les acteurs du projet qui travaillent dessus depuis cinq ans", dénonce de son côté auprès de l'AFP Philippe Duperron, président de l'association 13onze15, regroupant les victimes des attentats du 13 novembre 2015. L'Association victimes attentats (AVA) fait part de son "indignation face à la décision du gouvernement" d'abandonner ce "projet unique au monde", un "lieu de mémoire", mais également "un puissant outil d'éducation, de résilience et de sensibilisation pour les générations actuelles et futures".
L'AVA appelle à une mobilisation, alors qu'une pétition a été lancée pour "maintenir ce projet essentiel". François Molins, procureur de Paris de 2011 à 2018, pendant la vague d'attentats, a quant à lui estimé sur le réseau social X que cet "abandon" était "incompréhensible" et qu'il constituait "un manque de respect flagrant pour l'ensemble des victimes du terrorisme et leurs proches".
"On voudrait que le projet se fasse là où il est prévu"
Le site choisi pour le MMT, une ancienne école en plein air construite en 1934 sur le Mont-Valérien, avait suscité "l'adhésion" des associations, d'après l'AFP, qui précise que plus de 2 000 objets ont déjà été rassemblés pour constituer les collections du musée, notamment les vêtements portés par des enfants victimes à Nice ou par des otages. Lors du rendez-vous à Matignon, d'après Henry Rousso, le gouvernement a suggéré que "le mémorial pourrait être articulé avec le Jardin de la mémoire que la mairie de Paris a conçu avec les associations de victimes Life for Paris et 13onze15 et qui est consacré aux victimes des attentats du 13 novembre 2015".
Une alternative qui ne convainc pas. "On voudrait que le projet se fasse là où il est prévu. Il a été construit autour de ce lieu spécifique, ce bâtiment historique inoccupé que l'Etat doit, de toute façon, restaurer, estime Henry Rousso. Ce serait sage de revenir sur cette mauvaise décision." "Que l'on puisse confondre ce projet avec le jardin mémoriel (...), c'est vraiment n'avoir strictement rien compris", s'insurge auprès de l'AFP Philippe Duperron, père d'une victime au Bataclan. "On espère que ça va s'arranger avec un nouveau gouvernement", tempère Danièle Klein, qui garde "la porte grande ouverte" pour discuter du projet.
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