"Ils ont tué Oppenheimer" : un thriller haletant sur le père de la bombe atomique condamné pour déloyauté
Pour son quatrième roman, Virginie Ollagnier signe chez Anne Carrière une fresque captivante sur le destin tragique de Robert Oppenheimer. Un récit dense et documenté sur l'extraordinaire pouvoir de fascination du physicien et son idéal humaniste qui précipitera sa chute, victime de la Guerre Froide et du maccarthysme.
Est-ce son regard hypnotique coiffé du fameux chapeau Pork Pie qu'il ne quittait jamais ? Est-ce son histoire singulière digne des meilleurs thrillers américains qui raconte à la fois la soif de pouvoir, la manipulation des masses par la peur et la mort lente des idées de gauche aux Etats-Unis ? Est-ce encore la complexité de l'homme qui a dirigé le projet Manhattan et fait de lui le "père de la bombe atomique" ? C'est un peu de tout cela, sans doute, qui a séduit Virginie Ollagnier pour qu'elle partage avec Robert Oppenheimer presque six années de sa vie.
La mort de la gauche aux Etats-Unis
La rencontre entre l'écrivaine lyonnaise et le physicien américain date des années collèges quand Virginie Ollagnier, alors adolescente, découvre dans sa classe de physique-chimie le portrait d'Oppenheimer entouré d'autres scientifiques. Elle est frappée par son "regard doux, qui trahissait quelque chose de fragile, quand tous les autres autour avaient l’air si sûrs d’eux", raconte-t-elle dans une interview accordée au Monde des livres.
Ce n'est que beaucoup plus tard, en 2016, que Virgnie Ollagnier élabore l'idée d'un roman. A cette époque, confie-t-elle, elle est plongée dans l'une des biographies du physicien signée de l'historien Michel Rival quand sa fille l'interpelle sur les élections américaines. "Nous écoutions les débats" qui voyaient s'affronter les partisans d'Hillary Clinton aux soutiens de Donald Trump, "quand ma fille m'a interpellée : mais au fait maman il n'y a plus de gauche aux Etats-Unis. Je me suis dit que Robert Oppenheimer incarnait parfaitement la mort de la gauche aux Etats-Unis", raconte-t-elle. La mort de la contradiction, au nom de la lutte contre le communisme, de la défense des libertés et de la suprématie de l'American way of life.
Six ans pour dessiner les contours de son personnage
Six ans, c'est le temps qu'il aura fallu à Virginie Ollagnier pour enquêter sur cet homme flou. A la fois brillant et arrogant, incroyablement charismatique et incapable de se défendre lorsque, fatigué de lutter contre le sens de l'Histoire, il sera poursuivi pour déloyauté. Un humaniste qui après avoir dirigé un projet scientifique aussi fantastique qu'abominable, luttera pour la paix et contre la course à l'armement.
Pour dessiner les contours de son personnage, elle a d'abord lu les récits de ceux qui ont marqué l'Histoire à ses côtés - le général Groves, Teller, Strauss -, épluché les documents déclassifiés du FBI, de la CIA et du KGB et consacré des journées entières à écouter les témoignages des vétérans du projet Manhattan. Un travail de documentation colossal.
J'ai écouté des centaines d'heures d'interview des anciens de Los Alamos qui ont travaillé aux côtés d'Oppenheimer sur la fabrication de la bombe. Tous étaient là pour lutter contre le nazisme et la bombe d'Hitler. C'était un moment de recherche hyper excitant, découvrir le coeur de la matière, l'origine de l'énergie.
Virginie Ollagnier"Ils ont tué Oppenheimer"
Comme un puzzle
Ils ont tué Oppenheimer s'intéresse au processus qui a conduit le physicien à la chute. Le roman navigue entre le début des années 40 et l'installation du centre de recherche sur la bombe atomique à Los Alamos, au Nouveau Mexique, et l'après-guerre, lorsque militaires, scientifiques et politiques organisent la mise au ban du physicien pourtant adulé quelques années plus tôt par tout un peuple. Un mystérieux narrateur au soir de sa vie, autrefois avocat de la Commission à l'énergie atomique, fait le lien avec l'époque contemporaine.
Le livre se lit comme un puzzle, dont on ne voit pas immédiatement les liens entre les différentes pièces. A la manière d'un thriller, les personnages s'épaississent peu à peu pour construire le tableau final, un scénario élaboré patiemment par les tenants du patriotisme et de la supériorité des Etats-Unis sur le reste du monde. Sous la plume poétique et précise de Virginie Ollagnier, Robert Oppenheimer endosse le costume du héros romanesque, personnage magnétique sur qui peu à peu le piège se referme.
Percer le mystère du "Doctor Atomic"
Au fil des pages, Virginie Ollagnier transporte le lecteur sous le charme du physicien, amoureux des femmes, chéri des enfants de Los Alamos et vénéré de ses amis. Mais ne rêvons pas, jamais elle ne perce le mystère de ce "Doctor Atomic". De son propre aveu, "il y a une part d'énigme dans ce personnage" qu'elle n'a pas résolu. L'auteure ne compte pas en rester là. Celle qui est aussi scénariste de bande dessinée - Nellie Bly, dans l'antre de la folie, éditions Glénat - prépare une BD sur le procès d'Oppenheimer. Après six ans de vie commune, sa fascination pour le personnage est restée intacte.
Extrait :
"Il n'existe aucune photographie réunissant ceux qui allèrent jusqu'au bout, ceux qui témoignèrent contre Robert, ceux dont l'engagement demeura sans faille et qui d'une manière ou d'une autre payèrent le prix du déshonneur commandé par le monde nouveau, le monde dans lequel nous vivons depuis lors, un monde nettoyé des contestateurs, purgé des oppposants, soulagé des contradicteurs. Un monde binaire dénué de nuance. A présent chaque nation, chaque territoie doit prendre une décision. Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes", psalmodie le président Bush."
(Ils ont tué Oppenheimer, page 107)
"Ils ont tué Oppenheimer", paru aux Editions Anne Carrière le 7 janvier 2022, 345 pages
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