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Guerre en Ukraine : des scans en 3D pour garder la mémoire des édifices endommagés

Des centaines de bâtiments d'intérêt historique ont déjà été atteints par les bombes en Ukraine, selon le ministère de la Culture. Leur mémoire est "enregistrée" grâce aux dernières technologies

Article rédigé par franceinfo Culture avec AFP
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
L'ingénieur français Emmanuel Durand scanne la caserne de pompiers de Kharkiv (Ukraine), endommangée par les bombes, pour en garder la mémoire. (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Obus et missiles pleuvent sur les villes ukrainiennes depuis le début de la guerre, prenant de nombreuses vies et endommageant également des immeubles historiques. Les services culturels cherchent à conserver leur mémoire avec de la technologie de pointe et des scans en 3D.

L'ingénieur français Emmanuel Durand, spécialiste de l'acquisition de données en 3D, franchit un enchevêtrement de poutres, marche sur d'innombrables gravats pour aller planter son scanner-laser, une sorte de trépied avec une tête pivotante, à un coin stratégique de la caserne de pompiers de Kharkiv. Celle-ci a été très endommagée par les frappes russes.

Construit en 1887, l'édifice en briques rouges avec sa tour de surveillance est emblématique de la révolution industrielle dans la ville à la fin du 19e siècle.

Opération d'enregistrement au laser de la caserne de pompiers de Kharkiv pour en garder la mémoire et pour documenter les destructions de la guerre (26 mai 2022) (DIMITAR DILKOFF / AFP)

Les bâtiments enregistrés sous toutes les coutures

Avec son appareil, Emmanuel Durand "enregistre" le bâtiment sous toutes ses coutures. "Le scanner prend 500.000 points à la seconde. Sur cette station, on va avoir 10 millions de points. Ensuite, on va changer de station et faire tout le tour du bâtiment, extérieur comme intérieur. Un milliard de points...", explique-t-il.

Le soir, Emmanuel Durand rassemble sur un ordinateur toutes les données, "comme des pièces de puzzle", pour reconstruire virtuellement le bâtiment. Le résultat fini est une reproduction parfaite à 5 millimètres, qu'on peut ensuite tourner dans tous les sens, ou couper en tranches. On peut aussi voir les cratères des explosions dont le souffle a ébranlé la structure.

"Ça permet de fixer dans l'histoire la situation physique du bâtiment. Ça peut servir pour voir ce qui a bougé pour la sécurité. Pour aider à voir ce qu'on peut restaurer ou non, mais aussi pour des aspects muséographiques" ou historiques, poursuit-il. "On a la vraie scène du dommage provoqué par le missile et une réplique exacte de ce qu'était le bâtiment."

Bénévole, Emmanuel Durand se déplace avec son scanner accompagné d'architectes, d'ingénieurs, de spécialistes de bâtiments historiques et d'un directeur de musée. Il se rend à Kiev, Lviv, Tcherniguiv, et Kharkiv.

350 édifices historiques endommagés dans le pays

Rien qu'à Kharkiv, quelque 500 bâtiments sont répertoriés comme ayant un intérêt historique, la plupart dans le centre-ville sous le feu russe, explique l'architecte Kateryna Kouplytska, membre de la commission chargée de recenser les sites historiques endommagés. Une centaine d'entre eux ont été touchés à Kharkiv alors que plus de 350 édifices historiques ont été endommagés ou détruits dans le pays depuis le début de la guerre, selon le ministère de la Culture.

Si l'étau russe autour de la deuxième ville du pays s'est desserré, des obus tombent encore régulièrement.

Nouvelles déflagrations et le souffle qu'elles provoquent, intempéries, travaux, visites... "Ces bâtiments fragilisés peuvent se dégrader encore plus rapidement. Et il faut enregistrer les détails de manière précise pour pouvoir les stabiliser" et conserver leur mémoire de manière exacte, explique-t-elle.

"L'enregistrement des dommages servira aussi pour des procès criminels. A travers tout le pays, on voit de sérieux dommages à notre patrimoine. C'est un génocide du peuple ukrainien et un génocide de la culture ukrainienne", lance-elle, évoquant des "crimes de guerre".

Des collections envoyées dans l'ouest de l'Ukraine

Après deux jours à la caserne, l'équipe d'Emmanuel Durand passe à la faculté d'économie de l'Université nationale Karazine de Kharkiv, située juste à côté de l'imposant siège des services de sécurité ukrainiens (SBU), cible des forces de Moscou, qui a été atteint par de nombreux projectiles.

La faculté, ancien bâtiment de l'époque tsariste puis soviétique, est l'un des premiers bâtiments en béton armé du pays. Il est signé par l'architecte Serguiï Timochenko, figure du style "ukrainien moderne" au début du 20e.

Ce travail d'enregistrement n'est-il pas futile alors que la guerre se poursuit et que des gens meurent tous les jours ? "La culture c'est la base de tout. Si la culture s'était répandue comme il le fallait, il est probable que les gens ne seraient pas en train de mourir et qu'il n'y aurait pas eu de guerre", répond Tetyana Pylyptchouk, membre de la commission mais aussi directrice du musée littéraire de Kharkiv.

Elle a fait envoyer la plus grande partie de ses collections dans l'ouest de l'Ukraine pour éviter qu'elles soient endommagées par la guerre mais aussi pour éviter le vandalisme russe en cas de chute éventuelle de Kharkiv.

"Aujourd'hui les gens réalisent l'importance du patrimoine culturel alors qu'on n'y faisait pas attention" avant la guerre, dit-elle.

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