A Paris, le musée Dapper fait son carnaval
Un visage couvert de blanc, "The devil is white", on entre dans le carnaval avec les images du photographe Zac Ové. Grands formats colorés, présentés dans la pénombre. Le son d'une cérémonie d'ouverture du carnaval en Guadeloupe par le groupe "Voukoum", en vidéo, accompagne ces images. On est dans l'ambiance.
Le carnaval est une tradition très ancienne, qui trouve ses sources dans l'Antiquité, avec les "Saturnales" à Rome ou les "Dionysiades" en Grèce. Ces fêtes archaïques étaient liées au cycle des saisons et à l'agriculture. Elles célébraient le renouveau du monde, dans un moment de rupture avec le quotidien, moment de faste et de transgression. On retrouve cette tradition avec le christianisme. Carnaval, du latin carne "chair" levare "ôter". Le carnaval dure traditionnellement de l'Epiphanie (6 janvier) jusqu'à mardi gras, qui marque le début du carême.
Cette fête opère une rupture. Rupture esthétique, à travers les déguisements, le travestissement, les masques et la musique, mais aussi rupture sociale. On change les règles : l'identité sexuelle et les rapports de pouvoir sont inversés, l'irrévérence prônée.
On retrouve dans les archives et les représentations picturales des traces de cette fête dès le XIIIè siècle en Europe et au XVIIIème dans les "Amériques", et notamment dans les Caraïbes. La tradition a en effet traversé les océans, importée puis partagée par les maîtres avec leurs esclaves. Tradition qui sert de soupape de sécurité dans un monde colonial rigide et fortement contraint.
Carnaval, culture du métissage
Le visiteur découvre d'abord les masques africains et les costumes et leurs fonctions dans les différentes sociétés africaines, du Congo, au Cameroun, en passant par le Sénégal, le Nigéria, la Guinée-Bissau.
Puis on monte à l'étage, où sont exposés les objets des carnavals des Caraïbes. 15 millions d'Africains ont été arrachés à leur terre entre le XVe et le XIXe siècle, emportant au fond d'eux leur culture et leur identité. Identité qui resurgie dans les carnavals de Guadeloupe, de Martinique ou de Guyane. Il y a des similitudes dans la musique, la gestuelle, les masques et les costumes.
Les influences européennes y sont également très présentes et on y retrouve des références à l'esclavage,"Nèg gwo siwo", par exemple, où le torse est enduit de suie et de mélasse.
Masques africains de bois, fibres, plumes d'un côté, "mas" antillais, faits de matériaux de récupération de l'autre. Rites d'initiation pour les jeunes hommes, intronisation des rois ou des chefs, célébration des récoltes ou commémoration des défunts en Afrique, célébration du renouveau, rappel aux ancêtres, dans les carnavals des Caraïbes.
Où se rejoignent-ils, comment entrent-ils en résonance? L'exposition cherche les correspondances, les ponts entre ces deux mondes, ne cherche pas à faire une démonstration théorique mais seulement à relever les cousinages.
"Maryann lapo fig", réalisé de des feuilles de bananiers séchés, fait écho aux masques du Burkina fasso, fabriqués de végétaux fraîchement coupés. Les rituels de purification, accomplis au début de la cérémonie d'ouverture du carnaval en Guadeloupe, avec les offrandes aux morts rappelle les coutumes africaines au moment des fêtes des ancêtres. On retrouve des éléments communs dans les masques, comme les cornes par exemple.
Aimé Césaire reconnait les "mas" antillais en Afrique
Un jour qu'il se trouve en Casamance, invité par son ami le président Léopold Sédar Senghor, le grand poète martiniquais Aimé Césaire a une révélation.
"Je reste saisi", dit-il et il s'exclame : "Mais comment, ce masque vous l'avez aussi?". Il s'agit de ce que l'on appelle en Martinique le "Diable du Mardi Gras", masque avec des cornes de bovidé, un grand manteau rouge constellé de petits miroirs juxtaposés et une queue de bœuf. Il fait peur à la foule pendant le carnaval. Ce qu’il voit, c’est le masque "ejumba", porté lors du "Bukut", une cérémonie d’initiation.
Son intuition est confirmée sur l’importance de la culture africaine pour la Martinique : "Le carnaval éclaire une partie de notre histoire. Et quand on sait bien le lire, une partie de nous-mêmes"
Dans le carnaval comme dans les mascarades, c'est un "moment social", qui est montré, partagé, avec une fonction de cohésion pour le groupe. Aux Antilles, c'est le moment où l'on remet à plat les problèmes rencontrés dans l'année, incarnés dans le "Vaval", bonhomme de Carnaval, qui sera brûlé à la fin des festivités. L'artiste Martiniquais Hervé Beuze en a créé un spécialement pour le musée.
Très pédagogique, l'exposition montre aussi à quel point ces rituels stimulent la créativité : masques et costumes magnifiques, fabriqués en bois, fibres, éléments végétaux et animaux et aussi constitués de matériaux de récup en tout genre pour les masques et costumes des carnavals des caraïbes.
Transcrire ces traditions vivantes sans les figer et montrer l'éphémère : l'exposition Carnaval et Mascarades réussit ce pari difficile et devrait, avec ses différents niveaux de lecture, plaire autant aux enfants qu'aux adultes, novices ou spécialistes. Le musée propose aussi de voir des documentaires et des films, comme "Orfeu Negro" de Marcel Camus, tourné au Brésil, palme d'or à Cannes en 1959.
Le musée propose des ateliers pour les plus jeunes.
Une excellente idée de sortie en famille pour les vacances d'hiver !
Mascarades et carnavals au Musée Dapper
Jusqu'au 15 juillet 2012
Musée Dapper, 35 bis rue Paul Valéry Paris 16
De 11 h à 19 h
Fermé le mardi (sauf le 21 février, ouverture exceptionnelle pour mardi gras) et le jeudi
Le catalogue
Pour aller plus loin, le catalogue de l'exposition, riche en iconographies, explore les caractéristiques essentielles des arts du masque et des arts carnavalesques avec leurs enjeux, symbolique religieux, sociétal, politique... et artistique. Cet ouvrage rédigé par des sociologues et des anthropologues, coordonné par la comissaire de l'exposition, Christiane Falgayrettes-Leveau permet à un vaste lectorat de découvrir des richesses qui méritent d'être mieux connues.
Mascarade et Carnavals
Editions du Musée Dapper, 33 euros
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