Aretha Franklin intense et bouleversante dans le documentaire inédit "Amazing Grace"
Resté inédit pendant 46 ans pour des raisons techniques longtemps insolubles, ce documentaire filmé en 1972 par le réalisateur Sydney Pollack montre Aretha Franklin à 29 ans, au sommet de son art. Attention, ce film n'est en salles que quelques jours, du 6 au 10 juin 2019.
Déjà sacrée reine de la soul après avoir accroché plus d'une dizaine de hits en haut des charts, Aretha Franklin prépare en janvier 1972 l'enregistrement d'un album Live. Cette fille de pasteur souhaite y renouer avec les chants gospels de son enfance.
Pour ce faire, la chanteuse âgée de 29 ans décide de s'inviter dans une église, la New Temple Missionary Baptist Church de Watts à Los Angeles. Dans ce quartier à majorité noire encore meurtri par les émeutes de 1965, la porte-parole de l'Amérique noire va chanter deux jours de suite, les 13 et 14 janvier 1972, entourée d'un chœur et devant un public de fidèles. Un enregistrement audio en vue de l'album est réalisé. Il deviendra le double album mythique Amazing Grace d'Aretha Franklin, et accessoirement l'album de gospel le plus populaire de tous les temps.
L'erreur de Sydney Pollack
En parallèle, Warner dépêche sur place une équipe de tournage dirigée par Sydney Pollack pour immortaliser la chanteuse en plein travail. Or, le cinéaste qui vient d'être nominé aux Oscars pour son film On achève bien les chevaux, est inexpérimenté dans la réalisation de documentaires. Dès le départ, il commet une erreur fatale, irréparable : il omet les claps de début et de fin de chaque séquence. Dès lors, le son ne peut être synchronisé avec les images, même avec la meilleure volonté du monde, et l'exploitation du documentaire est abandonnée.
Il faudra la ténacité du producteur passionné Alan Elliott et une prouesse technologique à l'heure du numérique pour y parvenir, 40 ans plus tard. Cela valait le coup d'attendre. La performance est bouleversante et nous a tiré des larmes.
Aretha, vibrante de foi
Dans cette petite église de Watts, c'est le révérend James Cleveland, personnage jovial et attentionné qui reçoit. Après l'arrivée par la travée principale des membres du South California Choir, le révérend annonce sa "sœur Aretha" qu'une foule de fidèles du quartier est venue applaudir. Aretha Franklin débute l'office (car il s'agit autant d'un concert que d'un office religieux), avec Wholy Holy de Marvin Gaye. Vêtue d'une longue robe blanche constellée de brillants, elle démarre fort. Les yeux fermés, sa voix vibrante de foi est d'une intensité exceptionnelle. Aucun doute, il s'agit de musique sacrée. Le mercure grimpe.
Debout au micro, cadrée en plan serré avec ce merveilleux grain de photo vintage des années 70, Aretha Franklin, impliquée à mille pour cent sur le cantique What A Friend We Have In Jesus, a le visage nimbé de sueur sous sa courte afro. Certains membres du chœur, qui semble jaillir en contrepoint de son chant, ont les larmes aux yeux.
À plusieurs reprises, et notamment sur How I Got It Over, la musique et le chant sont si prenants, si galvanisants, et la ferveur des participants si communicative que nous sommes à deux doigts de nous arracher de notre fauteuil de cinéma pour taper dans nos mains et chanter les chœurs avec eux à 46 ans de distance.
Exaltation générale, y compris de Mick Jagger
Dans cette paroisse modeste et nue envahie par les caméras et les fils, le cinéaste Sydney Pollack a filmé magnifiquement l'exaltation générale, la magie des regards, les larmes des participants (y compris du révérend dont on devine les sanglots) et même la transe des fidèles, parmi lesquels on aperçoit Mick Jagger et Charlie Watts des Rolling Stones.
Il a surtout capté l'expressivité d'Aretha Franklin, habitée sur des titres comme Mary Don't You Weep et You've Got a Friend. La reine de la soul (et du gospel ce soir-là) met tant d'émotion sur ce dernier qu'il est difficile de ne pas être bouleversé lorsque son maquillage se met à couler, sous l'œil d'un Christ blanc ceint d'un drap, dont le poster veille au-dessus du chœur.
L'hymne Amazing Grace conclut le premier soir en apothéose. La communion est totale, l'air vibre d'exaltation. La plus belle des prières par la plus grande des chanteuses, accompagnée d'un piano dépouillé, donne la chair de poule. Réduit au silence un temps, le chœur s'embrase derrière elle en un "call and response" touché par la grâce. Alors qu'elle semble avoir déjà tout donné, Aretha en a toujours plus à offrir : suspendus à ses lèvres durant une dizaine de minutes, on est époustouflés.
Au second soir, plus court dans le montage que le premier, l'église reçoit un visiteur de choix : le père d'Aretha. Le révérend CL Franklin a fait le déplacement depuis Detroit. Vêtu d'un élégant costume bleu, il raconte que sa fille chantait dans le salon familial dès ses 7 ans et a commencé à l'accompagner à l'église pour le gospel à 11 ans. D'ailleurs, "si vous voulez savoir, Aretha n'a jamais quitté l'église", souligne-t-il. Tout est dit. Par la grâce du cinéma, Aretha nous a pour notre part comblés, lavés, élevés. Bénis soient les frères Lumière.
Amazing Grace, documentaire de Sydney Pollack, est en salles quelques jours seulement, du 6 au 10 juin 2019.
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