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Quand David Bowie défendait la cause noire

Durant toute sa carrière, David Bowie a défendu la cause noire et les artistes noirs américains, une de ses grandes sources d'inspiration. Une vidéo emblématique de son engagement, datée de 1983, a refait surface ces jours-ci après sa mort dimanche 10 janvier. Sur MTV, première chaîne musicale, il critiquait fermement l'absence d'artistes noirs.
Article rédigé par franceinfo - Laure Narlian (avec AFP)
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
David Bowie et Tina Turner en 1985 chantent "Tonight" en duo.
 (Paul Cox / Nurphoto / AFP)

Nous sommes en 1983, à l'époque de l'album "Let's dance". MTV, la toute première chaîne musicale qui a lancé la folie des clips musicaux, n'a alors que deux ans. Invité sur la jeune chaîne, David Bowie s'étonne du fait qu'elle accueille si peu d'artistes noirs sur son antenne.

Le Thin White Duke ne lâche pas prise

Comment se fait-il que les seuls artistes noirs présentés "passent entre 2h30 du matin et 6h du matin ?", demande David Bowie à son interlocuteur Mark Goodman.
              
Alors que l'animateur de MTV se justifie en disant "qu'une petite ville du Midwest pourrait être effrayée par Prince", que la chaîne doit "jouer une musique qui plaise au pays tout entier" et doit parler "à un ado de 17 ans" qui n'habite pas une grande ville, Bowie insiste.
              
"Mais attendez, peut-être que les Isley Brothers ou Marvin Gaye parlent à un ado de 17 ans noir. Lui aussi est américain", persiste-t-il, en évoquant les très bons clips déjà réalisés pour des artistes de soul et de funk et que MTV continue d'ignorer.
 
La même année, Michael Jackson devenait le premier artiste noir à être mis en avant par la chaîne musicale avec les clips de "Thriller" et "Billie Jean". Qui parlèrent alors aux jeunes de New York comme à ceux du Midwest et du monde entier…

Fan de musiques noires depuis l'enfance

Bowie a toujours défendu la cause noire et milité pour la diversité dans l'industrie du divertissement.
 
"C'est la musique noire américaine, comme Little Richard et John Coltrane dans les années 1950, qui m'a vraiment poussé à faire de la musique et à écrire", expliquait-il en 1993 lors d'une interview à Record Collector.
 
Au début de sa carrière, quand il jouait dans le sud des Etats-Unis, où la ségrégation raciale venait d'être abolie, Bowie insistait pour être accompagné par des musiciens noirs et s'occupait de leur faire quitter la ville après le concert sans qu'il ne leur arrive de problèmes.
 
Il admirait et respectait de nombreux artistes noirs américains comme Little Richard, son premier choc musical d'enfant découvert à l'âge de 8 ans, mais aussi Luther Vandross, qui figurait sur "Young Americans" en tant que choriste, Aretha Franklin avec qui il aimait jammer ou encore Tina Turner, dont il aida la carrière.

A la fin de sa première période glam rock, David Bowie avait entamé en 1975 avec "Young Americans" un tournant imprégné de R&B, soul et funk. Il avait baptisé ce style inspiré des musiques noires "plastic soul". La même année, il devint un des premiers artistes blancs à jouer au "Soul Train", une émission de télé très populaire dans la communauté noire.

Nile Rodgers se souvient du respect de Bowie

Nile Rodgers, guitariste et musicien qui a co-signé l'album de Bowie "Let's Dance", gros succès international en 1983, se souvient de l'attitude progressiste de Bowie. "En tant que noir américain, il ne se passe pas un jour sans que je sois renvoyé au fait que je suis noir. Cela n'a rien à voir avec moi. Certaines personnes se sentent juste mal à l'aise en ma présence. Avec David Bowie, je n'ai jamais rien ressenti de tel", se souvient-il dans un entretien au site Pitchfork.

Pour Let's Dance "il avait assez foi en moi pour me laisser le contrôle total. Il disait "Nile, prends ma vision et concrétise là. Tu es l'impresario." "C'était la plus grande forme de respect que personne ne m'avait jamais donnée."

Nile Rodgers souligne également à cette occasion qu'en tant que leader du groupe disco Chic, un genre alors déclinant, il était "quasiment haï" lorsque Bowie a fait appel à lui (trente ans avant Daft Punk).
 
Après l'avoir rencontré dans un club, il s'étaient vus à l'appartement new yorkais de Bowie. Là, le Thin White Duke lui avait montré une photo de Little Richard dans une cadillac rouge en lui disant "Je veux que mon album sonne comme ça." "Il m'avait juste montré une photo mais j'ai totalement compris. Il voulait quelque chose qui donne une idée de futur mais qui soit enraciné dans le rock'n'roll, quelque chose de noir, de R&B, mais de mutant et d'indémodable."

Marié à une Somalienne

Le Thin White Duke s'était remarié en 1992 avec Iman, une top model d'origine somalienne dont il a eu une fille, Alexandria, âgée aujourd'hui de 15 ans.
              
Lors d'une interview en 1993 au talk-show Arsenio Hall, Bowie  avait expliqué que la notoriété du couple leur épargnait les discours motivés par la haine, mais il avait également fait part de sa consternation quant au faible nombre de couples mixtes aux Etats-Unis, comparé à l'Europe, à l'époque.
              
De nombreux artistes de hip hop, comme Dr Dre, Jay Z, EPMD, Sean "Diddy" Combs et Public Enemy, ont samplé son travail (surtout "Fame" mais aussi "Let's Dance"). Beaucoup d'artistes noirs américains ont réagi à l'annonce de sa mort, comme Pharrell Williams ou le rappeur Kanye West qui a salué Bowie comme étant une de ses principales sources d'inspiration.  
 

David Bowie et Iman le 19 sept 1991 au club Les Bains Douches à Paris.
 (François Marit / AFP)

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