"Pink Floyd, La Totale": plongée minutieuse dans la folie d'une oeuvre
Un ouvrage de référence
En l'espace de trois ans, la série "La Totale" écrite par deux Français, Jean-Michel Guesdon et Philippe Margotin, est devenue une référence. Née comme un hommage aux Beatles sur lequel Jean-Michel Guesdon avait accumulé une somme d'informations phénoménale, "Les Beatles La Totale" devait être sans suite. C'était sans compter avec le succès: depuis 2014, chaque "la Totale" fait un carton au plan international, en particulier aux Etats-Unis qui représentent désormais 2/3 des ventes.Cette fois, ce sont les chansons cultes de Pink Floyd que le musicien Jean-Michel Guesdon et l'éditeur Philippe Margotin passent au crible. Y compris les "outtakes" (chansons non retenues au départ) comme "Embryo", ou celles enregistrées à Rome pour la BO de "Zabriskie Point" d'Antonioni.
Pour chacune est détaillé le contexte de la création et le sens des paroles. Puis sont disséqués l'enregistrement et la réalisation technique. Des portraits de personnages clé (producteurs, managers) souvent méconnus, des anecdotes, de belles photos et des encadrés ponctuent le récit, véritable immersion dans le processus créatif d'un des groupes les plus lumineux et révolutionnaires du rock emmené un temps par Syd Barrett, puis par David Gilmour, Roger Waters, Nick Mason et Richard Wright.
Le clip promotionnel paru en 1967 du tout premier single de Pink Floyd, "Arnold Layne", était très inspiré du "Hard Day's Night" des Beatles. On y voit les quatre musiciens rhabiller un mannequin.
Plongée au coeur des expérimentations sonores
Pink Floyd est un cas à part. D'abord parce que son magicien des débuts, Syd Barrett, a été écarté rapidement tout en marquant très fortement le groupe de son empreinte. Ensuite parce que le groupe anglais a réalisé des concepts albums ("The Dark Side of the Moon", "Wish You Were Here" et "Animals") et un opéra rock ("The Wall"). Et enfin parce qu'il a composé des musiques de films majeures comme "More" de Barbet Schroeder (1969).Mais ce qui a donné le plus de fil à retordre aux auteurs est encore ailleurs. "Avec Pink Floyd, il est moins question de textes que de musique. Et surtout beaucoup d'expérimentations sonores", souligne Jean-Michel Guesdon. "Ca a été un cauchemar d'analyser les sons incroyables qu'ils obtenaient. Avec l'arrivée des séquenceurs dans les années 80, c'est devenu encore plus complexe de savoir comment un son a été produit, même les musiciens ne le savent pas toujours."
Cela ne l'a nullement dissuadé. Il nous plonge avec une précision souvent maniaque dans l'univers sonore alambiqué du groupe connu au départ pour ses longues improvisations psychédéliques à partir du blues.
Pink Floyd en studio en 1972
Révélations
Tous les instruments, tous les procédés et tous les effets spéciaux mis en oeuvre pour obtenir ces sons étranges et inédits sont décortiqués. Comment Syd Barrett utilisait une règle en plastique en guise de bottleneck pour donner un "effet hawaïen" sur le second single "See Emily Play". Comment Roger Waters innovait sur "Lucifer Sam" en jouant de sa basse Rickenbacker 4001 avec un archet. Comment Syd Barrett obtint le son si particulier du Floyd des débuts en couplant sa Fender Esquire à son Binson Echorec. Comment le groupe se servit pour la première fois d'un synthétiseur EMS VCS3 pour générer le vent synthétique de "One of these days" sur l'album "Meddle".Côté paroles, Philippe Margotin nous initie aux textes souvent enigmatiques du groupe, dès le premier single "Arnold Layne" qui traitait du fétichisme d'un garçon pour les sous-vêtements féminins dérobés sur les cordes à linge. Il nous révèle à qui s'adressait la menace jetée par Nick Mason sur "One of These Days" ("un de ces jours, je vais te couper en petits morceaux") : à Jimmy Young, un animateur de la BBC qui n'aimait pas la musique du groupe et le faisait savoir. Il ne lève pas en revanche le mystère des paroles cryptées de "San Tropez", inspirées à Roger Waters par un séjour dans le petit port varois.
Pink Floyd Live à Saint Tropez en 1970, dans "Pop 2" l'émission de Patrice Blanc-Francard.
Effets visuels précurseurs et anus de babouin
Mais il n'est pas question que de musique dans "Pink Floyd La Totale". On y apprend comment un de leurs collaborateurs avait allumé la mèche de leurs futurs concerts à grand spectacle : il avait eu l'idée ingénieuse, à leurs tout débuts scéniques, d'attacher des morceaux de cellophane de couleur à une roue, qu'il faisait tourner devant des spots, pour un résultat scotchant, psychédélique en diable.On découvre qu'il avait été envisagé initialement de photographier l'anus d'un babouin pour la pochette de "Meddle". Puis que le graphiste Storm Thorgerson de Hipnosis, le collectif qui a signé la plupart des pochettes de Pink Floyd, avait finalement opté pour deux photos superposées d'une oreille en gros plan et d'anneaux lumineux dans l'eau (c'était donc ça, cette pochette qu'on a toujours désignée personnellement comme "l'oreille" !).
De façon encore plus anecdotique, on apprend que le groupe se fournissait à ses débuts en fripes chic chez "Granny Takes A Trip" sur King's Road à Londres, comme les Stones. Sauf que Syd Barrett y apportait son linge sale, persuadé que c'était une laverie !
5 Questions à Jean-Michel Guesdon, co-auteur, en charge de l'analyse musicale de la série "La Totale"
Quel est votre rapport personnel à Pink Floyd ?
Je me souviens encore du jour où j’ai acheté "The Dark Side of the Moon", j’avais 13 ans, je vivais alors à Berlin car je suis fils de diplomate. Je me revois déplier les posters, c’était très nouveau à l’époque. Et quand j’ai mis le disque sur la platine j’ai vraiment décollé, mon cœur a explosé. Je le ressens encore aujourd'hui.
Avec quelles sources avez-vous travaillé ? Des archives ? Des interviews ?
Jusqu'ici nous avons travaillé sur archives uniquement. Nous avons lu beaucoup de livres, principalement en anglais, et épluché la presse anglo-saxonne d'époque. Nous croisons les sources et ne gardons que ce qui est confirmé. En cas de doute, plutôt que d'écrire une erreur, nous laissons des points d'interrogation.
Vous devenez en quelque sorte la mémoire des artistes eux-mêmes. Avez-vous eu des retours d'artistes ?
Nous savons que les gens à Abbey Road ont adoré notre livre sur les Beatles : ils nous ont recommandés comme experts aux côtés de George Martin (!) auprès d’un documentariste de la BBC ! Dylan, connu pour être imprévisible et peu tendre, a été dire qu’il aimait bien l'ouvrage que nous lui avons consacré. Concernant la mémoire, il y a heureusement dans chaque groupe un malade du détail et des archives. Chez Pink Floyd, c’est David Gilmour. Chez les Stones c’est Bill Wyman, il avait tout archivé (jusqu'à son départ en 1993). Quant aux Beatles ils ont eu la chance de travailler toujours au même endroit à Abbey Road, qui avait un service administratif très pointilleux.
Qu'avez-vous appris sur Pink Floyd en réalisant cet ouvrage ?
J'ai découvert à quel point Roger Waters est omniprésent dans Pink Floyd. Je pensais que David Gilmour l’était davantage. Mais Pink Floyd est bien le résultat d'une alchimie incroyable entre quatre personnalités, on a d’ailleurs pu le constater lorsque Pink Floyd s’est retrouvé sans Waters et lorsque Waters est parti en solo : leur travail à tous était alors d’un niveau inférieur.
Quel est le prochain "La Totale" dans les tuyaux ?
Je ne devrais pas le dire mais c'est… Led Zeppelin.
"Pink Floyd, La Totale" de Jean-Michel Guesdon et Philippe Margotin (éditions E/P/A, 49,90 €)
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