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Patti Smith, toujours aussi inspirante, présentait son "Livre de jours" lundi soir au Théâtre de l'Odéon à Paris

Belle présence, humour et voix intacte, la chanteuse, musicienne et écrivaine américaine a donné lundi soir au Théâtre de l'Odéon à Paris une performance littéraire inédite mêlant souvenirs et musique autour de la parution de son dernier ouvrage. A 76 ans, Patti Smith reste très inspirante.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 7min
La chanteuse, musicienne et écrivaine Patti Smith, sur scène avec son trio le 9 août 2023 à Santa Barbara (Californie, Etats-Unis). (SCOTT DUDELSON / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Quelques jours après la parution en France de son dernier ouvrage, Un livre de jours (Gallimard) Patti Smith venait le présenter sur scène au Théâtre de l’Odéon, lundi 2 octobre 2023, lors d’une performance littéraire inédite en anglais (sans sous-titres), du même type que celles qui mêlaient poésie et musique à ses débuts à New York il y a cinquante ans. "Heureuse d’être dans ce lieu", où elle avait déjà fait une lecture publique de son formidable récit autobiographique Just Kids en compagnie d’Isabelle Huppert en 2010, l’artiste proposait cette fois "un petit voyage à l’intérieur du Livre de jours".

Une photo et une note par jour

Cet ouvrage constitué d’une sélection de 366 photos, une par jour (+ une pour les natifs du 29 février), brièvement légendées, est né, rappelle-t-elle, durant la pandémie. Elle y a mélangé de "vieux polaroïds, des clichés issus de (ses) archives et ceux de (son) téléphone portable", dont elle nourrit son compte Instagram. Elle y expose son panthéon personnel, les grandes figures qui ont compté pour elle, de William Burroughs à Nico, de Jackson Pollock à Frida Kahlo - y compris nombre de tombes et de lits d’artistes disparus qui l’ont inspirée et dont elle aime suivre les pas - ainsi que les petits riens et les objets fétiches de son quotidien.

Côté textes, qui mêlent souvenirs et méditations personnelles, "c’est une version de ma pratique quotidienne", explique sur scène la new-yorkaise d’adoption : "chaque matin je bois un café, si possible dans un café, et j’écris. On retrouve beaucoup de ces notes dans le livre".

Humour et bienveillance

Patti Smith, 76 ans, telle qu’en elle-même avec sa longue chevelure blanche et ses bottes de motard à boucles, est entourée sur scène de ses deux enfants (qu’elle a eus avec son mari le guitariste du MC5 Fred "Sonic" Smith), Jessie aux claviers et Jackson à la guitare, renforcés de son fidèle musicien Tony Shanahan à la guitare et à la basse. Ils assureront avec elle, qui empoigne aussi à plusieurs reprises la six cordes, les intermèdes musicaux promis. En fond de scène, un grand écran sur lequel doivent être projetées certaines pages du livre qui rythmeront la soirée.

Sauf que durant le premier quart d’heure, la projection a des ratés. Rien ne vient. Patti ne se démonte pas, et fait preuve d’humour : "C’est un Rothko", plaisante-t-elle devant l’écran vide, excusant par avance le ou la responsable en soulignant avec bienveillance que "l'erreur constitue un quart de ce que je fais". De fait, sa braguette restée ouverte par mégarde tout au long de la performance en est une... qu'elle n'a pas manqué de relever sur son compte Instagram (ci-dessous).

Une poignée de hits et de reprises pour célébrer ses icônes

Francophile s’il en est, la chanteuse, musicienne, poétesse et écrivaine américaine aurait pu choisir de flatter son auditoire en déroulant les nombreux "liens esthétiques et affectifs" qui la "rattachent à la culture française", et qui affleurent dans son Livre de jours où l’on croise aussi bien Rimbaud (son grand amour, dont elle inaugurait encore la veille un "sentier" dans les Ardennes) que Godard, Cocteau, Simone Weil, Antonin Artaud, Jean Genet ou Guillaume Apollinaire. Trop simple. Au lieu de quoi, elle a pioché dans son livre pour cette performance de quoi accomplir à la fois "le devoir sacré du souvenir" et introduire la belle poignée de chansons, souvent présentées comme des hommages, qu’elle allait interpréter. 

Ainsi, la partie musicale débute avec la chanson Grateful, en forme de salut à Joan Baez (dont la photo du livre apparaît à l’écran) et à "tous les activistes d’hier, d’aujourd’hui et de demain ». Au chant, sa voix est la même qu’auparavant et la magie opère instantanément. Habitée, sans forcer, elle nous emmène dans son monde et nous lave miraculeusement de toutes les scories de la journée. Suivront notamment Dancing Barefoot pour Nico, les reprises One Too Many Mornings de Bob Dylan en hommage au Zim et Guiding Light de Television pour Tom Verlaine, mais aussi Because The Night (co-écrite avec Springsteen) dédiée à son mari Fred "Sonic" Smith et le toujours galvanisant People Have The Power en final, qui résonne encore longtemps dans les têtes.

Souvenirs de Godard, Burroughs et "Horses"

Ces intermèdes musicaux sont entrecoupés de détails hors champ et de savoureux souvenirs concernant les photos qui défilent à l’écran. De William Burroughs, elle dit : "il était très affectueux avec moi, ce dont j’étais très fière". Elle se souvient de son travail avec Jean-Luc Godard sur Film Socialisme (2010) et comment il l’avait invitée avec son guitariste Lenny Kaye à bord d’un bateau… qui s’était avéré être un immense bateau de croisière, le Costa Concordia (de sinistre mémoire), qui les avait menés de Chypre à Alexandrie, où elle avait enfin eu l’autorisation de faire un polaroïd du cinéaste.

Elle raconte aussi que la sortie de son premier album Horses avait été fixée au 20 octobre 1975, date anniversaire de la naissance d’Arthur Rimbaud mais que sa maison de disques Arista avait dû la prévenir d’un malheureux contretemps, la parution étant reprogrammée pour le 10 novembre. "Parfait, c’est le jour de la mort de Rimbaud", s’était-elle félicitée. Ce à quoi le patron d’Arista, Clive Davis, lui avait répondu, interloqué : "Mais comment fais-tu ?"

Ce Livre de Jours, elle le voit comme "des flèches qui visent le cœur des choses". On peut également le recevoir comme une invitation à ralentir et à puiser l’inspiration. Car y voisinent aussi bien des repères familiers que des figures moins connues comme Albertine Sarrazin, "petite sainte des écrivains anticonformistes", que l’on a désormais très envie de lire. Son Livre de Jours s’avère ainsi une collection de petits cailloux blancs pour retrouver le chemin de l’émerveillement.

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"Un Livre de Jours" de Patti Smith est sorti le 28 septembre chez Gallimard
"Une Saison en Enfer 1873" d'Arthur Rimbaud, édition augmentée de textes et de photos de Patti Smith a également paru le 28 septembre chez Gallimard.

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