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Feu! Chatterton : rencontre avec la nouvelle sensation française

Leur nom à lui seul en dit long, qui est à la fois celui d’un poète maudit suicidé et d’un album de Bashung. Repéré en première partie de Fauve au Bataclan, puis dans tous les festivals cet été, des Francofolies à Rock en Seine, le quintet parisien Feu! Chatterton sort son premier EP cette semaine. Rencontre avec notre coup de cœur de la rentrée et notre plus bel espoir des deux prochaines années.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 19min
Feu! Chatterton : de gauche à droite Antoine (basse, synthé), Clément (guitare, claviers), Arthur (chant), Sébastien (guitare, claviers), Raphaël (batterie).
 (Olivier Flandin / Culturebox)
Emphase et poésie

D'abord, on ne voit et on n'entend qu'Arthur. Chanteur solaire à la voix éraillée et aux textes inspirés, il manie le lyrisme avec une ironie que viennent souligner, sur scène, sa gestuelle et son visage ultra-expressif.
 
Car non content de happer les tympans, Arthur aimante aussi les regards. Son look à l'élégance désuète, moustache, souliers et costume trois pièces comme auraient pu en porter les Surréalistes au siècle dernier, tranche avec celui, plus décontracté, de ses camarades.
 
Son chant, en français, alterne grandiloquence surannée et phrasé spoken word sur des textes littéraires formidablement troussés qui n'hésitent pas à citer Aragon ("La rose et le réséda" sur "L'heure dense") et ont visiblement mûri à l’ombre de Lautréamont, Wilde et Baudelaire.
Feu! Chatterton (Clément, Raphaël, Arthur et Sébastien, manque Antoine sur la photo) sur scène à Rock en Seine le 24 août 2014.
 (Olivier Flandin / Culturebox)
Des textes mélancoliques mais jamais plombés
 
"Côte Concorde", qui évoque le naufrage du Concordia, est une chanson magistrale comme on n'en n'avait pas entendue depuis longtemps. Très très longtemps. Depuis Nougaro et Barbara, c'est dire. Un truc qui vous remue les tripes, mais qu'on peut siffler et déclamer aussi sous la douche (notamment ce refrain entêtant jusqu’à l’obsession : "Du ciel tombent des cordes, faut-il y grimper ou s'y pendre ? Sur le pont du Côte Concorde, cinq étoiles dans la nuit sont mortes").

Une chanson pleine de recoins et de clins d'oeil métaphoriques (ce ferry, ne serait-ce pas la société en crise lançant les feux de détresse ?) capable de flanquer les frissons sans avoir pour autant rien de plombé. Un morceau grave, un hymne funèbre, qui vous filerait presque la patate : comment est-ce possible ?
Des musiciens subtils au service du texte

C'est à ce stade de la réflexion, mais aussi de façon flagrante sur scène, qu'apparaît au grand jour le travail d'orfèvre du groupe, soudé autour de son chanteur mais surtout "au service du texte et de l'histoire", comme ils l'expliquent eux-mêmes.
 
Reprenons "Côte Concorde". Au début, les guitares miment l'eau, celle des vagues et celle de la pluie, que c'en est à pleurer. Puis un clavier égrène ses notes plus hautes avant que les guitares ne donnent la charge, déchaînant l'orage, les éclairs et le naufrage. Mais toujours avec tact et subtilité, sans jamais concurrencer la voix à laquelle elles servent d'écrin.

Du rock littéraire, à la fois cérébral et charnel
 
La magie de Feu ! Chatterton, c'est ça. Cette alliance de poésie française et de rock ciselé, voire d'électro dance maligne ("La Malinche"), cette fraternité de musiciens aussi expressifs et érudits que le chant, sachant cultiver une discrétion admirable. Le jazz de Coltrane et d’Art Blakey comme le rock de Radiohead et de Television, le rap de IAM et Lunatic comme les arrangements de "Melody Nelson" et du dernier Arcade Fire,  palpitent dans les veines de Feu ! Chatterton.

On aurait tort de les réduire à de la chanson française. Ils font du rock littéraire, exigeant, à la fois cérébral et charnel, comme Bashung ou Noir Désir avant eux, mais sans jamais se prendre au sérieux.
 
Et comme si autant de louanges ne suffisaient pas, laissez nous en rajouter une dernière. Les journalistes le savent :  une interview à plus de trois personnes est rarement réussie. Au mieux cacophonique, au pire sans aucune substance, personne ne livrant rien de personnel. Feu ! Chatterton étaient tous les cinq, serrés autour d'une table ronde de jardin à Rock en Seine lorsque nous avons recueilli leurs propos. Et chacun s'est impliqué, a livré ses réflexions personnelles, dans une belle harmonie qui ne sentait ni la lutte d’ego ni la langue de bois. Les maisons de disques peuvent préparer leurs carnets de chèques. Laquelle emportera le trésor ?
COPAINS DE LYCEE
 
Arthur (chant) : Nous nous sommes rencontrés au lycée tous les trois (il désigne Clément et Sébastien). On était en classe avec Seb en première et on a commencé à se brancher parce qu’on parlait littérature, tu vois cette énergie adolescente trouvée dans les livres (gros sourire), une révolte sourde et tout, de vrais grands combats pour vibrer (rires). La littérature ça entretient ça, le rock’n’roll ça entretient ça.
Sébastien (guitare, claviers) : à l’origine, Arthur écrivait beaucoup de textes au lycée, de la poésie pure. Moi et Clément on avait un groupe de rock de lycéens, on était potes avec Arthur et il nous lisait ses textes. Au fur et a mesure, on a décidé de faire un premier projet ensemble qui était un projet de jazz slam fusion …
Clément (guitare, claviers) : … de la musique très compliquée sur laquelle Arthur posait ses textes en spoken word à jet continu. Feu! Chatterton et la mélodie sur le français sont venus plus tard.

CHANT ET SPOKEN WORD

On dit toujours que le français est plus difficile à faire sonner que l’anglais. Arthur, comment t’y prends-tu ? Tu tords les mots ?
Arthur : J’ai fait du spoken word parce que j’écrivais des choses et que j’avais envie de les dire. Mais dans les bars à slam il faut des choses très rythmiques parce qu’il n’y a rien derrière, pas de musique, du coup j’écrivais des choses très rythmiques. Puis, lorsqu’on s’est mis à faire de la musique ensemble, je me suis rendu compte que je n’avais plus besoin de tordre autant le rythme, disons de façon un peu hip-hop - car je suis très influencé par le rap. De là, je me suis mis à dire moins de choses, moins vite, et à les faire sonner différemment. Quand tu joues à plusieurs, quand tu dis des mots sur de la musique, petit a petit, c’est inévitable je pense, tu as envie de chanter. C’est inévitable parce que ça ouvre la chanson, ça approfondit, tu ne peux pas t’en empêcher.

Jusqu’à il y a peu je n’avais jamais chanté. Puis j’ai compris que la pure poésie est graphique et que la chanson n’est pas de la poésie, parce qu’il y a une mélodie avec. Réaliser cela m’a décomplexé et libéré de pas mal de trucs. C’est un peu où se situe l’esbroufe des chanteurs et des chansons.  Quand j’écoutais Gainsbourg jeune, je me disais : j’adore cette chanson à cause du texte. Mais tu te rends compte que si tu lis le texte sur une feuille, il est beaucoup plus fade que quand tu l’entends chanté. En réalité tu ne l’aimes pas à cause du texte, mais à cause de la façon dont le texte est mis en chanson, comme le flow dans le hip-hop. Grâce à la mélodie, tu peux dire beaucoup de choses bien moins écrites.
 
UN ECRIN ROCK ACTUEL

Sur scène, ce qui m’a sauté aux yeux c’est la force du groupe et la qualité des musiciens qui apparaît au grand jour. D’ailleurs, si on enlève Arthur, que reste-t-il comme musique ?
Sébastien et Clément : rien du tout, c’est tout pourri (rires)
Clément : l’essence de notre truc, c’est quand même le rock.
Oui mais « La Malinche »  est plus électro, plus dance….
Arthur : oui, et il y a du blues aussi
Sébastien : c’est un peu du rock moderne, fruit de croisements. Comme Radiohead qui sont qualifiés de rock indé. Ou Bon Iver qui fait de la folk. Aujourd’hui, le rock brasse, ce n’est plus comme dans les années 60.

Pourtant, on risque de vous caser très vite dans la Chanson française.
Arthur : oui, on le sait. On est clairement exposés à ça.
Antoine (basse) : en même temps, le français est aussi la porte d’entrée du groupe…
C’est dommage parce que c’est oublier le travail que vous faites en tant que musiciens. Même si vous savez vous faire discrets…
Raphaël (batterie) : en fait, nous sommes tous au service de l’histoire et du texte, de ce que le chant raconte.
Clément : Si c’est discret c’est parce qu’on n’est pas en train de concurrencer le propos. Au contraire, on essaye de le servir au maximum. Regarde Radiohead : c’est Thom Yorke qui est mis en avant, mais on sait tous que l’architecture tient à tous les musiciens.
Sébastien : je pense que ça va changer en France. La chanson française, la variété française, a pris trop de place sur la musique en général. Il va falloir accepter qu’il puisse y avoir des arrangements qui ne soient pas variété mais chantés en français. C’est ce qu’on essaye de faire.

KIND OF BLUE
 
Vous avez aussi un petit côté jazzy ?
Sébastien : on a des influences jazz, c’est clair. Notre batteur fait du jazz et « La mort dans la pinède »  a un pattern de batterie jazz.
Arthur : on écoute beaucoup de jazz aussi, comme Chet Baker…
Sébastien : … Nat King Cole…
Raphaël : … Miles Davis, Art Blakey, Brad Mehldau.
Arthur : ça fait un peu poncif mais il y a quelque chose d’à la fois sombre et lumineux dans le jazz, tous ces paradoxes évidents que charrie la musique et avec lesquels on aime vraiment jouer  : l’amour, la mort, l’emphase, la tristesse, la joie … et le jazz c’est ça. Chet Baker quand il chante, c’est cool mais c’est triste en même temps. Ca fait quelque chose à la fin de mélancolique mais joyeux. Ce sont des couleurs un peu bleutées qui nous concernent.
 
LITTERATURE

Arthur, d’où vient ton écriture littéraire ?
Arthur : je ne sais pas pourquoi ni comment, mais très jeune,  j’ai aimé lire et écrire. Vous rigolez, mais jouer d’un instrument c’est différent : quand on est jeune, soit on se dit que ça va devenir un plaisir,  soit qu’on va arrêter à l’adolescence, soit on envisage d’en faire quelque chose. Mais quand tu lis un livre, tu ne te dis pas forcément : « je vais écrire un bouquin ». Je viens d’une famille latine très expansive, où on a le sang chaud, où on parle fort.  Or, dans ma famille c’est mon père qui est le plus discret et c’est lui qui a la grande bibliothèque. Enfant, quand je voyais mon père prendre un bouquin, je trouvais ça hyper charmant et mystérieux et ça attisait ma curiosité. En prenant des livres au hasard, je suis tombé sur des choses incroyables. Je le prends comme une leçon pour l’éducation de mes enfants plus tard : leur laisser découvrir les choses par eux-mêmes. Depuis la classe de seconde, lire et écrire sont devenues des choses importantes, mais je ne peux pas l’expliquer.  Au fond, même si ce sont des désirs et  des ambitions un peu durs à assumer quand on est petit, un peu honteuses, j’ai toujours voulu écrire et dire des choses.

MATURITE

Vous avez tous à peu près 25 ans, vous ne vous sentez pas un peu en décalage avec votre génération par rapport à la chose écrite ? On nous dit en permanence que les jeunes ne lisent plus etc…
Arthur : non. Je pense que ce n’est pas vrai.
Sébastien : nous on n’écrit pas mais en ce qui concerne l’intérêt pour la lecture et la culture écrite, je pense que c’est un truc partagé.

Vous ne craignez pas de plaire davantage à un public mature plutôt qu’à un public jeune ?
Arthur : non ça ne nous fait pas peur. D’autant que la plupart de nos chansons racontent l’adolescence bien que les textes soient littéraires. Après, je sais que personnellement, quand j’écris, le lecteur ou l’auditeur imaginaire que j’ai en tête est effectivement plus vieux. Je veux séduire les pères, les anciens, ceux qui ont lu. Je pense aux modèles, à ceux que j’ai admiré, qui sont souvent morts, Gainsbourg, Bashung, Ferré, Barbara…
Sébastien : Lorsqu’on a fait la première partie de Fauve au Bataclan, le public des premiers rangs était très jeune, 15-17 ans, et on a eu l’impresssion que ce qu’on faisait leur parlait, qu’on avait réussi à les accrocher. Ils continuent à nous suivre sur les réseaux sociaux et à partager notre musique donc je pense que ca parle aussi aux plus jeunes.
Clément : quand tu es jeune et que tu écoutes nos chansons, tu ne te dis pas forcément qu’il y a des références littéraires. « A l'Aube», ça parle d’un ami qui est parti, elle est compréhensible par tout le monde.
Sébastien : le rap est aussi une forme de littérature moderne parfois très complexe. Les images des textes de rap sont difficiles à comprendre et pourtant les jeunes sont touchés, ils comprennent tout à fait et ils sont les premiers à lancer des punch-lines et à en inventer.

LE GRAND SAUT

Si vous n’étiez pas dans un groupe, que feriez vous ? Quels genres d'études avez-vous fait ?
Arthur : c’est une vraie question parce qu’on a fait de vrais choix. Pour avoir tous fait de longues études, le conservatoire dernier niveau, l’ENS, Centrale, Sciences Po, HEC etc, on a eu cette habitude d’être sur des rails, d’être cadrés, d’avoir des gens qui nous évaluent, qui nous disent si c’est bien ou pas. Alors au moment où ça se termine, c’est quand même un vrai choix de décider de se consacrer à la musique -  est-ce qu’on y va vraiment, est-ce qu’on a les couilles d’y aller ? En réalité, on n’a pas le choix. Car si on ne le fait pas maintenant, on va le regretter. Ca n’a rien d’héroïque, on ne va pas se flatter pour ça. On essaye. Si ça ne marche pas, tant pis. Par chance, on a fait des études qui permettent de retomber sur nos pattes au cas où, ça rassure les parents.
Raphaël : ce que tous ces parcours nous ont appris, c’est que si on y va, on y va vraiment, on le fait avec engagement et avec une certaine application dans le travail.
Sébastien : ce qu’on peut retenir de ces parcours c’est le travail et la façon de travailler.
Clément : ne serait ce que pour ces 6 derniers mois de concerts, je pense que ça valait le coup.
Arthur : oh dis donc, tu m’as mis des petits frissons, là… (rires)
 
LE FUTUR C’EST MAINTENANT

Aujourd’hui le buzz part bien à votre sujet, vous êtes prêts ?
Arthur
 : on ne sait jamais. On se dit que ça peut retomber aussi vite que ça monte.
Raphaël : on est loin du cas de Fauve. Déjà, avant d’avoir le buzz des pros, Fauve ont eu le buzz du public. Nous, pour le moment, ce sont davantage les médias qui s’intéressent à nous. On commence à construire notre public doucement mais on est prêts à prendre le temps qu’il faudra.
Arthur : tant mieux que ça prenne du temps, on n’imagine pas du tout que ça puisse se passer autrement. Quand ça va trop vite, comment entretient-on quelque chose sur la durée ? On ne s’est pas encore posé la question sérieusement parce qu’on ne pense pas que ça va se passer comme ça.
 
Après le EP qui sort le 8 septembre, quels sont les projets ?
Demain (fin août) on entre en studio pour enregistrer un morceau long de 15 minutes, en quatre parties. Ce sera notre prochain disque. On a prévu de filmer un court-métrage pour aller avec cette histoire un peu érotique et sombre. On espère le sortir début 2015. Avant cela, on sera en tournée dans toute la France d’octobre à décembre. On travaille également sur une quinzaine de titres en vue d’un concept-album mais on ne le projette pas avant fin 2015. On veut un bon album et il faut du temps pour ça.
 
Feu ! Chatterton est en concert le 12 septembre au Point Ephémère (Paris) puis en tournée à partir d’octobre : à Bordeaux le 3 octobre, Saint-André de Cubzac le 10, à Nancy le 12, à Metz le 17, Riorge le 21, Poligny le 22, Vendôme le 30 etc…

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