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Rencontre avec le compositeur Philippe Sarde, invité d'honneur du Festival du cinéma et musique de film de La Baule

La septième édition du Festival du cinéma et musique de film de La Baule se déroule du 23 au 27 juin et rend hommage, en sa présence, à l’un des plus grands compositeurs français pour l’écran.

Article rédigé par Jacky Bornet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le compositeur français Philippe Sarde en 2006. (FAUX/SIPA)

Les Choses de la vie, Le Juge et l’assassin, Tess, La Guerre du feu… Avec entre 200 et 300 bandes originales de films pour des réalisateurs majeurs, le compositeur Philippe Sarde est un des plus grands compositeurs français de musique de film. Le 7e Festival du cinéma et musique de film de La Baule (23 au 27 juin) lui rend hommage avec la projection de trois de ses collaborations avec Claude Sautet, Roman Polanski et Jean-Jacques Annaud.

Le musicien donne un concert qui recouvre ses 50 années de carrière ce samedi 26 juin au Palais des congrès Atlantia. Nous l’avons rencontré autour de son œuvre et de son approche musicale pour l’image.

Franceinfo Culture : Vous avez été fidèle à des cinéastes comme Claude Sautet, Pierre Granier-Deferre, Roman Polanski, Yves Boisset, Bertrand Tavernier, Jacques Doillon, et bien d’autres, comment expliquez-vous cette continuité collaborative ?

Philippe Sarde : Quand vous rencontrez un homme avec lequel vous partagez une partie de votre sensibilité, vous avez envie de continuer de travailler avec lui. Je crois que c’est cet échange permanent que j’ai eu avec eux. C’est un échange qui pousse à donner le meilleur de soi. J’ai eu la chance de rencontrer des personnes extraordinaires : Sauter, Granier-Deferre, Bertrand Tavernier… des personnalités humainement extraordinaires.

Avez-vous des compositeurs du répertoire, ou de musique de film, auxquels vous vous réfèreriez, comme Bartok, Ravel, Hermann, Goldsmith... ?

P. S. : Hermann et Goldsmith sont fabuleux, mais on ne peut pas parler en France de musique de film sans évoquer Maurice Jaubert ou Georges Delerue, des compositeurs que j’aime. Ce sont des compositeurs que j’ai écoutés mais je n’ai pas essayé de faire comme eux. Ils m’ont donné envie encore plus d’écrire pour le cinéma, dans ce créneau très particulier qu’est la musique pour l’écran.

Vous est-il arrivé d’écrire une partition sans avoir vu le film ?

P. S. : Bien sûr. Le Choix des armes d’Alain Corneau par exemple. Quand il est venu me voir, il m’a dit hésiter entre utiliser deux contrebasses ou un orchestre symphonique, et il m’a raconté l’histoire de son film. Je lui ai répondu qu’il ne fallait pas hésiter, qu’il fallait mélanger les deux, parce que le sujet se prêtait merveilleusement à l’utilisation des deux contrebasses et de l’orchestre. A ce moment-là, il n’avait encore rien tourné. Et j’ai enregistré la musique en Angleterre avec le London Symphonic Orchestra, Ron Carter et Buster Williams. C’était périlleux pour moi, car les contrebasses sont d’habitude écrites pour le bas de l’orchestre et il a fallu que je me creuse l’esprit pour les remonter en haut de l’orchestre. Il a fallu trouver un mélange qui fonctionne. J’ai une affection particulière pour cette musique.

Comment s’est passé la rencontre avec Ron Carter ?

P. S. : C’était fantastique. C’est un être très humain, attentif et pouvant s’adapter à n’importe quelle genre de musique en y apportant sa propre sensibilité, et avec une sonorité extraordinaire. Il faut penser à l’interprète avant de lui demander de vous rejoindre. Comme si vous vous adaptiez à lui, pour qu’il entre tout de suite dans votre univers. Pour le Festival de La Baule, on ne pouvait pas programmer une telle musique, car elle est un peu différente de ce que j’ai composé par ailleurs. On a choisi des partitions plus emblématiques. Il a fallu reconstruire un peu les musiques pour qu’elles fonctionnent, c’est comme une nouvelle visite de ces partitions.

Il y a une école de la musique de films en France - c’est une invention française d’ailleurs (Saint-Saëns, L’Assassinat du Duc de Guise, 1908) -, avec Michel Legrand, Maurice Jarre, Alexandre Desplat, vous-même… Qu’est ce qui fait cette différence ?

P. S. : Oui, il y a une école française. Son style touche profondément car il provient du rapprochement entre le metteur en scène et le musicien. Alors qu’en Amérique, le compositeur est plus éloigné du réalisateur. C’est cette étroitesse de collaboration qui fait la différence en France. Aux Etats-Unis, il y a beaucoup d’intermédiaires qui écoutent, qui jugent, ce n'est pas pareil ici. J’ai eu la chance d’avoir des rapports humains et émotionnels très forts avec des réalisateurs pour lesquels j’ai fait beaucoup de films.

Vous avez composé pour des réalisateurs étrangers ?

P. S. : Oui, beaucoup avec Marco Ferreri qui n’est pas assez reconnu aujourd’hui, alors qu’il est totalement visionnaire. J’ai composé pour lui Lisa, La Grande Bouffe, La Dernière femme, Contes de la folie ordinaire… des films qu’on ne pourrait plus réaliser aujourd’hui. C’était quelqu’un de presque surnaturel.

Vous aimez les sonorités étranges ou les instruments inattendus comme la contrebasse de Ron Carter dans Le Choix des armes, le bugle du Locataire ou un thème et des instruments folkloriques dans Tess, d’où vous viennent ces inspirations très atmosphériques ?

P. S. : Cela amène un climat, une différence. Mon problème est de ne pas faire de la "peinturlure" sur le film, de l’illustrer, d’être redondant par rapport à l’image, de copier les sentiments. Il faut créer un dialogue parallèle. On le trouve dans la composition, mais aussi dans l’instrumentation. Ces mélanges sont pour moi la base d’une musique qu’on remarque. Sans qu’elle gène ou recouvre le film. Elle doit le renforcer, sans être descriptive de ce qui est à l’écran. Elle doit être un chemin parallèle. Les metteurs en scène ont peur de la musique, car ils craignent qu'elle raconte la même histoire que la leur. Mais si vous racontez une histoire qui est celle de l’intérieur du metteur en scène, de ses sentiments, il a moins d’appréhension. Il est prêt à vous faire confiance. Ce sont les sentiments qui font le mélange. C’est une complémentarité. Il faut que ce ne soit surtout pas autre chose que cela.

D’ailleurs une musique de film s’écoute avec un autre plaisir quand on l’écoute sans les images, sur un disque, un CD, un enregistrement. Elle peut se suffire à elle-même, même si certaines sont indissociables des images, et qu’elles peuvent les évoquer spontanément. La musique de film à une vie propre. La musique de La Grande bouffe, par exemple, peut s’écouter seule, mais elle est sublimée par l’image. Ce qu’attend le metteur en scène, c’est que la musique apporte un plus.

La musique de film s’ouvre de plus en plus aux femmes, comme Anne Dudley (Elle de Paul Verhoeven) - Prix Sacem-France Musique de la musique de films 2017, d’autres encore, qu’est-ce que cela vous inspire ?

P. S. : C’est vrai que la musique de film a jusqu’à présent été essentiellement composée par les hommes, mais c’est passionnant que la sensibilité féminine s’exprime dans ce répertoire, avec sans doute ses différences.

Au Festival de Cannes 2019, sur 21 films en compétition, seulement quatre avaient une partition originale, qu’est-ce que cela révèle à votre sens ?

P. S. : Il y a une tendance chez certains metteurs en scène à utiliser des musiques qui existent déjà. Ce que ne veut pas le metteur en scène, c’est que le musicien prenne sa place. Donc, il compose sa propre musique avec ce qui existe dans un ou des répertoires. Kubrick le fait avec le classique, Tarantino avec la pop culture. Ne pas mettre de musique peut-être aussi un choix de mise en scène, c’est une autre musique. Mais 4 films sur 21 en compétition à Cannes sans partition, c’est fou.

Il y a de plus en plus de concerts de musique de film, trois festivals en France, dont celui de La Baule où vous êtes l’invité d’honneur, voyez-vous en cela une reconnaissance tardive de ce répertoire ?

P. S. : Je pense qu’il y a la reconnaissance d’une musique qui a été longtemps négligée, mais aussi une nouvelle attirance pour l’orchestration symphonique par un autre public. Une musique classique différente et que l’on peut écouter sans les images. Il m’avait été donné de jouer La Guerre du feu en ciné-concert. Comme il n’y a pas de dialogues dans le film - c'est presque un film muet - la musique était presque toute seule lors du concert. La musique n’accompagnait pas des scènes dialoguées, le film étant très visuel, c’était donc quasiment un concert de musique en soit. Le ciné-concert avec projection me semble globalement moins intéressant que l’interprétation de la musique seule.

Vous travaillez sur un projet actuellement ?

P. S. : Oui, je finalise la composition d’un film pour Arte, Juliette dans son bain, qui passera à la télévision, avec André Dussollier et Marisa Berenson, et je dois l’enregistrer très vite. Cela fait longtemps que je n’ai pas travaillé pour le petit écran. Cela m’a donné autant le trac que de travailler pour le cinéma. Je suis également en train de concevoir un coffret de mes musiques les plus représentatives que j’espère sortir à la rentrée. C’est pour moi très important. Il a fallu choisir parmi 200 à 300 films, pour en retenir les 100 les plus marquantes, tout en privilégiant la différence. Je le fais aussi pour mes filles, comme cela elle garderont un souvenir de ma palette, de la palette de leur père.

Tous le programme du 7e  Festival du cinéma et musique de film de La Baule

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