Le rap ludique et groovy de De La Soul a donné le coup d’envoi de Jazz à La Villette à la Philharmonie de Paris
La légende du rap américain De La Soul a donné mercredi 30 août le coup d’envoi de l’édition 2023 de Jazz à La Villette avec un concert euphorisant, qui célébrait tout à la fois les 50 ans du hip-hop et les 35 ans d’activité du groupe, mais aussi la mémoire de Trugoy The Dove (Dave Jolicoeur), troisième membre de la formation, disparu en début d’année.
Une année entre joie et larmes
2023 aura été une année en montagnes russes pour De La Soul. Le groupe de rap new yorkais, dont la liberté juvénile et la créativité débridée a changé le regard sur le hip-hop à l’aube des années 90, a connu cette année des très hauts et des très bas. Alors que les six premiers albums de ce trio de légende étaient absentes des plateformes de streaming depuis toujours pour des raisons de droits restées longtemps inextricables, leur donnant le sentiment d’avoir été "rayés de l’histoire", ces chefs-d’œuvre émergeaient enfin du purgatoire digital le 3 mars dernier.
Mais alors que le groupe s’apprêtait à célébrer la sortie sur toutes les plateformes de 3 Feet High and Rising (1989), De La Soul is Dead (1991), Bulhoone Mindstate (1993), Stakes is High (1996), Art Official Intelligence : Mosaïc Thump (2000) et AOI : Bionix (2001), ces chefs d’œuvres fourmillants de samples, cette bonne nouvelle était assombrie par un drame : l’un des membres du trio, Trugoy The Dove, mourait subitement à l’âge de 54 ans, à la mi-février.
Un show solaire de célébrations
Mercredi, dans la salle Boulez de la Philharmonie de Paris pleine à craquer, De La Soul a donc été accueilli en héros, le public qui avait souvent dépassé la quarantaine venant avec enthousiasme et sans trop de nostalgie retrouver un peu de sa jeunesse. Solaire et funky, le concert s’est aussi révélé un peu décousu, avec beaucoup d’interventions entre les morceaux des deux membres encore sur pied du trio, Posdnuos et Maseo. Il a beaucoup été question de hip-hop – "Incroyable qu’il ait traversé toutes ces années", "Le hip-hop c’est un feeling avant tout. Pas besoin d’être du Bronx, tu peux être de Paris. Si tu ressens le feeling tu es down avec le hip-hop" - mais aussi de l’absent Trugoy – "Dave n’est pas là, mais il est avec nous en esprit."
Maseo, DJ et rappeur, qui était absent de la tournée européenne jusqu’à présent pour raisons de santé, effectuait un retour en grande forme. Réjouissant à voir, d’humeur joueuse, il passait régulièrement de ses platines au micro et se muait dès les premières secondes en chauffeur de salle trépidant - "Let’s have some fun ! Let me hear you say party over here"-, incitant le public à participer.
Neuf musiciens
Alors qu’il n’est plus rare depuis longtemps d’assister à des concerts de rap où il n’y a pas même un DJ, De La Soul prend le contrepied : le groupe se présente sur cette tournée entouré de neuf musiciens, dont une section de cuivres et deux percussionnistes en plus d’un batteur. Une façon peut-être de justifier de passer dans de prestigieuses salles comme le Royal Albert Hall de Londres ou ici la Philharmonie de Paris. De fait, certains morceaux comme Pass The Plugs peuvent dès lors donner lieu à des versions enlevées et ultra groovy qui rendent hommage à ceux qui les ont inspirés – Pass The Plugs devenait quasiment mercredi soir 30 août une reprise échevelée de Pass The Peas des JB’s.
Pour autant, De La Soul avec un orchestre, on est vraiment au regret de l’écrire, ce n’est pas toujours convaincant. Non pas que les musiciens soient en cause. On perd juste parfois en dynamisme, en fantaisie, les voix et les scratches se retrouvent souvent écrasés, noyés, c’est moins percutant, un peu mou par moment. En ont-ils conscience ? Certainement. Alors que Maseo et Posdnuos occupent le micro, évoquant "l’amour" avec lequel ils s’acquittent depuis toujours de leur art, les neuf musiciens quittent discrètement la scène passé le premier tiers du show et ne reviendront qu’après une bonne demi-heure. "Ils sont partis faire une pause café", plaisante Posdnuos, qui propose à la place de "faire un truc de MC's et de DJ". Retour à la base.
Yasiin Bey (Mos Def) et Pharoah Monch en invités
En compagnie du rappeur Yasiin Bey (alias Mos Def), présenté par Posdnuos comme "un génie du vocabulaire" et "un petit frère dont j’ai beaucoup appris", ils vont alors se livrer à un long set dépouillé mais enthousiasmant, où les titres de Mos Def (Ms. Fat Booty et Respiration notamment), vont se mêler à ceux de De La Soul, comme Stakes is High et Me Myself and I, avec des détours sur des chansons moins connues comme I Am I Be, Jenifer Taught Me ou Rock Co.Kane Flow qui donne lieu à un sketch durant lequel Pos fait mine de tomber et reste au sol longuement. Le rappeur Pharoah Monch viendra aussi épauler ses vieux amis, notamment sur un Simon Says d’anthologie.
"C’est douloureux de monter sur scène sans Dave", justifie Maseo. "Mais c’est notre responsabilité de poursuivre son héritage. Et puis c’est la première fois que je ressens vraiment de la joie sur scène sans lui, alors merci Paris !"
Après un clin d’oeil aux Gorillaz de leur complice Damon Albarn sur Feel Good Inc., puis un Ring Ring Ring (Ha Ha Hey) mâtiné de Like a Virgin (Madonna) repris avec fougue par la foule, et enfin une présentation délicieuse des musiciens – avec de jolis hommages à Earth Wind & Fire et Roy Ayers notamment – cette heure quarante-cinq de bonheur se referme sur l’euphorique The Magic Number. Ce chiffre magique a longtemps été le trois. Le trio de légende est désormais réduit à un duo mais l’énergie et la foi sont intactes.
Le festival Jazz à La Villette se poursuit à Paris jusqu'au 10 septembre
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