Jay-Z et Kanye West à Bercy: ce qu'on retiendra du show
UN GRAND MOMENT DE COMMUNION
Très vite, en moins de 20 minutes, un constat s'impose : ce concert est une experience et avant tout un grand moment de communion. Avec nous, autour de nous, 20.000 personnes font la hola en permanence, bras en l'air, et braillent consciencieusement d'une seule voix les paroles au refrain. Hyper impressionnant et tout simplement irrésistible. Ceux qui n'y étaient pas ne peuvent pas comprendre et n'ont dès lors même plus voix au chapitre.
UN SHOW EFFICACE ET POURTANT SIMPLE
A force d'avoir entendu parler des effets pyrothechniques et des deux cubes amovibles à cristaux liquides, on s'attendait à un show très m'as-tu-vu, clinquant, démesuré, un vrai barnum. Au final, s'il y a de beaux effets lasers, un requin en trompe-l'oeil sous un cube et des flambeaux rétractables dont la morsure brûlante chauffe les plus éloignés des fans, l'ensemble dégage une étonnante simplicité. Pas un modèle de sobriété, mais une scénarisation bien dosée, fluide et tout simplement parfaite pour occuper le vaste espace scénique de Bercy durant presque trois heures. Au final, et c'est une gageure, les deux rappeurs semblent accessibles, proches, vulnérables. Loin d'une double entité arrogante jaugeant la foule du haut de son trône.
OBAMA AVAIT RAISON SUR TOUTE LA LIGNE
Le président américain avait raison : Kanye West est "un abruti". Il faut l'être pour enfiler chaque soir pareille tenue tout cuir et quatre ou cinq épaisses chaînes en or au cou pour faire le beau sur scène. Et suer par conséquent sang et eau tout du long pendant que son partenaire reste impérial et stoïque, sans même une auréole sous les bras. Mais comme ajoutait le président américain dans une interview au journal The Atlantic, Kanye West "a du talent". C'est indéniable. Peut-être même du génie. Surtout quand on sait qu'il a supervisé non seulement l'album "Watch The Throne" mais aussi les décors du show.
A DEUX C'EST MIEUX
Le show semble avoir été pensé pour mettre en valeur à la fois l'album Watch The Throne et les répertoires respectifs de chacun. Jay-Z et Kanye West alternent donc titres en commun, y compris ceux en solo où l'autre faisait un featuring, et purs titres en solo. A ce petit jeu, qui sort gagnant ? Jay-Z assurément. Impérial, détendu sous sa casquette aux couleurs des Brooklyn Nets (l'équipe de basket dont il est propriétaire), Hov fait preuve d'une aisance bluffante qui ne peut jamais être confondue avec une forme d'absence en mode pilotage automatique. Kanye, de son côté, est constamment à fond, en sur-régime, le visage ruisselant de sueur, impliqué, à genoux, suppliant qu'on l'aime. Il en devient touchant. Même s'il est responsable du ventre mou du show lorsqu'il déroule son quart d'heure de chansons passées à l'auto-tune. Au final, quand les deux rappeurs se donnent la réplique - "Run This Town", "Diamonds are forever", "Otis", "No Church in the Wild", "That's My Bitch", "Gotta Have it"... - la puissance de feu est inégalée.
LE PIC EMOTIONNEL DE "NEW DAY"
L'immense talent tient aussi à des détails. Donner l'impression à chacun qu'il ne joue que pour lui en est un. L'autre est d'arriver, avec un show aussi démesuré, à émouvoir. Dingue comme "New Day" nous aura retourné. Dans cette chanson, sans doute la plus belle de "Watch The Throne", Kanye West et Jay-Z parlent de leur futur enfant imaginaire respectif. Kanye souligne combien il fera en sorte qu'à l'inverse de son père il n'ait pas d'ego, Jay-Z promet de son côté de ne jamais l'abandonner pour ne pas reproduire son propre traumatisme d'enfance. Pour ce titre, les deux rappeurs s'asseoient côte à côte sur l'estrade comme s'ils devisaient sur le perron d'une maison new yorkaise. Jay-Z, à qui Beyoncé a donné une petite fille fin 2011, a l'air sincèrement ému, au bord des larmes (on peut suivre les expressions de leur visage en gros plan sur les écrans géants). Et lorsqu'il lance en conclusion un appel à tous les parents dans la salle et remercie le public d'avoir partagé ce moment, on l'avoue, notre coeur a chaviré.
Le volume sonore était tel que notre audition était enveloppée de coton jusqu'au lendemain. Pourtant, il n'y avait aucun musicien sur scène. Trois hommes tronc aux machines. Voilà donc à quoi ressemble le plus grand show hip-hop en 2012 : deux MC's et pas même un Dj. Hum. Pas l'ombre d'un break-danseur non plus. Et même pas d'invité au micro. Cela nous a sauté à la figure sur "Empire State of Mind" où la voix d'Alicia Keys est très présente. Savoir que Beyoncé était présente au balcon et n'est même pas venue chanter sur "Lift Off" fait partie des regrets de ce double show parisien.
LE MESSAGE PERSONNEL
Juste après "Runaway", lorsqu'il entame son quart d'heure auto-tuné, du haut de son cube rouge, Kanye West lance un appel aux filles dans la salle. D'habitude, il s'adresse aux filles, puis aux garçons, et fait un petit laïus au sujet des difficultés de l'amour. Cette fois, en tout cas samedi à Bercy, il s'adresse aux filles et les casse sans vergogne : "s'il vous-plaît arrêtez de m'envoyer des e-mails". On ne comprend pas ce qu'il marmonne ensuite mais quelque chose nous dit que ce tacle, qui introduit la chanson d'amour inédite "If You Love Someone Tonight" (ici dans le New Jersey en novembre), est un message déguisé à sa fiancée, la très possessive Kim Kardashian. Du genre, "lâchez-moi les filles, cette fois je suis casé et amoureux fou". LES CITATIONS
Les grandes figures de la musique américaine sont convoquées, des Jackson 5 (en intro de "Izzo") à Frank Sinatra (en intro de "Empire State of Mind"), en passant par Otis Redding ("Otis"). Ainsi que Louis Armstrong, dont l'impérissable "Wonderfull World" sert de bande son sur la fin du concert à une projection d'images politiques (Esclaves noirs américains, Ku Klux Klan, Ouragan Katrina, champignon atomique...). Mais on note aussi plusieurs citations de groupes électroniques français, dont l'incontournable "Harder, Better, Faster" de Daft Punk cité sur "Stronger" de Kanye West et un beau clin d'oeil à "D.A.N.C.E." de Justice lors d'un passage de flambeau. Et même s'il n'y pas trace de "Why I Love You" qui abusait du "I Love U So" de Cassius, la France est clairement une belle source d'inspiration pour les deux poids lourds du rap en matière de musique, mais aussi de clips et de mode.
NIGGAS IN PARIS AU RAPPEL : LE RECORD
Jouer "Niggas in Paris", le méga-hit de Watch The Throne", à Paris même, où il a été créé et enregisté (dans une suite du palace le Meurice), était la grande affaire de cette double halte parisienne. Des Américains s'étaient déplacés pour l'occasion, et sur MTV, Jay-Z avait même plaisanté sur l'éventualité de ne jouer que ce morceau durant la totalité du show. Il faut savoir que depuis le début de la tournée en octobre, le duo joue systématiquent "Niggas in Paris" au moins quatre fois de suite au rappel. Et jusqu'à onze fois d'affilée.Ce record, enregistré à Vancouver en décembre, a été égalé vendredi 1er juin à Bercy. Mais samedi, Live Nation, à qui l'on peut faire confiance lorsqu'il s'agit de compter, en a enregistré 10. Nous avions cru en entendre onze. Il faut nous pardonner : la transe était telle qu'on n'avait plus toute notre tête. "Nous avons fait cette foutue chanson à Paris!", a conclu Jay-Z au dernier round, "Merci pour l'inspiration!". A ce stade nous avions encore des doigts pour noter mais plus de voix. Et des étoiles plein les yeux.
"Niggas in Paris" joué 11 fois d'affilée vendredi 1er juin
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.