10 raisons d'aimer Kendrick Lamar, rappeur de l'année
2 - Le phrasé. Voilà bien quelque chose qui continue de nous désespérer chez trop de rappeurs français. Comme si le phrasé, le débit, cet art de rebondir, de cavaler sur le beat ou de s’y lover, d’accélérer ou de ralentir, cette science qui consiste à faire de sa voix un instrument de musique à part entière, était quelque chose d’accessoire. A cet égard, Kendrick Lamar est un modèle. Il suffit pour s’en convaincre d’écouter un seul de ses morceaux, « Backseat Freestyle ». Plusieurs voix, plusieurs tons, plusieurs vitesses en moins de 3 minutes : un vraie leçon !
3 - Un freestyleur hors-pair. Les rappeurs d’excellence cachent souvent de magnifiques freestyleurs. Et quand on dit freestyle, on pense vraiment improvisation à chaud, pas resucée de plusieurs phrases types ré-assemblées à la hâte avec deux ou trois éléments de circonstance. Croyez-nous, le freestyle authentique, il n’y a rien de plus jouissif quand on aime sincèrement le hip-hop. C’est le genre de performance joyeuse et époustouflante que Kendrick Lamar livre les doigts dans le nez. Regardez-le dans ce freestyle à la radio K104 pour Halloween : on lui tend des cartes avec des mots et il doit se lancer sur le beat. Edifiant. Dailleurs on a rarement vu un rappeur aussi heureux lorsqu’il rime. Un sourire jusqu’aux oreilles qui vaut tout.
4 - Des paroles imagées qui sentent le vécu. A l’instar des plus grands, les paroles de Kendrick Lamar sont ultra-imagées et forment dans l’esprit de l’auditeur de véritables petits films. Il a d'ailleurs sous-titré son album "Un court métrage". Second point fort: son propos est sincère et introspectif. “Toute ma vie est dans cet album”, reconnaît-il, “cela fait 25 ans que je le prépare !”. Même les interludes sont authentiques : ce sont ses parents et ses amis qui parlent, tels qu'en eux-mêmes. Quant à la pochette, une photo de famille tirée de ses archives personnelles, elle montre côte à côte une bouteille d’alcool et un biberon, ce qui en dit long sur le climat du disque, où rôde toujours la menace.
5 - Un concept album. “Good Kid, m.A.A.d City ”, raconte la vie de Kendrick et de ses proches, aux alentours de 2004. A cette époque charnière, cet enfant du quartier dur de Compton (Los Angeles) est passé d’adolescent influençable au mauvais chemin tout tracé (en gros la logique implacable qui veut que pour survivre on soit membre de gang, voleur, braqueur, alcoolique, meurtrier et futur repris de justice si on passe entre les balles) à jeune homme déterminé à résister à la pression extérieure et à témoigner de cette réalité dans ses raps. Véritable film noir, ce disque nous plonge dans la psyché de différents personnages aux prises avec la spirale infernale de l'adversité et de l'ignorance. Tous les états d’esprit et tous les points de vue s'y croisent donc de façon magistrale et sans jugement. D’où l’intérêt de toujours gratter sous la surface pour capter le message. Comme sur “Swiming Pools (Drank)” qui ressemble au premier abord à une ode à l’alcool et est finalement tout le contraire. Ou le fanfaron “Backseat Freestyle”, qui reflète en réalité la mentalité ado insouciante de Kendrick et ses amis avant que tout ne bascule quelques chansons plus loin avec la mort d’un des leurs (sur “Sing about me, I’m dying of thirst”).
6 - Dr Dre aux commandes. Le producteur maestro qui a déjà révolutionné le son du hip-hop à plusieurs reprises (avec NWA, Snoop Dogg mais aussi Eminem et 50 Cent, entre autres), est crédité comme producteur exécutif de cet album et partage le micro sur “Compton” et “The Recipe”, premier single harpon. C’est sur Youtube que Dr Dre a découvert Kendrick, originaire comme lui de Compton. Ils se sont vus, ça a “tout de suite collé” selon l’intéressé, et le contrat sur le label Aftermath de Dr Dre n’a pas traîné. Cette caution maousse n’est pas sans incidence sur le décollage fulgurant de Kendrick Lamar en 2012. Mais elle ne doit pas faire oublier que Lamar, star montante de la mixtape depuis plusieurs années et auteur d’un premier album studio digital et indépendant bien accueilli en 2011, avait déjà fait ses preuves avant que ce fameux docteur ne s’occupe de son cas.
7 - La crème des beatmakers et des featurings de luxe. Outre Dr Dre, du beau linge se presse sur ce disque. Pharrell Williams, Hit-Boy, Just Blaze, Scoop De Ville, T-Minus, pour ne citer que les plus connus, sont aux manettes côté production. Et ils font des étincelles. Drake, Jay Rock, le vétéran McEih et Mary J Blige sont invités au micro. En principe, Lady Gaga aurait dû figurer sur le titre “Bitch, don’t kill my vibe”, mais le choix final en a décidé autrement (écoutez la démo du duo). Kendrick reste aussi très demandé chez les autres. Ses derniers featurings en date : chez Asap Rocky (à écouter ici) et chez la chanteuse Dido (à écouter là).
8 - Un son. Kendrick Lamar n’est pas juste un rappeur avec une tripotée de bons beatmakers à son chevet. Son album forme un tout cohérent très maîtrisé où tout est à sa place. Mais il sonne aussi comme une bouffée d’air frais, un renouveau sonore. Pour résumer, on dira qu'il s'agit d'une soul-funk futuriste à mi-chemin entre la Californie et Atlanta, qui hésite entre climats mélancoliques, doux mais hantés, et grosses basses festives. Ce style singulier hisse Kendrick à la proue du nouveau son hip-hop de la côte Ouest (parce qu'à l'Est la nouveauté c'est plutôt Asap Rocky).
9 - Le Bob Dylan noir ? Dès 2011, Snoop Dogg, Dr Dre et Game avaient déjà publiquement couronné Lamar “Nouveau roi de la côte Ouest”. Cet hiver, c’est la bible du rap américain, The Source, qui lui a décerné le titre envié de rappeur de l’année 2012. Dans le hip-hop, Kendrick Lamar est déjà considéré comme l’égal d’un Nas, d’un Jay-Z ou d’un Snoop Dogg. Pharrell Williams va plus loin : “Kendrick est le Bob Dylan noir”, dit-il au site Complex. “C’est le mc le plus phénoménal et son album va totalement changer la direction du hip-hop. C’est le plus poétique, le plus honnête. Il nous offre des chansons de rap pleines d’espoir.”
10 - Inspiré par les plus grands, il inspire à son tour. Quels rappeurs Kendrick Lamar a-t-il le plus écoutés ? Le site Complex a publié un diaporama de ses 25 albums préférés. On y trouve, ce qui est compréhensible, une grosse dominante de rap côte Ouest. Dr Dre, Dj Quick, Jay-Z et Notorious Big sont en bonne place. Mais c’est 2 Pac qui se taille la part du lion avec trois galettes. “Me Against The World”, “All Eyez On Me” et “Makaveli” étaient “en rotation lourde en permanence sur la platine de mon père”, se souvient-il. Ce père, qui, répète-t-il dans toutes les interviews, l’a sauvé du pire grâce à son amour, ses conseils et son attention constante, même s'il était peu présent à la maison. "N'importe quel type peut tuer un homme", le sermonne ce dernier dans un interlude. "Ca ne fait pas de toi un homme. Etre vrai c'est être responsable. Et prendre soin de ta putain de famille." "Avant, la merde des gangs était considérée comme cool", souligne Kendrick, mais ce n'est plus le cas maintenant. Grâce à lui et à une poignée d'autres lutteurs du verbe, cet artifice destructeur est en passe de devenir totalement has-been. On applaudit.
Kendrick Lamar est en concert à Paris le 29 janvier mais aussi le 25 janvier à Zurich, le 26 à Lausanne, le 27 à Marseille, le 28 à Lyon et le 3 février à Bruxelles.
Une édition Deluxe et vinyl de l'album "Good Kid, m.A.A.d City" sort en France le 31 décembre avec quatre titres en supplément, dont le single "Recipe" avec Dr Dre.
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