Vesperini sur "Faust" à Bastille : la modernité là où on ne l'attend pas
Lunettes rectangulaires et cheveux en arrière, un air poète, Jean-Romain Vesperini est pourtant un metteur en scène qui a les pieds sur terre. Pendant 9 mois il a pensé et organisé la remise sur pied à Bastille d'une grande production, celle d'un "tube" de l'opéra français, "Faust" de Gounod. La précédente version avait laissé des traces très négatives.
Pour la reprise, Michel Plasson, le chef de 82 ans, et Stéphane Lissner, nouveau directeur de l'Opéra, ont donc misé sur lui, l'ancien assistant de Jean-Louis Martinoty (qui avait assuré la première mise en scène), 33 ans à peine, non dépourvu d'expérience (en France comme à l'étranger), mais à ses premières armes à un tel niveau de responsabilités. Rencontre.
Comment avez-vous été choisi et quelles ont été vos contraintes de mise en scène ?
La production du "Faust" de Gounod s'était très mal passée. Stéphane Lissner et Michel Plasson m'ont passé commande d'une mise en scène "de facture classique" de manière à mettre en valeur la musique. Parmi les contraintes, il y a eu celle de conserver une partie des décors et en particulier une immense structure, une "coquille", sorte de grande bibliothèque. De par ma formation, et mon parcours jusqu'ici, j'étais la personne adéquate. Etant jeune, j'étais également plus à même d'accepter de travailler dans des conditions difficiles. Et en effet, la commande m'a été confirmée l'été dernier : j'ai eu donc neuf mois, et à peine quinze jours de répétitions, six répétitions avec le chœur. Pour moi ça a été un gros défi, un exercice de style.
Gounod propose une version très amoureuse, très française de "Faust", loin de la réflexion philosophique de Goethe. Quelle lecture vouliez-vous en donner ?
La version de Gounod s'éloigne en effet beaucoup de celle de Goethe, à tel point que les Allemands l'appellent "Marguerite" et pas "Faust". Je n'ai pas voulu redonner vie à Goethe, et, au contraire, mettre en valeur la dimension sensuelle de l'oeuvre. L'autre aspect qui m'a intéressé est l'aspect fantastique de l'œuvre.
Pourquoi cette dimension fantastique ?
Le fantastique, ça fait rêver ! Et c'est une des dimensions qui m'intéressent à l'opéra. De quoi s'agit-il ? C'est l'apparition de l'irréel dans un univers réaliste. Ça part de l'idée que le vieux Faust, lassé de sa vie, boit une coupe censée contenir du poison – c'est ce qu'il a versé. Mephisto, le diable, lui demande de croire que dans cette coupe maintenant il n'y a plus de poison, mais la vie. Etant terre à terre, je me dis qu'il n'y a pas de transfiguration possible. Mephisto existe-t-il vraiment ? Ce que voit le public, est-ce réel ou irréel ? A partir de cela, il m'a fallu introduire dans chaque tableau des éléments un peu irrationnels. Marguerite par exemple, apparaît dans une scène démultipliée en 14 "doubles", dansant autour de Faust, comme dans des fantasmes. Ce qui les unit : un code couleur (la même tenue bleu et marron, ndlr) qui ajoute une dimension un peu surnaturelle.
Et ce fantastique existe en opposition à une réalité que vous avez daté des années 1930. Pourquoi cette période ?
Parce qu'on est à cheval entre deux mondes : après la 1ère guerre mondiale, il y a tout un monde de conventions sociales, de traditions de mœurs qui s'écroule. Il y a ensuite la crise de 1929, et une autre guerre qui se profile, alors que ça devait être "la der des der" (et le retour des soldats est là pour nous rappeler l'ambiance militaire). De son côté, Faust est un homme entre deux eaux. Le situer dans les années 30 renforçait cette dimension : appartenant à un vieux monde, Faust vit dans un univers qu'il n'arrive pas à s'approprier. Quand il demande la jeunesse à Méphistophélès, ce n'est pas un lifting qu'il souhaite, c'est la possibilité de s'approprier la vie. Enfin, un dernier aspect m'intéresse dans les années 1930 : aujourd'hui, on vit une crise mondiale, la montée de nouveaux extrémismes, et souvent on nous renvoie à cette époque. Tout ça pour moi était beaucoup plus intéressant que de le transposer dans un univers tout à fait contemporain.
Vous êtes un jeune metteur en scène, contraint néanmoins de conserver une "facture classique" à cette production. Comment concevez-vous votre rôle ?
Un metteur en scène jeune est censé faire n'importe quoi sur le plateau, balancer de la boue, mettre les chanteurs la tête en bas, sinon il n'est pas vraiment metteur en scène…. J'ai beaucoup travaillé avec Peter Stein et il me disait récemment : aujourd'hui être simple c'est être avant-gardiste. C'est vrai. Les gens sont choqués qu'on puisse raconter une histoire. Ils voudraient qu'un metteur en scène travaille comme un plasticien. L'image est importante, mais doit avoir une raison d'être dramaturgique, sinon ça n'a pas de sens. Le metteur en scène est au service de l'œuvre, doit lui donner plus de force. C'est d'autant plus nécessaire dans Faust que le livret est un peu plat pour le public d'aujourd'hui : ces histoires d'honneur, de sœur qui se fait déflorer par un jeune premier, ça choquait au XIXe et c'était sa fonction, mais aujourd'hui ?
En quoi peut consister la modernité d'un jeune metteur en scène d'aujourd'hui ?
La modernité est dans la fraîcheur, l'énergie, les idées "jeunes" qu'il peut apporter. Vous savez, même avec des décors et des costumes contemporains, la mise en scène peut être ringarde, c'est-à-dire avec des chanteurs qui chantent n'importe quoi ou qui ne sont pas dirigés ! A contrario, on peut avoir une scénographie ancrée dans un style, une époque, et une mise en scène moderne. La modernité est apportée par les comédiens sur scène, pas par les oripeaux, les costumes, ou le décor.
Revenons à Faust de Bastille : on est surpris par un crescendo, une montée en puissance de la proposition scénique, autant visuellement qu'au niveau du rythme.
Ça tient d'abord à l'œuvre, faite dans un crescendo. Ensuite, on a la sensation que l'action se resserre, parce qu'il n'y a quasiment plus de changement de décor dans les deux derniers actes. Enfin, et surtout, c'est une question de rythme. Ma formation de chanteur y est sans doute pour quelque chose, mais c'est la mise en scène qui apporte le rythme à un spectacle, même si la partition définit les tempi. Si on en a conscience et si on utilise les bons artifices, au bout d'un moment, ça se ressent.
A propos d'artifice, une véritable explosion a lieu sur scène, suivie d'un cercueil en feu…
Oui, en effet, par ce que ça commençait à sentir le roussi (rires)… Le feu est l'un des thèmes récurrents dans "Faust" : une bougie par ci, des chandeliers par là, et effectivement, la nuit de Walpurgis, et le cercueil en flammes. J'aime l'artisanat de manière générale, surtout quand il est réalisé avec cette exigence. Au théâtre ces artifices sont très rares à cause des contraintes de sécurité. Mais j'avais envie que ce cercueil, qui illustre le soldat inconnu, puisse exploser. Ce sont des effets qui donnent un coup de fouet. Mais il y en a d'autres. J'ai par exemple fait ajouter un ballet, l'un des cinq écrits par Gounod, qui sont généralement coupés. Je l'ai rajouté parce que son tempo est assez endiablé et donne de la force au tableau de Walpurgis.
Parlons d'avenir : qu'est-ce qui vous motive dans le choix d'une production ?
Je dirais : une grande œuvre avec un grand chœur, ou en tout cas une grosse participation du chœur. La mise en scène est motivée par une œuvre, par son compositeur, mais aussi par les artistes qui l'interprètent. Et sur cette production par exemple, je me suis entendu avec tous les artistes, mais j'ai particulièrement apprécié le travail du chœur de l'opéra. J'adore travailler avec les chœurs et les ensembles, ils sont rarement exploités. Là ils sont 90, ce sont 90 solistes ! De vrais artistes, avec des personnalités très fortes !
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