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Un Don Giovanni très séducteur au théâtre des Champs-Elysées

Un chef-d’œuvre de Mozart, un de nos plus brillants metteurs en scène de théâtre, Stéphane Braunschweig, un jeune chef à la mode, Jérémie Rohrer, mais néanmoins (très) musicien, de jeunes chanteurs talentueux : le cocktail prend.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
  (PIERRE VERDY / AFP )
Reportage : J-L. Serra, P. Pachoud, O. Crouet, S. Sonder
La critique

Le Canadien Robert Gleadow est un magnifique Leporello

Le valet Leporello chante à Donna Elvira le fameux  «Air du catalogue »  : il énumère les conquêtes de son maître, Don Juan, il vit ce que Don Juan a vécu, il joue Don Juan, il EST Don Juan. Le Canadien Robert Gleadow est un magnifique Leporello, voix de tonnerre, virtuosité, musicalité, présence.

Et toutes les facettes du personnage sont là, qui font de Leporello le personnage le plus complexe de l’œuvre. Il y a beaucoup de belles idées dans la mise en scène de Stéphane Braunschweig. Il ne nous propose pas de vision inédite mais il creuse, il éclaire, à l’aide même du texte, des aspects qui enrichissent encore le travail de Mozart et de son librettiste da Ponte.
Don Giovanni playboy
Décor tournant en noir et blanc, pas de mobilier sauf un lit, lit défait ou lit de morgue. Et des fenêtres mais inaccessibles ou tendues de noir. On n’est plus à la fin d’un monde (1787, deux ans avant la Révolution Française), on est déjà de l’autre côté. Costumes en noir et blanc (2 taches de couleur rouge en 3 heures d’opéra !), Don Giovanni playboy, bottines noires, pantalon-fuseau, pull en V noir à même la peau sous veste blanche. Mais quand il chante « Nous voulons rire et badiner », il pose sur sa jolie figure un masque de squelette. Le lit, la chambre, la mort. Et la femme : celle-ci plus séductrice que d’habitude et moins victime.
Robert Gleadow
 (PIERRE VERDY / AFP )
Remarquable Serena Malfi
Elvira n’est jamais ici, comme si souvent, l’image furieuse de la justicière : quand elle retrouve Don Juan, tout en l’insultant, elle le caresse et l’enlace. Zerlina elle, prend le pouvoir sur son mari Masetto comme sur Leporello –terrible moment où elle s’apprête à le castrer faute d’avoir mis la main sur son maître. Et elle prend aussi le pouvoir en tant que femme du peuple : remarquable Serena Malfi, voix fruitée, chaude, des allures de Bartoli et parfois son rire.
Serena Malfi et Nahuel Di Pierro
 (Pierre Verdy/AFP)
Ce Don Juan n'est que séduction, sûrement pas révolution
Braunschweig joue à fond le jeu de miroir Leporello-Don Juan. Leporello est un de ces mignons jeunes gens qui «font » aujourd’hui serveurs dans les bars à la mode en espérant devenir un jour acteurs ou mannequins. Il est constamment dans le « Maintenant c’est à mon tour » mais quand ça lui arrive il devient laid, avance courbé. Voyeur d’un Don Juan qui n’est que plaisir immédiat, ardeur et charme. L’énorme reproche que l’on peut faire à cette mise en scène si vive dans la direction des chanteurs, c’est d’ignorer la dimension d’un Don Giovanni repoussant les limites de la liberté, défiant les lois, la société, le destin. Ce Don Juan n’est que séduction, sûrement pas révolution.

Miah Persson en Elvira est la déception
En Donna Anna, Sophie Marin-Degor, qui n’a pas la plus belle voix du monde (aigus tendus, manque de moelleux) a au moins l’engagement, la présence, l’émotion. L’Allemand Daniel Behle, avec son physique pâlichon de fonctionnaire poutinien, devient très émouvant quand il chante et c’est exactement le personnage d’Ottavio. Nahuel Di Pierro en Masetto, Steven Humes en commandeur, sont très bien. Reste l’énigme Miah Persson en Elvira : beaux récitatifs (car surtout cantonnés au médium) mais dans les airs (le «Mi tradi » !) les aigus sont vibrés, les graves inconsistants, la ligne de chant chaotique. La Suédoise, qui est la plus connue de cette affiche très homogène, en est la déception.
Serena Malfi, Robert Gleadow, Nahuel Di Pierro, Markus Werba Miah Persson
 (PIERRE VERDY / AFP )
Jérémie Rohrer toujours à l'écoute des chanteurs
Jérémie Rohrer, après une ouverture virtuose mais rèche de sons et sans couleur, s’installe, distille, dynamise, toujours à l’écoute des chanteurs ; et son « Cercle de l’Harmonie » est de plus en plus juste d’accents, avec de superbes éclats de violence. J’ai gardé Markus Werba pour la fin. Il est la séduction même, on le croit un peu écrasé au début par Leporello mais, d’une voix moins puissante et cependant très belle et très homogène, il enlève superbement ses deux « tubes », le « La ci darem la mano » et la sérénade « Deh vieni alla finestra ». Sa mort est un magnifique moment, de musique, de jeu et de mise en scène.

Reste l’énigme sur laquelle nous laisse Braunschweig : un homme, Leporello, couché en position fœtale sur un grand lit blanc, veillé par des personnages en noir et par un masque de mort, et qui a peut-être rêvé tout cela.

Don Giovanni de Mozart au théâtre des Champs -Elysées
Du 25 avril au 7 mai


Jérémie Rhorer direction
Stéphane Braunschweig  mise en scène et scénographie
Anne-Françoise Benhamou  dramaturgie
Thibault Vancraenenbroeck  costumes
Marion Hewlett  lumières

Markus Werba Don Giovanni
Miah Persson Donna Elvira
Daniel Behle Don Ottavio
Sophie Marin-Degor Donna Anna
Robert Gleadow Leporello
Serena Malfi Zerlina
Nahuel Di Pierro Masetto
Steven Humes Le Commandeur


 

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