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"Tancredi" de Rossini : Marie-Nicole Lemieux donne tout

Au Théâtre des Champs-Elysées fin du "projet Rossini" : après l'"Otello" du duo Spinosi-Bartoli et "Le Barbier de Séville", voici "Tancredi" d’un compositeur de 21 ans avec dans le rôle-titre la grande contralto canadienne Marie-Nicole Lemieux.
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Tancredi de Rossini au TCE
 (Vincent Pontet-WikiSpectacle)
Du pur Rossini
Une œuvre insolite qui démarre doucement. Une œuvre «sérieuse » composée (quelle prolixité !) entre deux bijoux comiques, « Il Signor Bruschino » et « L’Italienne à Alger ». Dès l’ouverture, c’est du pur Rossini, cela fuse, cela pyrotechnise mais sur le ton de l’héroïsme, de la véhémence, du militaire… où Rossini n’est pas forcément le meilleur.

Le banni Tancrède revient en secret à Syracuse pour revoir Amenaide, la fille du roi Argirio. Mais celui-ci a promis Amenaide au roi de Sicile Orbazzano, qu’il veut comme allié pour vaincre le Sarrasin Solamir. Amenaide, qui aime toujours Tancrède, refuse ce mariage. Orbazzano, furieux, présente à toute la cour une lettre qu’Aménaide a envoyée à Tancrède et accuse la jeune femme de l’avoir destinée au chef sarrasin. Accusée de trahison Amenaide attend la mort. Tancrède provoque en duel Orbazzano, le tue, convainc Argirio que sa fille n’est pas coupable mais lui-même en doute; mélancolique, il s’en va chercher la mort en même temps que la victoire et expire devant Argirio, Amenaide et les chevaliers. Il apprendra, à son dernier souffle, que le billet d’Amenaide lui était bien destiné et qu’elle est restée fidèle et à sa patrie et à son amour.

Un très beau travail théâtral
C’est une pièce de Voltaire. Qui nous confirme que la postérité a eu raison de l’oublier. La mise en scène de Jacques Osinski, dans la première partie, est statique, assez maladroite dans le sextuor où Amenaide est accusée et qui devrait être un sommet dramatique (chevaliers indifférents, solistes plantés comme des piquets). Mais elle trouve son intensité ensuite, quand l’action se resserre sur la psychologie des personnages (les batailles, les duels, se passent hors champ !), succession d’airs et de scènes d’un très beau travail théâtral, qui culmine à la mort de Tancrède devant des combattants plongés dans l’ombre tels des fantômes. Les éclairages de Catherine Verheyde magnifient l’agonie du héros solitaire qui n’ose croire à l’amour, après avoir, à la fin de l’acte 1, englouti Aménaide condamnée dans un puits de lumière comme si le martyre de celle-ci était aussi son triomphe… 
Une mise en scène un peu statique mais un beau travail théâtral
 (Vincent Pontet-WikiSpectacle)
Le triomphe de Marie-Nicole Lemieux et de Patrizia Ciofi 
Cette mort de Tancrède étonne par son dépouillement musical, son économie de moyens d’une austère beauté. Mort qui sera refusée par le public de 1813, celui-ci préférant la fin heureuse que Rossini avait prévue d’abord. Marie-Nicole Lemieux y est bouleversante, comme pendant les deux heures précédentes, voix dorée d’automne canadien, facilité des vocalises qu’elle intègre à la ligne de chant avec une admirable souplesse. L’apparence est incroyable, la corpulence de la chanteuse sanglée dans un costume trois-pièces qui la rend immédiatement crédible en combattant héroïque, le visage ourlé d’un fin collier de barbe sans qu’elle fasse travelo! Pari audacieux, gonflé…réussi. 
Marie-Nicole Lemieux crédible en combattant à la barbe
 (Vincent Pontet-WikiSpectacle)
Elle trouve en Patrizia Ciofi une superbe Amenaide. Ciofi n’a pas le timbre le plus caractérisé du monde. Mais sa magnifique musicalité, sa superbe technique (contrôle du souffle, de la ligne de chant, préparation des aigus, moelleux des notes piano), viennent à bout des pièges terribles de son rôle : dans son air du 2, « Deh, tu proteggi », même les petits accidents (impossible qu’il n’y en ait pas!) participent de la performance… Son Aménaide passionnée, véhémente, parfois aux lisières de la folie (nous rappelant la grande « Lucia di Lamermoor » qu’elle fut à l’Opéra en alter ego de Natalie Dessay), forme avec Lemieux un duo mémorable : le « Quale per me funesto » du 1 et surtout le « Ah ! si mora » du 2, les deux femmes accroupies, rapprochant leurs têtes, sont les grands moments de cette soirée. 
Le reste est un peu en-dessous. Antonio Siragusa en Argirio est très bien dans les (nombreux) récitatifs, les passages lents, l’élégie, mais incertain dans les vocalises, souvent hasardeux dans les aigus des passages rapides où le chant devient métallique et où l’on souffre pour lui… et aussi pour nous. Christian Helmer est un bon Orbazzano sans personnalité. Après une première scène incertaine Josè Maria Lo Monaco, en confidente d’Aménaide, se tire fort bien de son air « Tu che i miseri ». Et Sarah Tynan, en Roggero, l’aide de camp de Tancrède, encore mieux du « S’averassero pure » : on aimerait la revoir chez Mozart, en Chérubin.

Enrique Mazzola a un sens imparable de la mélodie rossinienne, de sa souplesse, de sa rythmique, de ses contrastes. Il dirige un Philarmonique de Radio-France qu’on a connu meilleur (les attaques sont dures, les cuivres et les percussions sonnent « bastringue »). Chœur masculin (recruté pour l’occasion) impeccable. Mais ce « Tancredi » est d’abord le triomphe de Lemieux et aussi de Ciofi qui nous rappelle ainsi, et justement, à quelle grande artiste nous avons affaire.

"Tancredi"i de Rossini au Théâtre des Champs-Elysées
15 Avenue Montaigne, 75008 Paris
01 49 52 50 00
Lundi 19 Mai 19h30
Mercredi 21 Mai 19h30
Vendredi 23 Mai 19h30
Dimanche 25 Mai 17h
Mardi 27 Mai 19h30






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