Raphaël Pichon dirige "Miranda" à l’Opéra comique : règlements de compte chez Purcell
Il ne fait pas beau, il ne fait pas bon dans le Suffolk, sur la côte est de l’Angleterre. Surtout, l’ambiance est lourde et l’air irrespirable à l’intérieur même de l’église de béton, belle mais si glaciale, où se déroule l’action de "Miranda". Et comme cette froideur, et la noirceur de l’histoire qui s’annonce, tranchent avec la beauté de la musique de Purcell qui l’illustre et l’accompagne ! Procédons par ordre.
Un spin-off à l’opéra
"Miranda" n’est pas un opéra déjà existant. C’est un montage, une réécriture dramaturgique et musicale à partir d’un personnage de la pièce de Shakespeare "La Tempête", Miranda. C’est une sorte de "spin-off" on dirait aujourd’hui au cinéma ou à la télévision, un sujet dérivé qui, pour l’histoire s’inspire de Shakespeare, et pour la musique se sert d’extraits de Purcell compilés pour l’occasion. Choquant ? Pas du tout. Côté théâtre, les personnages de "La Tempête" ont de tout temps inspiré d’autres œuvres. Côté musique, les emprunts, adaptations et autres réécritures sont légion en particulier dans la musique ancienne et baroque. Le chef et directeur musical du projet, Raphaël Pichon, renoue avec la tradition du "semi-opéra" typique de Henry Purcell, à partir de pièces profanes et sacrées - pour la plupart rares et peu données - du compositeur baroque du XVIIe siècle.Autre maître d’œuvre du projet, la metteure en scène Katie Mitchell. Habituée d’Avignon, très inventive, cette artiste britannique qui compte, multiplie les projets novateurs d’adaptation littéraire pour le théâtre, la télévision et l’opéra. Avec Raphaël Pichon, elle avait déjà conçu un travail à partir des Cantates de Bach. Pour ce projet Purcell, elle s’est entourée d’une véritable librettiste, Cordelia Lynn.
Ensemble, elles ont imaginé "Miranda" comme une suite de la pièce de Shakespeare, dans laquelle le personnage principal, Prospero, un souverain déchu contraint à l’exil, manoeuvrait pour son retour depuis une île perdue où il attendait notamment avec sa fille Miranda. Le semi-opéra proposé aujourd’hui à l’Opéra comique commence là, avec le retour à la civilisation. Et par une triste nouvelle, qu’on découvrira fausse, le suicide de cette jeune femme, disparue en mer, et dont on célèbre donc les funérailles.
Coup de théâtre
D’où l’air défiguré de tristesse des présents à l’office, son fils Anthony (Aksel Rykkvin, voix de soprano, 14 ans, remarquable), son mari Ferdinand (le ténor Allan Clayton), sa belle-mère Anna (merveilleuse Katherine Watson que l’on avait découverte dans "Theodora" de Haendel à Paris il y a deux ans) et son père Prospero (joué le premier soir par Henry Waddington, souffrant, mais chanté depuis la fosse par le baryton Alain Buet).Mais, coup de théâtre, la cérémonie funèbre doit s’arrêter là. C’est une autre cérémonie qui semble se dessiner sous nos yeux, celle d’un étonnant mariage. Car une mariée s’avance vers l’autel le visage couvert d’un masque noir, accompagnée de drôles de sbires. Avec elle, une autre narration des faits prend forme, portée par la voix que l’on découvre être celle de Miranda. "Vous êtes un criminel. Vous êtes un menteur. Vous êtes abusif, manipulateur, égocentrique", lance la mariée à Prospero. Et de conclure, plus loin : "Désormais, c’est moi qui raconte l’histoire". En bref : père, je vous hais. Les épreuves qu’a connues Miranda lors de sa jeunesse, contées dans "La tempête", ont laissé des traces indélébiles. L’heure du déballage est arrivée.
Festen chez Purcell
"Miranda" joue intelligemment de la modernité de son écriture et du contraste entre celle-ci et les oeuvres de Shakespeare et de Purcell. On est surtout conquis par l’action, par les rebondissements. Katie Mitchell, en bonne directrice d’acteurs, parvient à dessiner des scènes presque cinématographiques avec des "ralentis" qui ne font que renforcer le passage de bascule. Quant au règlement de comptes, il est aussi spectaculaire qu’un braquage de banque ou qu’une prise d’otage.La violence avec laquelle Miranda, pistolet à la main, exprime la souffrance vécue, d’avoir été "exilée, violée, et mariée alors qu’elle était encore enfant", est à la hauteur de cette souffrance. C’est réussi. Une sorte de "Festen" (le film de Vinterberg) chez Purcell, même s’il ne s’agit pas ici d’inceste. La scène est efficace. L’émotion, elle, n’est pas toujours là. Certes, la mezzo-soprano américaine Kate Lindsay, très convaincante dans le rôle titre, exprime par exemple tout son mépris et sa douleur par de brusques passages des aigus aux graves. Mais le propos est un peu trop à sens unique. Tout le monde semble visé par la haine de Miranda : y compris, au début, une autre victime de Prospero, sa femme Anna, contrainte de supporter sa tyrannie. Mais, évidemment, les hommes en prennent plein la figure : son mari Ferdinand, "coupable de l’avoir aimée", elle si jeune, et surtout, évidemment, Prospero, dépeint de bout en bout comme odieux et autoritaire.
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