"Faust": un psychodrame lance la saison de l'Opéra de Paris
Première nouvelle production de la saison de l'Opéra de Paris, "Faust", l'un des plus célèbres ouvrages lyriques français, mise en scène ici par Jean-Louis Martinoty, aura connu des déboires inattendus. La crise éclate au grand jour le 16 septembre, quelques jours avant la première représentation à la Bastille, prévue le 22. L'Opéra de Paris annonce dans un communiqué que le chef d'orchestre français Alain Altinoglu remplacera Alain Lombard au pupitre de chef, précisant que ce dernier fera son retour la saison prochaine dans l'institution lyrique.
Alain Altinoglu a déjà dirigé Alagna dans "Faust" en avril 2011 à l'Opéra de Vienne dans une production qui a remporté un grand succès. Pour le chef d'orchestre, que nous avons interrogé par téléphone le 29 septembre, le remplacement constitue un clin d'oeil du destin: "Il y a trois ans, le directeur de l'Opéra de Paris Nicolas Joël m'avait justement demandé de diriger cette nouvelle production de 'Faust'. Or je m'étais déjà engagé à diriger un 'Falstaff' à Vienne. On avait réussi à programmer des dates de représentations qui soient compatibles entre Vienne et Paris, mais on n'y était pas arrivé avec les répétitions." Alain Altinoglu a donc renoncé à "Faust". "Quand l'Opéra de Paris m'a confirmé l'invitation à remplacer Alain Lombard, les dates de répétitions incompatibles avec Vienne étaient déjà passées, donc j'ai pu venir."
Des divergences avec les chanteurs
A l'origine du départ surprise du chef français âgé de 71 ans, figurent des tensions, notamment avec Roberto Alagna. Le 18 septembre, le chanteur franco-sicilien se confie sur le site web du "Figaro". Se disant "vraiment déprimé" par cette affaire, il admet des mésententes allant au-delà des simples problèmes de ponctualité relayés dans la presse (il concède au passage deux retards à des répétitions matinales), puisque ces mésententes avaient aussi des motifs artistiques. Il explique notamment qu'"il semble y avoir un fossé entre la conception qu'il (Alain Lombard) a de 'Faust' et la mise en oeuvre de cette même conception".
Sur le Figaro.fr, Roberto Alagna détaille les problèmes rencontrés avec le chef, indiquant qu'il a lui-même pensé quitter l'aventure : "Durant les innombrables répétitions avec orchestre, il ne cessait de changer de tempo, comme s'il ne parvenait pas à trouver celui qu'il cherchait en lui-même. Ce qui est très perturbant pour un chanteur, car tout est affaire de respiration. Il déclarait : 'Je ne sais pas faire autrement.' Et lorsque je lui ai fait remarquer qu'il ne me laissait pas respirer, il a hurlé : 'Je ne suis pas devin !' Moi, ça m'a complètement bloqué. Voilà vingt-huit ans que je chante Faust, je n'ai plus la souplesse d'un débutant et il m'a mis en difficulté. J'avais donc décidé de me retirer de la production, le théâtre m'a convaincu de revenir sur ma décision."
"Roberto Alagna n'était pas le seul chanteur à se plaindre sur la question des tempi", confie Alain Altinoglu, sans vouloir donner de nom. "Alain Lombard avait une conception générale de 'Faust' qui ne correspondait pas à la façon dont les chanteurs ont l'habitude de l'interpréter." Aux problèmes artistiques, se sont ajoutés de banals problèmes de ponctualité de Roberto Alagna, qui n'ont fait qu'envenimer les tensions. "Quand les gens ne se supportent plus, tout prend des proportions démesurées", soupire le remplaçant d'Alain Lombard.
Une situation tendue au sein de l'orchestre
Quand Alain Altinoglu débarque à l'Opéra de Paris, l'après-midi de la répétition pré-générale, il ressent le malaise des musiciens. "Le premier jour, l'ambiance était tendue, car l'orchestre de l'Opéra de Paris aimait beaucoup Alain Lombard et n'était pas au courant de ma venue !" Mais les musiciens connaissent bien Alain Altinoglu, qui les a dirigés dans l'opéra "Salomé" de Richard Strauss à l'automne 2009. "C'est un orchestre extrêmement professionnel. Au bout de deux répétitions, nous avons pris nos marques et je me suis senti très heureux de ce que j'entendais !"
Entre-temps, le 21 septembre, veille de la première à l'Opéra-Bastille, à nouveau cité par "Le Figaro", Alain Lombard reconnaît : "J'ai connu des jours meilleurs." L'Opéra de Paris pourra en dire de même ! Une grève perturbe la reprise de la saison de l'institution, côté Bastille et Palais Garnier. Le 22 septembre, la première de "Faust" doit être jouée en version de concert, sans costumes ni mise en scène. Pour Alain Altinoglu, c'est un mal pour un bien : "Finalement, dans ces conditions, je l'ai vécu presque comme une répétition supplémentaire." D'autres représentations sont sous la menace de nouvelles journées de grève, dont celle du 10 octobre censée être retransmise sur France 3.
Au soir du 28 septembre, Alain Altinoglu a pu enfin diriger "Faust" dans des conditions normales. Cet opéra, il le connaît fort bien. Il l'a déjà dirigé une vingtaine de fois dans sa carrière, et l'aura à nouveau dirigé dans quatre productions différentes en 2011, à Paris, Vienne, Berlin et New York.
"Faust", opéra de Charles Gounod
22 septembre - 25 octobre 2011
Réservations : 08 92 89 90 90 (0,34€/mn), +33 1 71 25 24 23 depuis l’étranger, ou site web
Distribution :
Roberto Alagna : Faust
Paul Gay : Méphistophélès
Tassis Christoyannis : Valentin
Alexander Duhamel : Wagner
Inva Mula : Marguerite
Angélique Noldus: Siebel
Marie-Ange Todorovitch : Dame Marthe
Avec la participation de Rémy Corazza (Faust II)
Direction musicale : Alain Altinoglu, Garrett Keast (13, 25 octobre)
Mise en scène : Jean-Louis Martinoty
Chef du choeur : Patrick Marie Aubert
Décors : Johan Engels
Costumes : Yan Tax
Lumières : Fabrice Kebour
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