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Le chant de liberté de Marie-Laure Garnier, Révélation lyrique des Victoires classiques 2021

Mais qui est donc Marie-Laure Garnier, Révélation lyrique des dernières Victoires de la musique classique ? Une belle voix de soprano puissante à la finesse insoupçonnée qui se nourrit autant de Wagner et de Ravel que du gospel. Une femme résolue qui revendique sa "liberté d'être" en musique. Rencontre.

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La chanteuse Marie-Laure Garnier en 2019. (CEDRIC MARTINELLI)

28e édition des Victoires de la musique classique, le 24 février 2021. Soirée singulière, en pleine période d'arrêt de la scène musicale. Les Victoires récompensent la persévérance des musiciens dans l'incertitude. Surtout, on veut soutenir la jeunesse. Et l'on scrute de près les Révélations, porteuses d'enthousiasme. L'une d'elles crée l'événement : la Révélation lyrique décrochée par la soprano guyanaise Marie-Laure Garnier, une première pour une chanteuse issue des territoires ultramarins.

"A tous les chanteurs en herbe d'Outre-mer"

Hiératique dans sa robe longue bleu ciel – qui convenait à merveille à l'air de Tannhauser chanté peu avant - la chanteuse ne cache pas son émotion quand elle monte chercher son trophée : "Venant de Guyane à 14 ans, je ne m'imaginais pas être là ce soir. Je suis heureuse et honorée", déclare-t-elle. Sa Victoire, elle la dédie "à tous les chanteurs en herbe d'Outre-mer" et appelle à combler le manque d'"institutions qui permettent de former des jeunes au chant lyrique" dans ces territoires. Avant d'ajouter un souhait, que "le mot diversité" ne soit pas "une discussion", mais une "réalité" pour les chanteurs français, quelle que soit leur couleur de peau.

Mais ne nous y trompons pas. Le propos de Marie-Laure Garnier n'a rien, en réalité, d'un discours identitaire. "Sur scène, je suis Marie-Laure, pas la Guyanaise qui a fait le grand saut", tranche-t-elle aujourd'hui, lorsque nous nous voyons près de trois mois plus tard à Paris. De la soirée des Victoires, elle retient "l'encouragement massif de tout ce monde professionnel" à la chanteuse qu'elle est, pas à la femme des Îles. Pas non plus de revendications dans ses mots. C'est un fait, dit-elle, "que les Ultramarins ne sont pas très représentés sur le plan national". Mais elle veut plutôt rendre hommage à ce qui déjà existe, et en particulier le concours Voix des Outre-mer dont elle a été la première lauréate en 2019, un sacré pas en avant dans la visibilité donnée à ces territoires.

Foisonnement culturel

En revanche, lorsque la chanteuse née à Kourou il y a 31 ans parle de la Guyane, c'est pour évoquer, le sourire aux lèvres et l'œil qui pétille, le "foisonnement culturel" dont elle a bénéficié étant enfant. "J'étais curieuse, j'ai pu toucher à tout, au piano, au chant, au tambour local, à l'orgue, à la direction de chœur", se souvient-elle ... Et surtout à la flûte traversière, l'instrument qu'elle choisit et qui l'amène à quitter l'île à 14 ans pour la métropole pour tenter un parcours de musicienne.

Paris. Caverne d'Ali Baba d'une adolescente assoiffée de musique et de rencontres. Quelques années après, elle obtient le graal, l'entrée au Conservatoire national supérieur de la musique et de la danse. Mais en chant et pas en flûte, car à la Maîtrise de Paris qu'elle fréquente depuis son arrivée, on a décelé un don brut qui ne demande qu'à être poli. Sept ans de travail. Et en 2013 sa première récompense, de taille : elle est Révélation classique de l'Adami, antichambre des Victoires. Le jury est séduit par "le timbre, la couleur, la résonnance de sa voix", nous disait-il alors.

"J'y vais avec qui je suis"

Marie-Laure Garnier savoure son prix, mais avec la prudence des perfectionnistes. Alors pendant quelques années elle "fait des choses", comme elle dit sobrement aujourd'hui, mais ne tente pas de grosses expositions sur scène. "Je prends mon temps, j'y vais avec qui je suis. C'était important de découvrir le monde dans lequel je voulais aller. A la fois j'ai de l'ambition et la petite voix qui dit : cool, cool… Il y a une maîtrise du temps propre à ma personne. Ça m'a permis d'être prête pour ce second coup de projecteur".

Mais comprendre Marie-Laure Garnier, c'est aussi chercher ailleurs. Dans cette "liberté d'être" qu'elle revendique. "Je suis quelqu'un qui n'aime pas trop se conformer", pose-t-elle, sérieuse. "Certes il y a des choses qu'il faut faire. Mais une fois faites, j'ai besoin de trouver mon sens. L'éclosion de la chanteuse est le fruit de tout ce que j'ai fait à côté : j'ai monté un chœur de gospel que j'ai dirigé pendant dix ans, j'ai travaillé en collège, en association, j'ai fait du bénévolat, des interventions musicales en milieu scolaire, des master-classes gratuites... L'axe était souvent la musique, mais ça me permettait d'intégrer des milieux différents et de me nourrir, de m'enraciner".

"Un profond désir de partage"

L'artiste termine toujours ses longues phrases par un silence marqué. "Ce que j'ai au fond de moi, c'est un profond désir de partage, de bienveillance, de solidarité", poursuit-elle. "En même temps que je m'enrichissais de savoir, en musique savante, en littérature, je m'enrichissais aussi sur le plan humain". Les modèles de Marie-Laure Garnier s'appellent Renée Fleming, Joyce DiDonato, Patricia Petibon. "Des chanteuses qui utilisent leur instrument pour raconter un peu d'elles-mêmes", dit-elle. "Ça me donne un peu envie d'être pareille, de ne pas être dans l'esthétique conventionnelle, mais de juste vouloir dire qui on est"

Marie-Laure Garnier, c'est une voix. "Large, puissante, qui touche", concède-t-elle facilement. "Une voix qui trouve sa place à l'opéra, et qui en même temps est suffisamment malléable et colorée pour la musique de chambre". Une voix "en progression", dit-elle : "je tends vers un soprano dramatique, ce que je ne suis pas pour l'instant". Ce serait "fatal" de brûler les étapes, estime-t-elle. Et si elle a déjà interprété le rôle-titre de Tosca par exemple à l'Opéra de Rouen pour un remplacement, elle s'épanouit plutôt dans le répertoire de grand lyrique, notamment dans sa collaboration régulière avec le Capitole de Toulouse.

Elle ne récite pas, elle "incarne"

Surtout, son grand plaisir est la mélodie française. Regardez-là dans Le corbeau et le renard d'André Caplet (1919), qu'elle interprète avec la pianiste Célia Oneto Bensaid, dans une vidéo éditée par les Victoires de la musique classique. La voix, puissante, et le jeu, entre élégance et humour. Elle ne récite pas : elle "incarne", corrige-t-elle, les deux personnages de la pièce selon les didascalies laissées par le compositeur lui-même.

"Les chanteuses à grande voix sont cataloguées très vite comme si elles ne pouvaient chanter que du Wagner, du Verdi ou éventuellement du Puccini", nous explique-t-elle. "En réalité une voix en bonne santé c'est une voix qui peut faire ce qu'elle veut. En plus, j'ai un vrai amour pour la mélodie, pour la musique de chambre". Au choix, elle interprète Ravel, Fauré, Chausson, Schubert, Brahms ou Schumann. 

Marie-Laure Garnier se fait un point d'honneur à "ne pas se mettre de limite dans le répertoire. Ça veut dire qu'on a une diversité d'esthétique, et donc une palette qui s'enrichit au fil des œuvres et des années de travail". Si dans l'opéra, elle chante "beaucoup de musiques 19e-20e", dans la mélodie, elle veut aborder "du français, de l'allemand, de l'anglais ou de l'américain. Chanter des spirituals, ajouter une touche de jazz, faire des petites excursions dans des répertoires un peu borderline, à l'image des compositeurs qui se sont influencés les uns les autres. C'est à la fois une surprise pour le public et en même temps ça vient enrichir la conception de notre récital et de notre art", résume-t-elle.

Exigence, rigueur et fantaisie

Comme toute la filière du classique, Marie-Laure Garnier a traversé la période de pandémie comme un long tunnel sans ouvertures. Seule éclaircie, la préparation de son premier CD de duos avec sa partenaire de dix ans, la pianiste Célia Oneto Bensaid. L'enregistrement a eu lieu en mai chez Nomad Music pour une parution en mars 2022. "Un disque qui met en miroir des mélodies françaises de Poulenc et de Messiaen avec des spirituals". Liberté, on vous disait. "Avec Célia on avance dans la même direction, on veut garder notre identité en défendant un répertoire avec exigence, rigueur et… [rires] fantaisie. Si possible".

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