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"Lady Macbeth de Mzensk", opéra féministe et sexuel, ovationné à Bastille

Trois heures d'opéra sans temps mort, propos politique en clé #metoo, érotisme débridé et performance exceptionnelle de la soprano Ausrine Stundytè. Le metteur en scène Krzysztof Warlikowski remplit pleinement le contrat à Bastille : son "Lady Macbeth de Mzensk", second opéra de Chostakovitch, interdit en son temps par Staline, fait un malheur. 

Article rédigé par Lorenzo Ciavarini Azzi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
"Lady Macbeth de Mzensk" à l'Opéra Bastille (Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

Chronique d'une mort annoncée : une vidéo projetée sur le carrelage blanc du plateau de Bastille, montre l'héroïne de l'opéra se noyant dans un espace clos (une piscine ?), entraînant avec elle une autre femme. Sentiment diffus d'étouffement. Et le sort tragique de Katerina Ismaïlova ainsi dévoilé dès l'ouverture, avant qu'on en déroule le récit. Celui d'une jeune femme, devenue grande bourgeoise en épousant un marchand de province dans la Russie du 19e siècle, déchue en commettant l’irréparable : l’adultère, puis le meurtre.

Créé en 1934, l'opéra est interdit en 1936

Dans "Lady Macbeth de Mzensk" – dont le lien avec le personnage shakespearien se limite à la dimension criminelle - Dmitri Chostakovitch, qui en co-signe le livret, prend résolument le parti de la femme : délaissée par son mari, subissant la tyrannie de son beau-père, elle est victime d’une société patriarcale destructrice. Si Katerina trompe son mari avec Sergueï, un ouvrier de passage (et si elle tue son beau-père et son mari par une fâcheuse conséquence), c’est par amour et pour enfin exister en tant que femme.

"Lady Macbeth de Mzensk" : l'érotisme est débridé (ici Katerina et Sergueï) dès le 1er acte.  (Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

Métaphore d’un irrépressible besoin de liberté, en ces années de règne stalinien ? Créé en 1934, l’opéra est interdit deux ans après, malgré son succès, taxé par le régime d’œuvre "pornographique" et de "chaos musical".

Cri de révolte, féministe et sensuel à la fois

Présenté déjà deux fois à l'Opéra Bastille (en 1992 et en 2009), il est aujourd'hui repris par le surdoué metteur en scène polonais Krzysztof Warlikowski, qui met le doigt là où ça fait mal. En installant le foyer familial sous la forme d'une cage à l'intérieur même de l'entreprise (exclusivement masculine), un abattoir porcin, il souligne une double pression : celle du patron sur un personnel en situation de "lumpenprolétariat" et, surtout, celle de l'homme sur la femme. "Les" femmes, d'ailleurs. La première victime est la cuisinière Aksinia (parfaite Sofija Petrovic aux beaux aigus), dont la scène du viol collectif, par les ouvriers, au milieu des carcasses, est à frémir de réalisme.

"Lady Macbeth de Mzensk", la scène du viol.  (Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

Narrative et expressionniste, la musique de Chostakovitch (dirigée par Ingo Metzmacher) souligne la tension et l'horreur. Katerina - Ausrine Stundytè, silhouette élégante et voix parfaitement maîtrisée - à son tour est accablée, par l'avilissement et la solitude. Le sien est un cri de révolte : féministe, quand elle vient en aide à Aksinia ("Savez-vous combien de femmes arrivent à nourrir leur famille toutes seules ?", lance-t-elle très convaincante). Sensuel quand elle dit ouvertement son désir d'être aimée : "Personne ne m'excite d'une caresse passionnée", chante-t-elle.

Erotisme débridé

L'érotisme est latent dans cet air, sans doute le plus joli de cet opéra. Il est débridé et explicite (à peine simulé), peu après, quand Serguei (Pavel Cernoch) la rejoint pour un long moment d'ébats, ponctué seulement par les râles et les (célèbres) "glissements" des trombones.


Krzysztof Warlikowski appelle un chat un chat. Mais son hyper-réalisme s'inscrit dans une esthétique d'ensemble qui n'exclut pas une forme d'abstraction onirique.

"Lady Macbeth de Mzensk" : les obèques du vieux tyran, un moment d'une grande poésie. (Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

Comme par exemple dans la scène des obsèques du vieux tyran qui offre un défilé poétique d'une grande beauté.

Rouge sang

Le "Lady Macbeth" de Krzysztof Warlikowski est une version fidèle à l'œuvre de Chostakovitch, où le plateau reflète ce que la musique suggère dans un beau jeu de correspondances. Ainsi, par exemple, le 3e acte sonne le glas du rêve d'une vie meilleure pour Katerina : s'inspirant musicalement de l'opérette, il est aux couleurs de la farce. Quel mariage peut-il sortir d'une union, celle de Katerina et de Sergueï, entachée par le crime ? Sur le même décor froid de carrelage des deux premiers actes, Warlikowski tire des rideaux rouge sang et convoque Fellini et Kusturica pour une fête de cabaret au goût amer. Acrobate, jongleuse de cerceaux et strip-teaseuse callipyge défilent tels des monstres de foire pour un tableau d'une grande drôlerie.

"Lady Macbeth de Mzensk", acte 3. (Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

Finissant d'assombrir le récit de "Lady Macbeth de Mzensk", l'opéra s'achève sur un 4e acte dont l'air grave du vieux bagnard, "Le soleil se couche derrière la steppe" (belle interprétation du basse Alexander Tsymbalyuk), donne une parfaite illustration.

"Lady Macbeth de Mzensk", dernier acte. (Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

Adéquation parfaite, à nouveau, entre musique et scène, dont l'esthétique – sans changer de décor ! – est à l'image du bagne sibérien, préfiguration du goulag qui menacera Chostakovitch tout au long des années staliniennes.

Exceptionnelle Ausrine Stundytè

On ne saurait que trop souligner la formidable performance vocale (d'un grand ambitus) et scénique de la soprano lettonne Ausrine Stundytè. Son air solo "Après une vie de respect et d'honneurs", où s'exprime sa difficulté à supporter la trahison de son amant Sergueï, frôle de justesse l'atonalité. Plus loin, elle est tout simplement troublante, en évoquant sa conscience "noire" comme le lac dans lequel elle va mourir, dans son dernier air, presque a cappella, lent, tendu, apocalyptique.

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