L'Opéra Bastille fête ses 30 ans : retour sur une histoire mouvementée
L'Opéra Bastille a failli ne jamais sortir de terre. Il est devenu une référence, même s'il est toujours contesté.
"L'Opéra Bastille, c'est le Titanic, l'orchestre en moins !", avait lancé Françoise de Panafieu, maire adjointe de Paris, peu de temps après son ouverture. Très controversée à l'époque, la plus grande salle d'art lyrique en France, qui fête samedi ses 30 ans, a failli ne jamais voir le jour. L'Opéra Bastille est devenu une référence. Un opéra moderne, populaire... et contesté
Le palais Garnier, foyer de l'Opéra de Paris depuis le 19e siècle, étant jugé trop étroit, François Mitterrand commande en 1982 à son ministre de la Culture Jack Lang un opéra "moderne et populaire", qui fera partie de ses grands travaux à l'instar de la Pyramide du Louvre.
"Sans cet opéra, le destin de l'art lyrique en France aurait été menacé", dit Jack Lang à l'AFP. Mais ce "fut l'un des projets culturels les plus controversés et il a failli se casser la figure plusieurs fois".
D'abord, l'emplacement. L'idée était de créer à La Villette un "Beaubourg de la musique" mais le choix se portera sur la gare désaffectée de la Bastille.
Jack Lang contre la droite, la presse et le monde lyrique
"Coller les mots 'opéra', jugé un art bourgeois, et "Bastille", place de la Révolution, c'était assez provocateur", se souvient Jack Lang. Il défend son projet contre la droite, la moitié de la presse et du monde lyrique. Avec deux soutiens de taille : le président lui-même et Pierre Boulez, figure de la vie musicale française. "Le président m'a dit 'le ministre des Finances veut rayer de la carte votre projet d'opéra. Mais rassurez-vous, je vous ai protégé'", se rappelle l'ancien ministre.
Un concours international est lancé en 1983. 756 projets anonymes sont rendus. "Le jury croit déceler dans l'un d'eux la patte du grand architecte américain Richard Meier", affirme Jack Lang. "Mais à la levée de l'anonymat, le projet retenu s'avère être celui d'un jeune architecte canadien-uruguayen, Carlos Ott. Personne ne le connaissait."
Le Monde titre "La Bastille sans génie", le Figaro "Le triomphe de la banalité" et le Nouvel Observateur "L'ère des opéras Hilton". En 1986, année de la première cohabitation, le Premier ministre Jacques Chirac estime le projet trop coûteux. "L'opposition idéologique était telle qu'il voulait tout raser, sauf la pyramide du Louvre", se souvient Jack Lang.
Les deux premières saisons perturbées par des grèves
La nouvelle salle de 2.745 places sera inaugurée en présence de 33 chefs d'État et de gouvernement, présents à Paris pour les cérémonies du bicentenaire de la Révolution française. Mais les deux premières saisons sont perturbées par des grèves de techniciens.
Pierre Bergé est nommé à la tête du premier conseil d'administration, avec le chef d'orchestre Daniel Barenboim comme directeur artistique et musical mais ce dernier est limogé en janvier 1989 sur fond de différends financiers et artistiques. "Patrice Chéreau et Pierre Boulez faisaient partie de l'équipe Barenboim, ils ont aussi claqué la porte", rappelle Jack Lang. En réaction, l'orchestre ne joue plus, si bien que Françoise de Panafieu, alors maire adjointe de Paris chargée de la culture, lance à Jack Lang : "Votre Opéra, c'est le Titanic, l'orchestre en moins !"
"C'était génial et c'était pas faux", souligne-t-il. Le Sud-coréen Myung-Whun Chung, 36 ans, sera finalement nommé directeur musical.
Une nouvelle salle sera inaugurée en 2023
A partir de 1996, la façade est recouverte d'un filet de protection pour éviter la chute des plaques de pierres qui ont une fâcheuse tendance à se décrocher. La réfection n'est engagée qu'en 2005.
Le look de l'Opéra Bastille ne fait pas nécessairement rêver -encore moins depuis la récente installation d'un puissant écran géant LED sur sa façade-, mais sa machinerie fait pâlir d'envie le Met de New York ou le Bolchoï de Moscou. Il dispose d'une immense arrière-scène avec quatre lieux de stockage de décors aux mêmes dimensions que la scène, un plateau tournant, une grande salle de répétition derrière la scène et des ascenseurs pour transporter les décors depuis le sixième sous-sol.
L'espace est si grand que lors de sa récente production des Troyens de Berlioz, le metteur en scène Dmitri Tcherniakov a fait reculer les décors jusqu'à une profondeur équivalente à trois scènes. "On peut alterner trois spectacles en même temps, c'est unique", affirme Nicolas Minssen, le directeur technique. "Alors que dans d'autres théâtres, les ateliers de menuiserie sont à l'extérieur, ici on passe du plateau aux ateliers en un rien de temps", selon lui.
Et l'Opéra Bastille va devenir encore plus grand : une salle modulable de 800 places qui était prévue dans le projet initial sera enfin inaugurée en 2023.
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