Jérôme Deschamps, huit années à l'Opéra Comique : "Il a fallu se battre !"
La bâtisse est superbe et la place Boieldieu qui l’héberge, tout aussi charmante. Un endroit presque dissimulé aux yeux de ceux qui arpentent les grands boulevards parisiens. Voilà qui est bien à l’image de l’Opéra Comique qui fête ses 300 ans. Magnifique et intimidante. Qu’est-ce donc que cet opéra où l’on parle ? Comment son directeur parvient-il à remplir la salle de ses spectacles ? Jérôme Deschamps est le patron du lieu. Oui, c’est bien celui des Deschiens, mais attention, le Deschamps directeur de l’opéra est prêt à défendre bec et ongle toutes ses années, tout ce qu’il a entrepris.
Dans un angle sombre, à peine plus d’un mètre sépare deux portes. Tout l’Opéra comique est là. D’un côté, il y a l’accès direct à la scène de la salle de spectacle, de l’autre l’entrée du bureau de monsieur le directeur Jérôme Deschamps. Tentures bordeaux, bibliothèque grillagée, meubles de style et buste d’un honorable prédécesseur, le lieu de travail du patron est comme on dit, chargé d’histoire. Tricentenaire pour être précis.
Un anniversaire dument annoncé par un panneau accroché au bâtiment : "L’Opéra Comique, 300 ans que ça dure". Et depuis tout ce temps, une confusion, un malentendu (un comble pour une maison qui aime à faire entendre) perdure.
"Quand on dit Opéra Comique, on peut penser que les spectacles présentés ici sont forcément comiques, affirme Jérôme Deschamps. Pourtant Carmen ou Lakmé ne sont pas vraiment drôles… En fait, le mot 'comique' renvoie au mot 'comédie'. C’est un peu toute l’histoire de ce que nous pratiquons ici, cet art un peu particulier qui mêle théâtre et art lyrique, la parole et le chant. Ce genre a connu d’énormes succès aujourd’hui oubliés. Depuis son apparition, il a toujours parlé à la société des diverses époques. D’ailleurs, autant l’opéra fait parler les dieux, autant l’opéra comique fait intervenir les gens".
Au fil de ces trois siècles, les œuvres, souvent créées dans ce lieu que l’on nomme aussi salle Favart (du nom de l’un des premiers auteurs de cet art, au début 18e siècle) se comptent par centaines, environ 2500. Une manne pour celui dont le rôle est de défendre la singularité du genre autant que du lieu. "Certaines sont très connues comme 'Les Contes d’Hoffmann' d’Offenbach, 'Manon' de Massenet, 'La fille du régiment' de Donizetti, ou 'Pélléas et Mélisande' de Maeterlinck, mais il en existe une multitude, tout un répertoire souvent plus estimé à l’étranger qu’en France, grince Jérôme Deschamps. Ajoutez à cela, l’acoustique magnifique de cette salle, particulièrement adaptée au caractère délicat, presque intime des œuvres, l’incroyable désir des artistes de venir interpréter ces chefs d’œuvre et il suffit d’une allumette pour que tout s’enflamme. La Belle au bois dormant que j’ai trouvé en arrivant ne demandait qu’à se réveiller".
Et pour aider à ce "réveil", d’importants moyens ont été consentis au maître des lieux. C’était "la" condition posée aux pouvoirs publics pour sa venue, tranche-t-il. Et d’ajouter qu’il ne voulait pas être le "concierge de luxe" d’un projet sans pouvoir le mettre en œuvre.
"Certains croyaient qu’on allait donner des spectacles façon Deschiens. Absolument pas. Je pense avoir pris beaucoup de monde à contre-pied en pariant sur l’excellence musicale en particulier. Des artistes de très grand talent sont venus ici, Gardiner, Christie et tant d’autres, d’admirables chanteurs et chanteuses… Cette ambition crée le désir. Elle permet de rassembler des coproducteurs et de donc de diviser les coûts".
"Le Freischutz". Direction musicale : Sir John Eliot Gardiner (2011)
C’est alors que Monsieur le directeur vous entraîne à la découverte de la renaissance de sa "belle". Là, sur la gauche, un ascenseur pour permettre l’accès de la salle aux personnes à mobilité réduite. Deux colonnes de plus d’une tonne chacune ont été déplacées pour libérer l’espace à l’installation de l’engin quasi-invisible, sa cage est entièrement transparente.
En haut de cet escalier, admirez le foyer. Seul un atelier français a su redonner leur splendeur originelle aux rideaux. Les énormes lustres ont été repeints à la feuille d’or. C’est à couper le souffle. "Un million d’euros !" lâche Jérôme Deschamps, dont 700 000 versés par une fondation américaine. Mais il a fallu se battre auprès du ministère pour obtenir le complément, déplore Monsieur le directeur que l’on sent bouillonner, si ce n’est bouillir.
"Ici, c’est un art où économiquement, on marche sur la tête, lance-t-il. Jusqu’à la première, on dépense beaucoup d’argent, mais après c’est pire. Car tout le monde est là, les artistes, les techniciens… que l’on paye à plein tarif. La logique comptable voudrait que l’on s’arrête au plus vite de donner les représentations d’un spectacle. Cela peut devenir très vite dangereux, jusqu’à perdre 100 000 euros par soirée avec une salle pleine".
La recherche des aides de toute nature devient alors un souci constant. Comment organiser le partage, la culture et la diffusion même des œuvres ? Et Monsieur le directeur décidément en veine de confidences de dénoncer le retrait de la télévision de service public dans les captations de l’Opéra comique. "J’ai aussi réanimé l’AMOC (l’association des amis et mécènes de l’Opéra Comique). Des entreprises, des personnalités nous aident. Cela permet d’organiser une rencontre entre des publics qui ne seraient jamais venus ici et nos spectacles. Une véritable armée d’associations monte des projets autour des œuvres et quand les gens viennent, ils comprennent ce qu’ils voient. Ils se sont appropriés les ouvrages, les auteurs, et le tout est accompagné d’une politique de prix des places réellement très favorable…"
"Les Brigands" de Jacques Offenbach à l'Opéra Comique - mise en scène de Macha Makeïeff et Jérôme Deschamps
Monsieur le directeur est intarissable : création d’un atelier costume, d’une académie de l’Opéra comique pour jeunes artistes… Mais tout cela s’arrêtera en juin prochain. Au bout de deux mandats, il doit céder sa place. "Je sais que je dois partir, confie-t-il. Mais je me suis évertué à rendre irréversible ce que j’ai entrepris. J’ai refait la fosse d’orchestre, le plafond de la salle… D’autres grands travaux sont nécessaires comme la ventilation ou l’électricité qui a plus de 50 ans d’âge. Maintenant, insiste-t-il, on ne peut plus revenir en arrière". Et Jérôme Deschamps d’afficher un sourire… de brigand, celui de l’opéra bouffe d’Offenbach bien sûr.
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