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"Cosi fanciulli" : Mozart, le désir et Eric-Emmanuel Schmitt

Ce grand amoureux de Mozart qu’est Eric-Emmanuel Schmitt a eu la délicieuse idée d’un prequel (ou préquelle, comme l’ont francisé nos amis québécois) à « Cosi fan tutte ». En fait, un prélude (histoire d’être mieux compris des plus anciens!) Mais le mot « Cosi fanciulli » est-il le plus adapté ?
Article rédigé par franceinfo - Bertrand Renard
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Coci Fanciulli d'Eric-Emmanuel Schmitt 
 (JJ Kraemer)
A partir de 9 ans !
Au Théâtre des Champs-Elysées, enfants et parents attentifs, ce mercredi après-midi de pluie diluvienne (et donc comment les occuper ?) à un spectacle annoncé pour les petits : si l’on sort des sempiternels (et certes chefs-d’œuvre) « Pierre et le Loup », « Casse-Noisette » ou « Carnaval des animaux », il n’y en a pas beaucoup. Mais attention, heureux parents, on vous prévient d’emblée : il n’est pas sûr que ce (délicieux) « Cosi fanciulli » convienne aux plus jeunes. Pour notre part on mettra la barre à neuf-dix ans (la prescription pour les adultes, elle, est sans limites).

Eric-Emmanuel Schmitt sauvé par Mozart
Eric-Emmanuel Schmitt nous a conté (dans «Ma vie avec Mozart ») comment, adolescent solitaire et dépressif, il a été sauvé vers l’âge de 15 ans par la musique de Wolfgang Amadeus. Il a donc pris la plus mélancolique et la plus amère des œuvres de l’Autrichien, la plus désabusée sur le sentiment amoureux, pour en imaginer les racines. Ce « Cosi fanciulli », on se gardera de le traduire par « Comme les enfants » (qui seraient des « Infanti ») Plutôt par « Comme des (tout) jeunes gens ». Des 14-15 et même un peu plus: Fiordiligi, Dorabella, les deux sœurs du « Cosi fan tutte » et leurs amoureux (qui ne le sont pas encore) Ferrando et Guglielmo. Et bien sûr les auteurs de la machination qui trouble leurs cœurs, Alfonso et Despina, la servante des deux sœurs (eux sont un peu plus âgés).  
  (JJ Kraemer)
Livret subtil et savant
Mais l’intelligence de Schmitt va bien au-delà. Il tricote un très savant et très subtil livret qui retourne complètement l’œuvre de Mozart et le texte de Da Ponte : les victimes ici sont Alfonso et Despina, amoureux l’un de l’autre. Et victimes d’abord de Dorabella et surtout de Fiordiligi, absolue pestouille; elles ont jeté leur dévolu sur Alfonso, leur professeur de musique (ce qui permet intelligemment que tout ce petit monde n’arrête pas de chanter), comme des groupies de M. Pokora (au hasard), des gamines de 15-16 ans face à un « vieux » (joli garçon) de 25-30 (Extrait du dialogue : « Mesdemoiselles, vous n’avez pas honte- Un peu mais nous en avons l’habitude !).    
Les débuts du désir
C’est très bien vu: ce n’est évidemment pas de l’amour mais les débuts du désir, le bourgeonnement des corps dans un été napolitain où l’on se retrouve à la plage et où les crépuscules sont brûlants, hantés par la brise du soir et mélancoliques.

Nos deux péronnelles vont attirer dans leur complot deux camarades de chorale un peu benêts et sans malice (plus soucieux, nous dit Schmitt, de jeux et de sports) mais que ce continent mystérieux qu’est la femme intrigue évidemment. On ne vous dira pas plus des péripéties de cette histoire très joliment tricotée sinon qu’elle laissera un goût de cendres (sur fond aussi de luttes de classe puisque les deux sœurs ne supportent pas que leur servante soit heureuse quand elles ne le sont pas) à Despina et Alfonso: belle image finale de leurs silhouettes dos au public, tournés vers l’horizon qu’envahit la nuit pendant que nos quatre jeunes gens (les « fanciulli ») se sentent gagnés d’une nostalgie qui ressemble enfin à de vrais sentiments.   

La musique de Nicolas Bacri est charmante, au début néo-classique à la Stravinsky puis évoluant vers Ravel et Poulenc ou… Bacri. Direction enlevée de David Stern, très bons jeunes chanteurs : la belle Despina de Nathalie Pérez (très joli air sur tapis de cordes, «A mes 20 ans je dis adieu ») et l’Alfonso de Pierrick Boisseau. Et ce jour-là, une impeccable (et délicieusement exaspérante) Julie Prola et une plus pâle Lea Desandre en Dorabella. Les deux garçons, Sahy Ratianarinaivo et Alexandre Artemenko sont très bien aussi. Le moment où Despina, qu’ils encadrent en soupirant d’amour, se lève et où Ferrando, yeux fermés, croyant embrasser la jeune femme, embrasse Guglielmo, fait beaucoup rire toute la salle, et particulièrement les plus jeunes, avec une innocence qui nous tient bien (et fort heureusement) éloignés de toute polémique sur le mariage pour tous ou la théorie du genre… 
  (JJ Kraemer)
En une sorte de chœur antique, les jeunes voix de la Maitrise des Hauts-de Seine (transformés en petits plagistes dans la mise en scène modeste et inspirée de Jean-Yves Ruf) défendent des airs qui pourraient passer au répertoire de bien des chorales : « Si ma voix avait des ailes » (repris à la fin par le public), ou « Tel un hibou l’amour ne sort que la nuit ». Mais, on l’aura compris, cette jolie tapisserie des ravages de l’amour ou des faux sentiments ne la destine pas aux tout jeunes. On se demande d’ailleurs ce que les parents répondront à la question fatale: « Qu’est-ce qui se passe après ? –Eh! bien, ils sont amoureux mais dès que les garçons ont le dos tourné les filles le trompent. Et ceux qui se vengent, Alfonso et Despina, sont devenus cyniques et cruels»
 A se demander ce qui est préférable : se replonger, en en saisissant tous les enjeux, dans «Cosi fan tutte». Ou bien rester enfant.


Cosi Fanciulli au Théâtre des Champs-Elysées
Les 5, 6, 10 et 13 juin à 10 heures
14 heures 30 uniquement pour les scolaires (donc par l’intermédiaire des enseignants qui peuvent inscrire leurs classes)

Rappelons aussi la fin du « Projet Rossini » au T.C.E. avec Marie-Nicole Lemieux dans le rôle-titre de « L’Italienne à Alger » (le 10 à 20 heures) et Désiree Rancatore dans  « L’Echelle de soie » (le 13 à 20 heures).
En version de concert dans les deux cas.

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