Cecilia Bartoli, une « Norma » furieuse et superbe
Quand on pense à « Norma » on pense évidemment à Callas et à cette image : Callas, dans un improbable noir et blanc, chignon impeccable, étole blanche enroulée autour de son cou de cygne, distille « Casta Diva », un des plus beaux airs de tout le répertoire.
Une Norma plus humaine, moins hiératique
Avec Bartoli j’ai évidemment commencé par là. Surprise : ce sont les mêmes notes, la même ligne de chant… que Bartoli assume. Bien sûr les graves sont superbes et on la sent plus précautionneuse dans les aigus (le début en parait presque timide). La fameuse note haute (le « la » au-dessus de la portée) que Callas tient en la chantant sur le souffle, Bartoli la répète, lui redonnant à chaque fois de la violence… et c’est d’ailleurs ainsi que Bellini l’a écrite. Cette différence de conception rend Norma plus humaine, moins hiératique. Et l’on n’a jamais l’impression, je vous rassure, tout au long de l’écoute, d’entendre une chanteuse qui s’est trompée de tessiture. Bartoli a d’ailleurs à son répertoire l’Elvire ou la Suzanne de Mozart, distribuées à des sopranos.
Un retour aux traditions romantiques
Cette nouvelle « Norma » se veut donc d’abord un retour aux traditions romantiques. Le commentaire, au-delà de son côté «c’est la première fois que vous allez entendre la vraie Norma » assez agaçant, insiste sur une évolution qui a figé le « bel canto » dans des habitudes de solennité, magnifiques musicalement mais à côté de la plaque d’un point de vue dramatique (Caballé, au chant sublime, en est l’exemple). Or Bellini, quand il écrivait Norma pour Giuditta Pasta, le faisait dans la villa de la cantatrice sur le lac de Côme, s’adaptant à ses possibilités… ou plutôt à son style de jeu, sans s’occuper des questions de tessiture. Pasta incarnait alors une approche plus classique et la Malibran, autre grande Norma de l’époque, le vrai romantisme. Le classement dans des emplois corsetés –soprano, mezzo, colorature, etc- s’est imposé à cause des grandes salles et des orchestres symphoniques, qui obligent les voix à une pression limitant leurs couleurs et leur flexibilité. Les chanteurs, petits et grands, ne le savent que trop.
Un des rôles les plus écrasants du répertoire
Plus qu’une nouvelle « Norma », on entend donc la « Norma » de Bartoli. Les photos du livret, très Anna Magnani contemporaine, imposent non plus une prêtresse gauloise hautaine qui montera au bûcher presque indifférente mais un être de chair et de sang que Bartoli incarne avec une fougue et une force musicale magnifiques. Le duo « Oh ! rimembranza » entre Jo et Bartoli (quel fondu des voix !) rend presque vieillotes Callas et la grande mezzo Ebe Stignani. Seul bémol, un ténor vaillant mais sans éclat, John Osborn, en Pollione. Quand il chante avec Adalgisa, on s’ennuie.
Mais Norma-Bartoli revient vite, car Norma est quasiment de toutes les scènes, ce qui fait d’elle un des rôles les plus écrasants du répertoire. On attend maintenant que Bartoli s’attaque à un autre personnage de chair et (vraiment) de sang : la « Médée » de Cherubini (tiens, un autre grand rôle de Callas). En attendant elle sera Desdémone ( !) dans l’ »Otello » de Rossini à Paris au printemps prochain. Heureux nous ! "Norma" de Vincenzo Bellini. DECCA
Avec Cecilia Bartoli, Sumi Jo, John Osborn, Michele Pertusi
Orchestre "La Scintilla", direction Giovanni Antonini
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