"Hamlet" à l’Opéra Bastille : Krzysztof Warlikowski inscrit les amours tragiques d’un prince indécis dans un hospice
Le spectacle s’ouvre sur une dame âgée, la reine Gertrude dos au public, assise sur un fauteuil roulant regardant Les Dames du bois de Boulogne de Robert Bresso sur un vieux téléviseur noir et blanc. Son fils, Hamlet, est juste à côté, sur un lit. Hamlet et sa mère, la reine régicide, sont exilés dans une maison de retraite, qui évoque un asile psychiatrique. Un couloir à droite de la scène, délimité par des barreaux, est parcouru par des personnes semblant souffrir de démence violente. Absent de la scène de l'Opéra de Paris depuis 1938, le grand opéra d'Ambroise Thomas, créé en 1868, revient dans une mise en scène enlevée de Krzysztof Warlikowski.
Folie plurielle
Hamlet évolue donc dans cette institution, où des expérimentations sont menées en arrière-plan. La mise en scène du Polonais Krzysztof Warlikowski déborde de créativité et fourmille de nombreux détails. Au spectateur de suivre les nombreuses actions qui se déroulent simultanément. Une atmosphère d’aliénation flotte sur la scène durant les presque trois heures que dure le spectacle. Une aliénation angoissante et mélancolique, alimentée par les flash-backs, mêlée à la culpabilité des protagonistes, qui en viennent à désirer la mort pour fuir leur présent douloureux. Les lieux semblent habités par la folie et le désespoir.
Hamlet, hanté par le remariage de sa mère deux mois après l’assassinat de son père, crie vengeance sans oser passer à l’acte, malgré la promesse faite au spectre de son roi de père. Le prince danois, magistralement incarné par le baryton Ludovic Tézier, qui avait déjà interprété ce rôle-titre il y a vingt ans à Toulouse, est apathique, rongé par l’indécision. Il se meut comme une âme en peine et porte en lui des désirs coupables. Tout à la fois il désire cette mère régicide qu’il veut tuer, il veut qu’elle vive et qu’elle meure. Il la veut pour lui tout seul, et surtout ne pas la partager avec son nouveau père, ce roi usurpateur. Il aime sa mère à la folie. Eve-Maud Hubeaux, en mère et reine, apporte une grande profondeur au drame, jusqu’à cette scène troublante où elle se laisse déshabiller par Hamlet et se couche avec lui dans le même lit.
Bientôt au cinéma
Tout à sa vengeance, Hamlet délaisse sa fiancée, Ophélie. Lassé par son indécision, son incapacité à agir, à devenir adulte, la joyeuse fiancée sombre dans la dépression. Lisette Oropesa parvient à ressortir toute la tragédie subie par une Ophélie au bord de la rupture et, ultime courage, à mourir littéralement d’amour. La soprano américaine, avec une rare intensité dramatique, a ému le public qui lui a réservé une longue standing ovation. Le nouveau Hamlet signé Krzysztof Warlikowski et le chef d’orchestre Pierre Dumoussaud est bouleversant dans l’interprétation et un peu déroutant dans la mise en scène. Il est dense, puissant, charnel et délicieusement fou.
L’opéra sera retransmis en direct le 30 mars 2023 sur Arte concert et dans les cinémas UGC, dans le cadre de leur saison "Viva l’Opéra !" et dans des cinémas indépendants en France et en Europe, puis ultérieurement dans le monde entier.
Jusqu'au 9 avril à Opéra Bastille
Fiche technique
Hamlet, en cinq actes, 3H40
Musique : Ambroise Thomas (1811-1896)
Livret : Michel Carré et Jules Barbier
D’après : William Shakespeare Hamlet
Direction musicale : Pierre Dumoussaud
Mise en scène : Krzysztof Warlikowski
Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris
Distribution : Hamlet : Ludovic Tézier, Claudius : Jean Teitgen, Laërte : Julien Behr, Spectre du roi défunt : Clive Bayley, Horatio : Frédéric Caton, Marcellus : Julien Henric, Gertrude : Ève-Maud Hubeaux, Ophélie : Lisette Oropesa (jusqu’au 30 mars) Brenda Rae (2 au 9 avril).
Résumé : Tout se déroule au Palais d’Elseneur où Claudius, avec la complicité de la Reine Gertrude, vient de tuer son frère, le Roi du Danemark, pour monter sur le trône. Il peut ainsi épouser celle-ci, sa maîtresse depuis longtemps. Hamlet, le fils du roi assassiné, aime Ophélie, la fille du chambellan Polonius mais il doit accomplir la vengeance que le spectre de son père lui réclame. Sur cette intrigue psychologique, Ambroise Thomas tisse la trame d’un grand opéra à la française.
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