A l'Opéra Bastille, une reprise du "Crépuscule des dieux" tout feu tout flamme lors de la manifestation contre la loi de Sécurité globale
Alors que l'Opéra Bastille enregistrait une représentation sans public du "Crépuscule des dieux" de Wagner, une oeuvre sur la fin d'un monde, une foule en colère et des départs de feu éclataient au pied du bâtiment.
C'était une scène un rien surréaliste: à la Bastille, une foule était en colère et des départs de feu éclataient, alors que dans l'opéra du même nom, on jouait Le Crépuscule des dieux de Wagner, qui évoque la fin d'un monde. La coïncidence entre la manifestation du 28 novembre contre la loi Sécurité globale et l'enregistrement de cette oeuvre à l'Opéra Bastille peut paraître anecdotique. Mais depuis mars, l'Opéra de Paris et son directeur musical Philippe Jordan en auront vu de toutes les couleurs.
"Les chanteurs m'ont raconté que de leurs loges, ils ont vu les poubelles brûler et les gens s'enfuir; dans le même temps, ils entendaient la Wacht (la veillée) de Hagen, qui est un personnage sinistre" de cette oeuvre, raconte Philippe Jordan à l'AFP. "C'est effrayant mais aussi fascinant de voir que l'opéra est le miroir de la vie".
Un défi, "un miracle"
Le Crépuscule des dieux est l'un des quatre volets du Ring, l'une des oeuvres les plus monumentales de l'histoire de l'opéra. Le morceau le plus célèbre reste La chevauchée des Walkyries (utilisé abondamment au cinéma, notamment dans Apocalypse Now).
Cette tétralogie sur le pouvoir et l'amour, inspirée de la mythologie allemande et nordique, est en temps normal un défi pour toute maison d'opéra : quinze heures de musique au total, une centaine de musiciens, plus de 80 artistes du choeur, une trentaine de personnages. Point d'orgue du 350e anniversaire de l'Opéra de Paris, le projet en version scénique est abandonné à cause de la pandémie, puis le scénario d'une version concert avec public est également écarté en raison du couvre-feu. Le choix du streaming est également mis de côté au profit d'un enregistrement diffusé sur France Musique à partir du 26 décembre.
"C'est un miracle", affirme à l'AFP Philippe Jordan qui part bientôt pour Vienne après 12 ans à l'Opéra. "En temps normal, c'est déjà dur de jouer une tétralogie en une semaine. Là, avec les répétitions, on a joué (les opéras) deux fois, c'est fou", explique le chef d'orchestre suisse de 46 ans, à la fois fatigué et euphorique. Depuis mars, aucune maison d'opéra n'a jusqu'à présent relevé ce défi. Jusqu'à la dernière minute, le projet n'a tenu qu'à un fil: en raison de cas Covid à la mi-novembre, les répétitions ont été interrompues pendant dix jours.
Changements de distribution de dernière minute, chanteurs remplaçant des collègues au pied levé, cas de Covid dans l'orchestre, "si bien qu'on a eu recours à tous les cornistes surnuméraires possibles de Paris! ", raconte Philippe Jordan.
On y va !
Au sein de la maison, dans la tourmente depuis un an en raison de grèves historiques et de pandémie, la détermination de son nouveau directeur général Alexander Neef a payé. "Ce sont tous des héros car ils ont travaillé tellement dur; ça aurait été tellement démotivant de tout arrêter", déclare M. Neef en référence à l'équipe du Ring mais aussi aux danseurs de l'Opéra qui s'apprêtent à présenter leur premier grand ballet depuis janvier. Le choeur a chanté masqué face aux musiciens masqués aussi - à l'exception des instrumentistes à vent, séparés d'un mètre et demi. "Les chanteurs étaient testés deux fois par semaine ; Philippe Jordan, tous les jours", précise M. Neef.
AIain Paterson, baryton-basse écossais qui interprète le dieu Wotan (trois heures et demie de chant au total), est aux anges. "J'entendais que telle production était annulée, que tel théâtre allait fermer. Et soudain, le message de Paris était On y va !", dit-il.
Le jeu en vaut-il la chandelle ? Pour Philippe Jordan, outre le bonheur de diriger le Ring, il s'agit "de la plus grande musique jamais écrite". "C'est une forme de heavy metal du XIXe siècle", plaisante-t-il. Et une structure musicale qui a largement inspiré les compositeurs de musique de films.
"Il ne faut pas avoir peur de Wagner; il faut se lâcher...comme dans du bungee jumping", rit-il. "C'est comme les huîtres", abonde Iain Paterson. "Ca paraît rebutant mais il faut essayer".
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