Iran : la musique dans le viseur des conservateurs
Après l'élection en juin 2013 du président modéré Hassan Rohani, qui prône une plus grande liberté culturelle dans le respect des valeurs islamiques, le nombre de concerts autorisés a augmenté. Certains chanteurs interdits sous le double mandat du conservateur Mahmoud Ahmadinejad (2005-2013) ont même pu se produire en Iran.
Des interdictions de dernière minute
Pourtant, relevait mardi le quotidien "Ghanoon", cité par l'AFP, il y a eu plus d'annulations de concerts ces deux dernières années que durant l'ère Ahmadinejad. Ces interdictions, une vingtaine depuis quelques mois selon le quotidien "Shargh", touchent en majorité les provinces et sont parfois notifiées quelques heures avant le début du concert. Elles visent indistinctement des chanteurs pop ou traditionnels.
Alireza Ghorbani, l'un des plus connus parmi les musiciens traditionnels iraniens, en est la dernière victime. Son concert, prévu lundi soir dans une université de Téhéran, a été annulé la veille sans raison. Les services de sécurité de l'université "m'ont contacté pour me dire que M. Ghorbani ne devrait pas chanter de chansons joyeuses" en raison d'une période de deuil religieux, a expliqué son agent, Ali Razavi, au quotidien "Ghanoon".
Cité par l'agence Isna, le producteur de l'évènement, Majid Ahadzadeh, a fait part de son incompréhension. "Le permis a été obtenu (en janvier) du gouverneur, des forces de sécurité et du bureau du ministère de la Culture et de la Guidance islamique", explique-t-il.
"La musique, l'un des arts les plus importants de Dieu"
"Nous ne sommes pas découragés et nous ne le serons pas", a affirmé Alireza Ghorbani, dans un entretien au magazine en ligne Musicema.com ("Notre musique"). La musique "est l'un des arts les plus importants de Dieu et peut avoir beaucoup d'influence sur la société", souligne-t-il.
En sollicitant le président Rohani, il souligne que "les écrivains, les artistes de cinéma et de théâtre font aussi face à ces problèmes". Le ministère de la Culture a également exprimé ses objections. "Nous n'approuvons pas l'annulation du concert d'Alireza Ghorbani", a affirmé le ministre Ali Janati, cité lundi par le quotidien gouvernemental Iran.
Des concerts "surveillés étroitement"
Le ministre de la Culture iranien rappelle que "les concerts sont surveillés étroitement et les autorisations délivrées avec soin". Les musiciens doivent en effet soumettre leur production au ministère et obtenir une autorisation pour diffuser leurs disques ou se produire en concert.
Le ministre accuse "certains individus (ayant) des objectifs politiques", sans plus de précisions. Ali Janati a récemment été critiqué par plusieurs responsables religieux pour avoir autorisé la sortie d'un disque où, selon eux, une femme chante en solo. La loi islamique en vigueur en Iran depuis 1979 interdit en effet aux femmes de chanter en solo, même un refrain, devant des hommes et leur voix doit être accompagnée par une voix masculine.
La Maison de la musique, syndicat officiel de la profession, accuse plus directement l'aile dure du régime. Dans un communiqué, elle dénonce les "obstacles et attaques" contre les concerts qui font partie "du nouveau projet d'un groupe politique, perdant des élections, qui veut mettre la pression sur le gouvernement élu pour son propre bénéfice politique".
Un groupe de rock ruiné par les annulations
Pour certains groupes, la situation est devenue impossible. Shahram Sharbaf, chanteur du groupe de rock O-Hum ("Rêves"), a récemment demandé la révocation de sa licence, se disant ruiné après l'annulation de plusieurs concerts. "Ces quatre derniers mois, ma vie personnelle, professionnelle et sociale a été littéralement détruite", écrit le chanteur dans dans une lettre publiée mi-février sur sa page Facebook. Il pointe des "problèmes sans fondement ou subjectifs" soulevés par les responsables du ministère de la Culture.
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