: Interview Nesrine Belmokh présente NES, trio poétique entre jazz, Orient et pop
NES, c'est un trio formé à Valencia, en Espagne, en 2012, par deux Français et un Espagnol : la chanteuse et violoncelliste Nesrine Belmokh, le violoncelliste Matthieu Saglio et le percussionniste David Gadea. Les chansons sont écrites en arabe, en français, en anglais. Les univers voguent entre jazz, musique orientale, chanson française et pop. Après leur rencontre, ils ont enregistré un album qu'ils ont envoyé à différentes maisons de disques. Le label Act, séduit, leur a donné la tribune dont ils rêvaient. Leur album "Ahlam" (rêve) est sorti en septembre 2018.
NES a beau être à la base l'abréviation du prénom de Nesrine Belmokh, c'est bien le nom du groupe. Trois lettres pour trois membres, trois amis réunis par la musique. Quand le trio a été formé, Nesrine Belmokh s'est mise à la composition et à l'écriture des textes, avec le renfort de sa mère pour les paroles en arabe. Elle signe les chansons et les arrangements avec le violoncelliste Matthieu Saglio.
Nesrine Belmokh, 36 ans, a grandi à Douai dans un univers baigné de musique arabo-andalouse avant de suivre une formation classique et s'ouvrir à de multiples genres musicaux.
NES se produit le 5 février 2019 à Paris dans le cadre du festival Au Fil des Voix, puis le 22 février à Nanterre, avant d'autres dates au printemps.
- Nesrine Belmokh : À six ans, je suis entrée dans une école à tiers temps musical qui se partageait entre cours et musique. En parallèle, je faisais de la musique arabo-andalouse, de la musique traditionnelle du nord de l'Afrique. Mes parents avaient une association par laquelle ils faisaient venir des artistes du Moyent-Orient et du Maghreb. On avait des cours d'orchestre toute l'année. Je jouais de la mandoline et je chantais. À six ans, j'ai donné mon premier concert en Algérie devant plein de gens... Le chant, la musique, ont toujours été présents, quelque chose de normal, une forme d'évidence. Dès mon enfance, j'aimais bien me mettre en scène. Je pense que j'avais déjà un caractère assez affirmé, si bien qu'à chaque fois qu'on avait besoin de quelqu'un pour jouer un premier rôle, on m'appelait. Dans mon école, le premier rôle du spectacle de fin d'année m'était obligatoirement confié parce que j'étais une bonne élève, j'étais à l'aise, je n'avais pas peur. C'est drôle, je me souviens qu'à l'âge de sept ans peut-être, j'avais joué une Lune. Or des années plus tard, au Cirque du Soleil où j'ai travaillé un temps, on me confiait à peu près le même genre de rôle...
- La pratique du violoncelle est donc arrivée dans votre vie bien après celle du chant et de la mandoline ?
- Dans l'école que j'avais intégrée, au bout d'un moment, il fallait jouer d'un instrument. Ça a été le violoncelle. Je me souviens vaguement du moment où on nous a présenté chaque instrument de l'orchestre. Quand est venu le tour du violoncelle, ça m'a plu tout de suite. Je ne peux pas vous dire pourquoi. Je suis rentrée à la maison et j'ai dit : "Maman, je veux faire du violoncelle." Mes parents ont toujours soutenu mes choix.
- Et je crois que c'est encore le cas aujourd'hui...
- Oui, et ma mère écrit les textes de mes chansons en arabe ! Elle a souhaité être créditée sur le disque avec son nom de jeune fille, Leïla Guinoun.
- Vos parents, qui géraient l'association musicale où vous avez fait vos premiers de musicienne, exercent-ils des métiers artistiques ?
- Pas du tout. Ma mère est pédiatre. Mes parents ont toujours été très mélomanes. Mais le côté poésie réelle, c'est très nouveau pour ma mère. Elle écrit pour moi. On s'est découvertes toutes les deux compositrice et parolière au même moment ! Notre collaboration peut prendre des aspects divers. Pour la chanson "Ahlam", elle a écrit entièrement le texte. Pour "Allouane", il y a eu un échange, je lui ai donné quelques pistes. Je peux aussi écrire un texte en français et lui demander de le traduire en arabe. Je pense qu'on est tellement liées qu'elle écrit ce qu'elle ressent, via moi. Il y a une forme de transmission.
- Enfance, adolescente, aviez-vous des héros musicaux, des modèles, des sources d'influence ?
- Il y a plein de gens que j'ai beaucoup écoutés, et que j'écoute encore. Ça va de la musique arabe, comme Oum Kalthoum qu'on écoutait à la maison, à la soul... J'écoutais beaucoup de rap dans mon adolescence, Lauryn Hill, D'Angelo, Erykah Badu... Il y a eu Michael Jackson. Toute la musique Black américaine représente une grande influence pour moi. Côté chanson française, je n'en ai pas beaucoup écouté mais j'aime plutôt les anciens comme Brel.
Par la suite, mes goûts ont évolué. Je ne connaissais pas l'opéra. Finalement, on y arrive assez tard dans les conservatoires. C'est en devenant musicienne d'opéra que j'ai commencé à en découvrir le répertoire et les interprètes. Cette musique a été une révélation à bien des égards, même au niveau de la voix. J'écoutais tous ces grands chanteurs qui ont une technique incroyable, je m'en inspirais... J'adore Renée Fleming. Je considère le "Casta Diva" de Montserrat Caballé comme le plus beau de tous. Et j'ai eu la chance de côtoyer Placido Domingo qui est un exemple sur les plans artistique et humain.
- Quand vos études de violoncelliste classique vous ont-elles emmenée à l'Opéra de Valencia ?
- En 2008. Au début, j'ai intégré les conservatoires de Marseille, Lyon, puis le Conservatoire supérieur à Genève. Juste après, j'ai passé des auditions pour entrer à l'Opéra de Valencia. J'ai été prise et je me suis installée là-bas.
- À quel moment avez-vous pris ce virage musical qui a abouti à la formation de NES ?
- Avant NES, il y a sept ou huit ans, j'ai chanté dans un groupe de tango. C'était la première fois que je renouais avec le chant, le violoncelle ayant pris toute la part pendant des années. Puis j'ai rencontré les musiciens avec qui j'ai formé NES.
- Pouvez-vous me raconter votre rencontre avec le percussionniste David Gadea et le violoncelliste Matthieu Saglio, un autre Français de Valencia ?
- J'ai connu le percussionniste David Gadea à l'occasion de soirées, par amis interposés. J'étais dans ma bulle et je ne connaissais pas le milieu non classique de Valencia. Puis David et Matthieu, qui se connaissaient, ont voulu former un groupe tous les deux. Alors David lui a parlé de moi en tant que chanteuse. Il peut avoir de grands moments de lucidité ! Dès qu'une grande question se pose, David surgit avec une espèce d'idée évidente ! Il m'avait vue chanter avec le groupe de tango. Il m'a contactée et c'est comme si les planètes s'alignaient. Il m'a présentée à Matthieu et j'ai découvert que nous habitions la même rue depuis sept ans ! Je suis allée le voir en concert. Deux mois plus tard, on a présenté à David un répertoire musical. David a halluciné ! C'est ainsi que le trio est né, en septembre ou octobre 2014. Il y a vraiment des choses qui doivent se faire...
- À quel moment avez-vous quitté l'Opéra de Valencia ?
- Ça ne s'est pas fait tout de suite. On a donné notre premier concert le 14 février 2015. Or, un mois plus tard, j'ai reçu une proposition du Cirque du Soleil et je suis partie trois mois en tournée. Matthieu a eu très peur que je ne revienne pas. J'ai joué un mois à Montréal puis je suis allée jouer à Madrid. Mais je suis revenue à Valencia. Je suis même retournée à l'orchestre en septembre. Et là, je me suis dit : "Ce n'est pas possible. Je ne peux pas faire ça." J'ai quand même fait la saison musicale. Dans le même temps, on a commencé à donner des concerts avec NES. À la fin de la saison, j'ai quitté l'Opéra. À l'époque, on n'avait même pas enregistré l'album. Tout s'est passé en seulement trois ans mais on y a mis une énergie folle.
La question de l'identité, qu'elle soit musicale, personnelle, s'est posée et continuera de se poser dans ma vie, je le sais.
- Dans un reportage diffusé sur Arte, vous faisiez part de questionnements personnels d'ordre identitaire. Vous expliquiez que la musique de NES vous avait aidé à y voir plus clair...
- Oui, mais je crois que la question identitaire existe chez tout le monde. Le jour où j'ai ressenti un soulagement, c'est celui où j'ai entendu le sociologue et ethnologue Tobie Nathan dire : "La plupart des gens pensent que l'identité est une nature. Ils se trompent. L'identité est un projet, et ce projet est entouré d'une communauté." J'étais en voiture, j'écoutais France Culture, j'ai failli avoir un accident. Ça a été une révélation. Dans "Bye bye", une de nos premières chansons, je cite plus ou moins Nathan. La question de l'identité, qu'elle soit musicale, personnelle, s'est posée et continuera de se poser dans ma vie, je le sais. Mon outil pour y répondre, c'est le projet qu'a été celui de NES, en tout cas à ce moment-là. NES et la communauté, qui est-ce ? C'est David, Matthieu, tous les gens autour de nous et le public, les gens qui nous écoutent. Cette communauté entoure ce projet et l'identité qui est la mienne aujourd'hui.
- Voyez-vous votre avenir à Valence ? Ou est-il envisageable de vous voir revenir en France ou tenter votre chance à New York...
- Tout est possible ! La vie n'est pas finie, pas du tout ! Je suis une nomade, une vraie !
NES en concert
Mardi 5 février 2019 à Paris, L'Alhambra, festival Au Fil des Voix (en co-plateau avec Jairo), 20H30
Vendredi 22 février 2019 à Nanterre, Maison de la Musique, 20H30
Vendredi 12 avril 2019 à Saint-Sulpice-la-Pointe, Salle René Cassin
Vendredi 3 mai 2019 à Artigues-près-Bordeaux, Le Cuvier
> L'agenda-concert de NES
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