"Couleurs Brasil", le Brésil en chansons
Comment Tom Jobim, gĂ©nie dĂ©sĆuvrĂ© de la bossa nova, a-t-il relancĂ© sa carriĂšre avec "Aguas de Março" ? Dans quel contexte difficile VinĂcius de Moraes et Baden Powell ont-il Ă©crit "Berimbau" (entre autres fameuses afro-sambas), morceau adaptĂ© ensuite par Claude Nougaro ? Ă quelle chanson brĂ©silienne Michel Fugain doit-il l'un de ses plus grands succĂšs ? Autant d'informations rĂ©pertoriĂ©es, parmi tant d'autres, dans le livre "Couleurs Brasil" de Jean-Paul Delfino, Ă©crivain et essayiste connu tant pour sa saga de romans ayant l'histoire du BrĂ©sil en toile de fond que pour ses ouvrages sur les musiques d'un pays au format continental.
Le livre dĂ©marre comme un dictionnaire, avec des titres dĂ©butant par "A". D'oĂč, forcĂ©ment, des voisinages cocasses. Au milieu des monuments "Agua de beber", "Aguas de Março" et "Aquarela do Brasil", s'incruste l'ineffable "Ai, se eu te pego". Ce tube festif et nĂ©anmoins insipide du dĂ©but des annĂ©es 2010 a Ă©tĂ© entachĂ© par des procĂšs pour plagiat (tout comme la fameuse "Lambada" qui n'Ă©tait mĂȘme pas une chanson brĂ©silienne...). En avançant dans la lecture de l'ouvrage, on observera que Jean-Paul Delfino prendra des libertĂ©s avec l'ordre alphabĂ©tique... En ouverture du livre, "A banda" est l'une des cinq chansons de Chico Buarque contĂ©es dans "Couleurs Brasil". L'occasion de revenir sur les dĂ©mĂȘlĂ©s de l'artiste avec la dictature militaire qui le força Ă s'exiler, Ă composer sous un pseudonyme et Ă Ă©crire des paroles Ă double lecture. Jean-Paul Delfino revient aussi sur le triomphe Ă retardement de "Essa moça tĂĄ diferente" Ă la faveur d'une publicitĂ© pour une boisson gazeuse, mais aussi sur les destins français de "O que serĂĄ" et "Partido alto", deux chansons totalement dĂ©senchantĂ©es que Claude Nougaro et Pierre Vassiliu reprendront avec des paroles bien diffĂ©rentes du sujet original. Avec la question rĂ©currente de l'adaptation d'une chanson dans une langue Ă©trangĂšre : faut-il traduire ou rĂ©Ă©crire ? Pour tout passionnĂ© de musique brĂ©silienne, ce livre est une incontestable mine d'or, savoureuse Ă parcourir dans l'ordre que l'on souhaite. Chaque chapitre se lit indĂ©pendamment des autres et permet de dĂ©couvrir des chansons que l'on ne connaissait pas forcĂ©ment, ou dont on ignorait peut-ĂȘtre l'origine brĂ©silienne, comme "Canta canta minha gente", devenue "Quand tu chantes", un grand succĂšs de Nana Mouskouri, ou encore la chanson "Festa para um Rei negro", devenue "La Bamboula", un tube de Carlos... Petits bĂ©mols toutefois, l'absence de chansons signĂ©es Milton Nascimento ou Edu Lobo. Et une manie trĂšs courante en France (et peut-ĂȘtre ailleurs) : l'emploi du mot "brĂ©silien" pour parler du portugais, alors que les BrĂ©siliens eux-mĂȘmes dĂ©signent leur langue maternelle sous l'appellation "portugais". Quoi qu'il en soit, "Couleurs Brasil" donne envie de (re)plonger dans la discographie de Jorge Ben et Gilberto Gil. Il donne envie de (re)dĂ©couvrir les adaptations bossa des tubes de Michael Jackson ou des Beatles par Caetano Veloso... Il nous rĂ©vĂšle la relation compliquĂ©e de Carmen Miranda, de son vivant, avec le public brĂ©silien... Il nous rappelle les comportements peu louables d'un Wilson Simonal qui ne sort pas grandi de la lecture de cet ouvrage... Il nous fait Ă©couter d'une oreille diffĂ©rente "Si tu vas Ă Rio", dont le texte portugais Ă©tait bien moins joyeux Ă l'origine... Un livre dĂ©licieux et indispensable."Couleurs Brasil", par Jean-Paul Delfino
Ouvrage sorti le 5 juin 2014 aux Ă©ditions Le Passage - 236 pages - 14 euros
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