"Chants arabes du Proche-Orient", un manuel d'initiation très réussi
Depuis plus de vingt ans, Habib Yammine et Aïcha Redouane, cofondateurs de l'ensemble al-Adwâr, redonnent vie à une tradition musicale très raffinée, héritée de l'âge d'or de la Nahda, période de renaissance culturelle et artistique survenue il y a un siècle environ dans le monde arabe. À la fois artistes, interprètes et pédagogues aguerris, ils étaient les plus à même de synthétiser par écrit -avec le renfort d'un CD très didactique- une partie de leur immense savoir.
Un livre pédagogique sans équivalent
Ethnomusicologue, Habib Yammine s'est donc lancé dans l'écriture d'un ouvrage à la fois documenté, précis et accessible, destiné autant aux professeurs et aux élèves qu'à toute personne attirée par les musiques orientales. Paru il y a quelques semaines, ce livre s'avère d'autant plus précieux qu'il n'existe pas de méthode comparable d'initiation aux chants arabes, en tout cas en français. Avec sa voix envoûtante, Aïcha Redouane interprète les chansons du CD.
Les traditions musicales de quatre pays mises en avant
Vu l'immensité et la richesse de la région concernée, le livre "Chants arabes du Proche-Orient" se limite à quatre pays : Égypte, Irak, Liban et Syrie. L'ouvrage, servi par une présentation très aérée, est enrichi de photos, de partitions, de tableaux et de cartes (même si les caractères de ces dernières sont un peu petits).
Outre sa riche palette d'illustrations, le livre renferme une mine d'informations : une synthèse historique de la naissance et du développement du monde arabe, une présentation de la langue arabe, de son alphabet (avec prononciation en renfort sur le CD), une introduction à la tradition musicale et poétique arabe, au chant religieux, aux modes utilisés (avec les partitions pour ceux qui connaissent le solfège), aux rythmes et aux instruments de musique.
Sept chants décortiqués
Sept chants emblématiques de la culture proche-orientale du XXe siècle sont présentés et décortiqués sous tous leurs aspects. Le livre fournit les textes en arabe, les translittérations, traductions et partitions, ainsi que diverses analyses, notamment modales. Le CD intègre les morceaux chantés par l'ensemble al-Adwâr, les textes prononcés lentement par Habib Yammine, la pulsation, les paroles chantées (souvent a cappella) par Aïcha Redouane, la version instrumentale, le rythme propre à chaque morceau... Un travail aussi complet que méticuleux. Le CD comporte aussi deux chants supplémentaitres servis par le groupe d'Aïcha Redouane et Habib Yammine en bonus, ainsi que deux versions, ajoutées par la Cité de la Musique, de chants interprétés par des scolaires qui ont testé en exclusivité la méthode.
Cinq questions aux auteurs
- Culturebox : Comment ce projet a-t-il vu le jour ?
- Habib Yammine : J’enseigne à la Cité de la Musique depuis plusieurs années. Ils ont lancé une collection sur les chants du monde. Trois premiers livres sont sortis. Puis le responsable pédagogique m’a proposé de faire cet ouvrage sur les chants arabes. Pour Aïcha et moi, c'est notre premier livre sur la pédagogie. Auparavant, j'avais écrit quelques articles sur la musique arabe dans des revues spécialisées. Ce livre est arrivé au bon moment. Il nous a permis de synthétiser toute notre expérience pédagogique depuis vingt ans : l’enseignement, les stages... Un travail d'autant plus nécessaire qu’on était limité en termes de pages.
- Comment avez-vous choisi les chants présentés dans le livre ?
- Habib Yammine : Le Proche-Orient étant très vaste, on s’est limité à quatre pays (Égypte, Irak, Liban, Syrie). On présente neuf chants, dont cinq chants populaires que l'on entend dans le monde arabe depuis les années 30, 40, et quatre muwashshah, des morceaux qui représentent la tradition savante.
- Aïcha Redouane : On a aussi choisi des chants qui nous permettaient de varier les modes et les rythmes.
- Habib : Pour choisir les chants les plus représentatifs, étant né et ayant grandi au Liban, je me suis rappelé de ce que j’entendais là-bas, et qui continue à y être diffusé aujourd'hui encore. Il y a des chansons qui reviennent, comme celle du Liban, une chanson traditionnelle dont on ne connaît pas les auteurs. Elle a été arrangée pour Fairuz (célèbre chanteuse libanaise, ndlr) dans les années 50.
- Avez-vous rencontré des difficultés particulières ?
- Habib : La première année, il a fallu énormément lire. Rien que pour le chapitre historique qui fait 13 pages, j’ai travaillé six mois ! J’ai lu une dizaine d’ouvrages d’histoire. Je suis remonté jusqu’à l’époque gréco-romaine. Je voulais présenter toutes les civilisations qui étaient passées par cette région afin que l’on voie à quel point le Proche-Orient est très riche de cultures, de langues, de musiques, de peuples. Après, il y a eu le travail linguistique, puis le travail musical qui était plus facile puisqu’on baigne dedans tout le temps. J’aime beaucoup l’histoire, mais je ne suis pas historien et je ne voulais pas faire appel à un expert. Au final, le livre a été écrit sur une période de deux ans.
- Avez-vous ressenti une urgence particulière à transmettre ce savoir en ces temps de retour de formes diverses d'intolérance ?
- Aïcha : Ayant vécu en France depuis ma petite enfance, j'ai toujours vu comment fonctionnait la mentalité des uns et des autres, et vice versa. Il y a beaucoup de points communs entre les gens originaires des cultures arabe et française. Mais au lieu d'entretenir des idées reçues et des préjugés où les uns se sentent supérieurs aux autres et réciproquement, il vaut mieux aller vers un rapprochement et une ouverture. Bien sûr, je dirais donc qu'il y a urgence à connaître la culture de l'autre. C'est dans la meilleure connaissance de l'autre que l'on peut se reconnaître soi-même. J'ai appris les deux cultures en même temps, et plus j'ai appris sur une culture ou sur l'autre, plus je me suis retrouvée en tant qu'être humain, et non plus en tant que quelqu'un qui s'accroche à une identité. Il y a urgence à ouvrir la connaissance du monde dans lequel nous vivons et à donner accès à toutes les cultures dont nous héritons, aujourd'hui au 21e siècle. Dans le respect des origines, des racines, mais en sachant qu'après la racine, il y a le tronc et les branches. Or, les branches ne peuvent s'étendre que si l'espace leur est ouvert. Donc, il faut ouvrir l'espace de la connaissance.
- L'approche pédagogique du livre constitue une première en France sur la musique arabe. Mais en existe-t-il des équivalents dans le monde arabe ?
"Chants arabes du Proche-Orient" (livre+CD), collection Traditions chantées de la Cité de la Musique
> Plus d'infos ici
Aïcha Redouane, Habib Yammine et l'ensemble al-Adwâr en concert
> Samedi 26 avril 2014, 20H30, à l'Institut du Monde arabe, à Paris
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