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Répertoire engagé, scénographie captivante, intimité avec le public : Madonna au Grand Rex, une expérience à huis clos

Le show que Madonna donne au Grand Rex à Paris jusqu'au 11 mars en clôture de sa tournée Madame X garde ses secrets : aucune photo ou vidéo n'en a été dévoilée. Voici ce que notre mémoire a retenu de ce huis clos étourdissant expérimenté le 26 février.

Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
C'est au Grand Rex à Paris que Madonna achève son Madame X Tour, en février et mars 2020. (TRISTAN REYNAUD / SIPA)

Vous ne verrez rien, pas la moindre photo ou vidéo du show. Au Grand Rex, une salle de 2 800 personnes, Madonna n’a jamais été dans une telle proximité avec son public. Mais cette fois tout doit rester à l’abri dans nos mémoires, il va falloir nous croire sur parole. Les portables sont en effet enfermés dans des pochettes hermétiques YONDR à l’entrée de la salle (et rouvertes en un clin d’œil à la sortie). Depuis le début de la tournée de huit villes entamée en septembre à New York, le Madame X Tour est une expérience sans smartphones.

Poussant son privilège, la star en profite d’ailleurs pour réaliser chaque soir au polaroid un selfie avec le public, une photo unique qu’elle propose aux enchères au profit du Malawi. "Si vous êtes pleins aux as" comme elle dit, c’est le moment de faire une bonne action.

Un spectacle ovni

Éblouis à la sortie, certains jureront avoir vu le meilleur concert du monde. C'est cependant inexact. Car il ne s’agit pas d’un concert mais d’un spectacle hybride. A la croisée du théâtre, de la comédie musicale, du ballet contemporain, du cabaret et du concert, ce show est un ovni ambitieux.

Impossible de ne pas dire un mot de la scénographie, scotchante, découpée en quatre tableaux. Fluide et astucieuse, elle nous transporte de l’esthétique rétro de Dick Tracy aux manifestations urbaines contemporaines, et des rives du Cap-Vert aux ruelles de Lisbonne. Le tableau consacré à la ville blanche, nouveau pays d'adoption de Madonna, où elle a suivi il y a trois ans son fils footballeur David Banda, 14 ans, signé au Benfica, est particulièrement saisissant. Avec sa lumière, ses azulejos (carreaux de faïence qui ornent les murs de Lisbonne), ses arcades et son fer forgé, on s’y croirait.

Autre élément particulièrement remarquable : les chorégraphies. Flirtant volontiers avec la comédie musicale, elles sont plus souvent dignes de ballets de danse contemporaine. L’interlude mettant en scène neuf danseurs épileptiques respirant avec difficulté, comme asphyxiés, est à ce titre mémorable. Au total, une quarantaine de danseurs, choristes et musiciens se succèdent sur les planches, ce qui peut justifier en partie le prix prohibitif des places (de 84 à 386 euros). Quant aux retards de la diva, qui ne semble jamais monter sur scène avant 22h30, il faut faire avec.

Musique pour le temps présent

La setlist se concentre sur l’album Madame X sorti en juin dernier, et donne envie à ceux qui l’avaient un peu négligé (nous, en l’occurrence) de se jeter dessus pour lui prêter enfin l’attention qu’il mérite. Comme le montre aussi bien le spectacle que l’album, Madonna continue de s'inspirer du passé musical tout en restant ancrée dans le présent.

Le spectacle est en partie irrigué par les sonorités du Portugal, avec un hommage au fado (la reprise Fado Pechincha) et au Batuque, un genre musical créé par les Capverdiennes à l’époque de l’esclavage (grand moment lorsque les 15 femmes de l'Orquestra Batukadeiras viennent jouer et danser sur scène devant les sublimes images du clip Batuka). Mais on y entend aussi les accents contemporains de la trap music, du reggaeton (Medellin), de l’électronique, du disco et de l’auto-tune, avec un joli détour en fin de parcours sur les rythmes marocains de la musique Gnawa (Come Alive).

Seul bémol qui ne saute aux yeux qu'après-coup tant la scénographie captive : si l'on voit ici et là quelques musiciens, ils sont majoritairement remplacés tout du long par une bande enregistrée - un comble pour un concert, en principe.

Les anciens hits esquissés, Frozen en majesté

Les fans venus pour les classiques de la reine de la pop en sont pour leurs frais. Seule une poignée de hits, totalement réarrangés, ponctuent le show. Il y a Human Nature sur lequel Madonna danse entourée de doigts accusateurs ou de majeurs levés en ombres chinoises. Pour Express Yourself, elle fait monter trois de ses filles sur scène, dont les petites jumelles Estere et Stella, l’une d’elles assurant au micro : "God is a woman" (Dieu est une femme).

Un bref extrait de Papa Don’t Preach motive une critique de la vague anti-avortement aux Etats-Unis (douze Etats américains ont restreint l’accès à l’IVG en 2019), l'impérissable Vogue est livré dans une version rénovée avec une délicieuse chorégraphie de clones à perruques blondes sanglées dans des impers noirs, tandis que Like a Prayer et La Isla Bonita sont davantage esquissées que véritablement jouées.

Frozen, extrait de l’album Ray of Light, donne lieu à l’un des points culminants du show. Tandis que Madonna chante, l’attention est accaparée par l’immense écran sur lequel évolue avec grâce une danseuse à la longue chevelure brune en gros plan. Cette jeune femme c’est Lourdes, 23 ans, fille aînée de la Ciccone. Sur les phalanges de sa main droite, trois lettres tatouées : MOM.

Un spectacle politique

Madonna n’a jamais eu la langue dans sa poche ni été avare d’engagements, en particulier pour les droits des minorités. Ce show, qui se referme sur I Rise, alors qu’apparait à l’image Emma Gonzalez, une survivante de la tuerie de Parkland (Floride, 2018) devenue militante anti-armes à feu, est peut-être bien le plus politique de sa carrière. Il y a bien sûr les références à la culture LGBT dont le drapeau arc-en-ciel tombe en rideau final, Madonna étant une icône absolue de la culture gay.

Mais le bouillonnement protestataire dans le monde, les violences policières (y compris en Europe), les désillusions politiques, le double-langage des puissants, les périls pesant sur les libertés, la démocratie et la planète, sont tous abordés ici. Plus subtilement, plus poétiquement et peut-être plus efficacement que n’y parvenaient les provocations de ses anciens shows.

Et qui mieux que James Baldwin, écrivain homosexuel noir américain humaniste pour symboliser tout cela ? C’est sa parole qui ouvre et referme le show d’environ deux heures. "L’art est là pour prouver que toute sécurité est une illusion. (…) Les artistes sont là pour perturber la paix." Ce texte est tapé lentement par une silhouette en ombre chinoise, sur une machine à écrire à l’ancienne, et chaque touche enfoncée produit un bruit de balle… Empreint d’une certaine mélancolie, sans être fataliste, cet appel à un sursaut sert de fil rouge au spectacle. "Je me bats depuis toujours pour la liberté. La liberté est mon combat", souligne Madonna aux deux tiers du show. Et de nous rappeler "de ne pas prendre la liberté pour acquis, parce que tout peut changer en un clin d’œil."

Sainte Madone souffre en silence

Longtemps, la Madone a été une immense danseuse. Au moins autant qu’elle était chanteuse. A 61 ans, Madonna conserve une silhouette élancée et de belles jambes de sportive. Mais elle se ménage désormais, s’agite moins et ne prend plus part aux chorégraphies les plus spectaculaires. Elle a beau tenter de donner habilement le change, elle n’arrive plus à cacher sa douleur.

Car sur cette tournée, la reine de la pop est à la peine. Suite à un accident, elle souffre d’un genou et de la hanche, se déplace avec une canne, et ses médecins lui ont ordonné de ne pas trop forcer. Pas plus tard que jeudi 27 février, elle n’a pu retenir ses larmes et a réclamé une chaise dès le second morceau, tronquant le premier acte du show tout en se disant déterminée à honorer les dernières dates de sa tournée (qui s’achève le 11 mars dans cette même salle du Grand Rex à Paris). 

La diva danse moins mais elle cause plus. S’emparant de l’intimité, rare pour elle, qu’offre cette salle, elle plaisante avec le public, improvise La vie en rose a cappella avec son fils David et porte un toast avec un verre de porto "à l’amour, à la vie, à Paris et à la quête du bonheur". Elle se raconte, aussi. Ses enfants, le Portugal, sa blessure : "Si vous saviez comme c’est terrible pour moi de ne pas pouvoir porter de talons durant mes shows ! C’est parce que je suis petite et que je voudrais être grande", avoue-t-elle, chaussée de simples bottines plates. Mon Dieu, ayez pitié de sainte Madone, apaisez ses souffrances ! Plus que huit dates à tirer.

Madonna achève son Madame X Tour au Grand Rex les 29 février, 1er, 3, 4, 7, 8, 10 et 11 mars 2020 (complet).

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