La chanteuse et actrice Jane Birkin, l’ingénue anglaise qui a ravi le cœur des Français, s’est éteinte à 76 ans
Jane Birkin, la fiancée britannique de la France, s'en est allée, dimanche 16 juillet, à 76 ans, a appris franceinfo auprès de l'attaché de presse Fabien Lecœuvre, proche de la famille. Le cinéma et la musique ont rythmé la vie professionnelle et amoureuse de l'artiste, qui détient à son actif une vingtaine d'albums et figure au générique de plus d'une soixantaine de films. Entre la langue de Shakespeare et celle de Voltaire – qu'elle dit avoir appris "avec un magnétophone" – , chansons et films, cinéma populaire et œuvres radicales, Jane Birkin s'est imposée comme une personnalité iconoclaste du paysage culturel français.
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Le cinéma d'abord
Jane Mallory Birkin voit le jour le 14 décembre 1946 dans le quartier de Marylebone, à Londres. Sa mère n'est autre que l'actrice Judy Campbell et son père, David Birkin, est un commandant de la Royal Navy. Il adorait sa fille aînée au point que la jeune Jane développe un sentiment de culpabilité vis-à-vis de sa cadette, Linda. Celle que l'on appellerait une "népokid" aujourd'hui, parce que née dans une famille d'artistes dont elle a perpétué la tradition, s'inscrit dans les pas de sa mère dès l'âge de 17 ans.
Elle joue alors dans une pièce de Graham Greene, puis dans une comédie musicale, Passion Flower Hotel, dont la musique est composée par John Barry. Elle épouse en secret le compositeur, père de sa fille aînée Kate Barry et le seul de ses compagnons avec lequel elle s'est officiellement mariée.
Le cinéma débarque dans sa vie en 1965. Le réalisateur Richard Lester permet à la jeune femme de 19 ans de faire ses débuts sur grand écran, aux côtés de Charlotte Rampling et de Jacqueline Bisset. Elle apparaît ainsi dans un film phare du Swinging London, The Knack ... and How to Get It (Le Knack... ou comment l'avoir ), qui remporte le Grand Prix (équivalent actuel de la Palme d'Or) au Festival de Cannes. Tout comme le film suivant, Blow-up (1966) de Michelangelo Antonioni, qui fait scandale à l'époque car la sublime Jane Birkin y apparaît nue.
La musique, naturellement et par amour
La belle petite Anglaise s'installe en 1968 en France, un pays dont elle prendra plus tard la nationalité. Elle joue bientôt dans Slogan (1969). Son partenaire à l'écran, Serge Gainsbourg, deviendra son compagnon durant douze ans. Avec son pygmalion, elle formera l'un des couples les plus célèbres de la France des années 70. Il offrira à la comédienne au séduisant accent une carrière de chanteuse.
Le passage à la chanson sonne comme "une évidence" pour Jane Birkin. "Ma mère était connue pour une chanson qui s'appelle A Nightingale Sang in the Berkeley Square (1940) qu'elle a chantée pendant toute la Seconde Guerre mondiale", confiera-t-elle sur les ondes de franceinfo des décennies plus tard. "Pour débuter, j'avais une chanson à faire dans une comédie musicale de John Barry, mais c'était une chanson comique et si je me souviens bien, il n'avait rien à dire sur ma voix ou sur une quelconque originalité. C'est Serge qui m'a fait écouter sa version de Je t'aime... moi non plus de Brigitte Bardot. Comme j'étais très éprise de lui, quand il m'a demandé si je voulais la chanter, j'ai sauté sur l'occasion parce que je ne voulais pas qu'il se mette dans une cabine avec n'importe quelle beauté comme Mireille Darc ou quelqu'un d'autre. J'avais naturellement chanté une octave au-dessus et cela plaisait à Serge d'avoir une voix de garçon de chorale."
Il lui écrira des chansons comme Di Doo Dah pour accompagner Je t'aime moi... non plus afin de produire l'album Jane Birkin-Serge Gainsbourg, sorti en 1969. Le titre Jane B., extrait de l'opus, lui colle définitivement à la peau. "C'est celui que j'aime le plus. Plus que Je t'aime... moi non plus parce que c'est tellement pur", confiera-t-elle également sur franceinfo. Dans cet entretien, elle explique aussi que ce ne fut pas tout de suite le coup de foudre pour Gainsbourg. "Et peut-être que c'est pour cette raison que ça a duré plus longtemps, parce que je le découvrais petit à petit. Au départ, il me terrifiait. Il avait un regard narquois et en arrivant pour faire le tournage, je le trouvais très distant (…). Au fond, cette arrogance est pour cacher une personne tellement timide, terriblement candide". Et d'ajouter : "Serge Gainsbourg, c'était une telle trouvaille, c'était un délice d'homme". A la télévision suisse, en 1988, elle soulignait qu'il était pour elle "l'homme à la tête de chou", le disque de Gainsbourg qu'elle aimait le plus parce qu'il recelait toute la tendresse de l'être. "C'est le Gainsbourg qui est intéressant, pas le Gainsbarre."
Muse de Gainsbourg, Doillon et... Hermès
En parallèle de la chanson et de sa belle histoire d'amour dont le fruit est Charlotte Gainsbourg, Birkin enchaîne au cinéma les comédies à succès comme La moutarde me monte au nez de Claude Zidi qui a contribué à sa popularité en France. En 1975, on la voit aussi dans un autre registre, plus dramatique, dans Sept morts sur ordonnance et Je t'aime, moi non plus, le déconcertant premier film de Gainsbourg dont elle se séparera quelques années plus tard.
En 1980, Birkin partage désormais la vie du cinéaste Jacques Doillon, le père de sa troisième fille, Lou. Il la dirige dans trois films majeurs dans sa carrière : La Fille prodigue, La Pirate et Comédie !. Ces films, assure Birkin, ont "changé" le regard que l'on avait sur la comédienne et lui ont ouvert les portes du cinéma d'auteur et du théâtre. La Pirate, sélectionné à Cannes en 1984, est "sifflée dès le générique de début", raconte Doillon. "Si je casse ma pipe, déclarait pour sa part Jane Birkin lors d'une leçon de cinéma à la Cinémathèque française en janvier 2017, qu'ils passent La Fille prodigue et La Pirate s'il vous plaît, et même Comédie ! pour rigoler, et même pas pour rigoler d'ailleurs (...) Ce sont des films dont je suis tellement fière et qui sont jamais passés". Avec Jacques Rivette (L'Amour par terre, La Belle Noiseuse), son amie Agnès Varda (Jane B. par Agnès V. et Kung Fu Master marqué par une distribution très familiale) ou encore Bertrand Tavernier (Daddy Nostalgie), Jane Birkin déploie son immense palette de jeu et révèle la comédienne intense et versatile qu'elle est.
Dans les années 1980, la chanteuse fait ses premiers pas sur scène, notamment pour sa première scène live. Pour Le Bataclan en 1987, Birkin change de look. Elle s'est débarrassée de ses cheveux longs pour qu'on ne fasse plus attention à sa plastique mais uniquement à sa voix. Avec ses cheveux très courts, l'artiste démontre, avec une certaine radicalité, qu'elle est une femme qui aime aller à l'essentiel.
A l'image du Birkin, sac pratique inspiré d'elle et fabriqué par Hermès. L'idée du sac est née en 1984 alors que Jane Birkin se plaignait de ne pas avoir "un cabas adapté à ses besoins de jeune maman" à son voisin de siège sur un vol Paris-Londres. Elle ne sait pas alors qu'il s'agit de Jean-Louis Dumas, gérant d'Hermès (1978-2006), qui donnera finalement corps à ses souhaits.
Sous le signe du deuil
Pour Jane Birkin, la décennie suivante sera plus pesante et douloureuse. Les années 1990 riment pour elle avec deuil. Elle perd les deux hommes les plus importants de sa vie : Serge Gainsbourg, le 2 mars 1991, et le jour des obsèques de ce dernier, le 7 mars, son père. La comédienne se fait aussi plus rare au cinéma. Mais on la retrouve dans Noir comme le souvenir de Jean-Pierre Mocky et elle apparaît brièvement dans On connaît la chanson d'Alain Resnais. Dans les années 2000, elle renoue avec le registre burlesque de ses débuts à travers les comédies Reines d'un jour, Mariées mais pas trop ou Thelma, Louise et Chantal. En 2009, elle retrouve Jacques Rivette qui lui offre un beau rôle dans 36 vues du Pic Saint-Loup. Birkin devient aussi réalisatrice et scénariste, et signe notamment le téléfilm Oh pardon ! tu dormais... et Boxes (Les Boîtes, 2007), long métrage aux accents autobiographiques projeté au Festival de Cannes.
En 2013, un autre drame va briser l'artiste connue pour son optimisme légendaire et son inaltérable confiance en la vie. Le 11 décembre, trois jours avant l'anniversaire de Jane Birkin, sa fille aînée, la photographe Kate Barry, tombe du quatrième étage de son immeuble. "Quand Kate est morte, je suis restée à la maison pendant un an sans bouger, sans bouger du tout", a-t-elle confié sur RTL. La perte de son enfant, Birkin l'évoque avec pudeur et franc-parler dans Oh ! Pardon tu dormais, dernier opus en date, sorti le 11 décembre 2020. Elle consacre notamment un titre au drame, Cigarettes. Tout l'album est un grand disque intime, dont elle a écrit tous les titres, né grâce à son ami et complice artistique Etienne Daho et Jean-Louis Piérot.
Jane Birkin ne s'est jamais privée de l'exutoire que peut être l'art. Les drames qui ont marqué sa vie remontent aussi à la surface dans le documentaire Jane par Charlotte de sa fille Charlotte Gainsbourg, présenté sur la Croisette en 2022. Charlotte suit sa mère dans son quotidien et évoque la réserve mutuelle qui a marqué leur relation. On y découvre une femme sincère, lucide sur elle-même, son image et ses choix de vie.
"Tu as eu plus qu'un autre le meilleur de moi"
"En relisant mes journaux, il me semble flagrant qu'on ne change pas. Ce que je suis à douze ans, je le suis encore aujourd'hui (…). J'ai pris comme principe de ne rien arranger, et croyez-moi, j'aurais préféré avoir des réactions plus sages que celles que j'ai eues…", écrivait-elle en 2018 au moment de la parution de son journal intime Munkey Diaries (1957-1982) publié chez Fayard. Dans la mémoire des Français, Jane Birkin restera à jamais l'Anglaise qui a ravi le cœur de ses cousin(e)s d'outre-Manche. "Quand je vois les Français écouter des chansons vieilles de quarante ans, je sais qu'elles font partie de leur histoire. Mais eux aussi font partie de la mienne", résumait-elle encore en 2018.
En 2017, après s'être battue contre la leucémie qui s'était déclarée à la fin des années 1990, elle confiait à L'Express : "J'ai compris, que je le veuille ou non, que je n'avais plus que dix ans devant moi. Bon, si je fais comme maman [disparue à 88 ans], peut-être un peu plus. Mais il n'y a pas un moment à perdre."
Elle n'en a perdu aucun, même si la maladie et le chagrin l'ont entravée ces dernières années. Dans Jane par Charlotte, elle explique pourquoi elle aime tant chanter Ces petits riens de Gainsbourg. Il lui faisait dire : "Une chose, entre autres, que tu ne sais pas, tu as eu plus qu'un autre le meilleur de moi." Une phrase qui vaut aussi pour tous ceux qui ont aimé un peu, beaucoup, passionnément Jane Birkin.
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