"L'histoire de la musique s'est écrite majoritairement sans les femmes" : comment expliquer la sous-représentation des compositrices dans la musique classique ?

Article rédigé par Noémie Lair
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Lili Boulanger, décédée à 24 ans, est la compositrice la plus programmée au cours de la saison 2022-2023 en France, avec 53 oeuvres jouées. (BIBLIOTHEQUE NATIONALE DE FRANCE / MAXPPP)
Seulement 6,4 % des œuvres programmées au cours de la saison 2022-2023 en France étaient composées par des femmes, selon une étude de l'association Elles Women Composers.

Les compositrices sont très peu présentes dans les programmes de musique classique, révèle une étude de l'association Elles Women Composers, parue mardi 5 mars. Cette association, qui milite pour promouvoir le travail des compositrices, a analysé 14 892 œuvres programmées au cours de la saison 2022-2023 dans 214 structures (théâtres, orchestres, maisons d'opéra et festivals) en France. Sur toutes ces œuvres programmées, seulement "6,4 % étaient composées par des femmes", souligne Héloïse Luzzati, violoncelliste et fondatrice de Elles Women Composers. Les œuvres de ces compositrices ne représentaient que 4 %, environ, du temps total de programmation.

Une responsabilité partagée

"Il y a plein de facteurs différents" qui expliquent cette sous-représentation des femmes, indique Héloïse Luzzati. Premièrement, "l'histoire de la musique s'est écrite majoritairement sans les femmes. Même celles qui ont eu beaucoup de succès de leur vivant ont par la suite disparu", souligne-t-elle. "Chacun a sa petite part de 'responsabilité'" dans cette disparition.

Il y a d'abord le rôle joué par les musicologues et les éditeurs de partition de l'époque, qui n'ont pas forcément entretenu l'héritage des compositrices. Aussi, "les femmes ont peu déposé leurs œuvres en bibliothèque donc on perd la trace des partitions". Enfin, "beaucoup de compositrices, principalement au XXᵉ siècle, n'ont pas eu d'enfants et s'il n'y a pas de descendance, en général, on voit qu'il y a un effacement très rapide d'une vie professionnelle brillante et parfois pleine de succès".

"On hérite de cette absence d'héritage"

Héloïse Luzzati

à franceinfo

À l'inverse, on observe le rôle fondamental joué par certains proches qui ont entretenu l'héritage de compositrices, comme Lili Boulanger et Mel Bonis, qui figurent ainsi parmi celles qui ont été les plus programmées en France en 2022-2023.

Par ailleurs, "on se rend compte au quotidien et à travers l'étude que l'on programme quasiment toujours les mêmes œuvres", note Héloïse Luzzati. "Les œuvres des compositrices sont donc peu programmées par manque de connaissance, parce qu'il y a peu de livres, parce que les partitions ne sont parfois plus éditées, mais aussi par habitude. Toutes ces petites raisons amènent à des difficultés de programmation" aujourd'hui.

"Pas une semaine sans découvrir le nom d'une compositrice"

Le nombre de compositrices est aussi à mettre en perspective avec celui de compositeurs à travers l'histoire. "C'est difficile de faire une proportion. Instinctivement, oui, probablement qu'il y a moins de compositrices que de compositeurs, répond Héloïse Luzzati. Pour autant, il ne se passe pas une semaine sans que je découvre le nom d'une compositrice que je ne connaissais pas. C'est infini, il y en a des centaines et des milliers. C'est juste qu'on ne les connaît pas."

Pour faire découvrir ces compositrices, son association a réalisé des vidéos de plus de 100 d'entre elles. "On raconte un peu leur vie, on joue leur musique. C'est très accessible, même à des gens qui ne sont pas mélomanes, juste un peu curieux", explique-t-elle. Parmi celles qu'Héloïse Luzzati affectionne particulièrement, il y a les compositrices sur lesquelles elle a beaucoup travaillé, comme "Charlotte Sohy, Rita Strohl, Clémence de Grandval et Jeanne Leleu".

Une prise de conscience progressive

L'étude publiée par Elles Women Composers étant la première du genre, une évolution dans le temps de la programmation des compositrices n'est pas encore possible. Mais de par son expérience et son travail sur le sujet ces dernières années, Héloïse Luzzati a "la certitude qu'on en parle plus". "Je pense que ça évolue dans les programmations mais peut-être pas aussi vite que ça en a l'air. C'est-à-dire que souvent, on en parle beaucoup mais ce n'est pas pour autant que dans les actions" il y a des changements, souligne la violoncelliste. 

"Bien sûr qu'il y a une prise de conscience de la société sur la place des femmes, c'est une évidence, et dans le secteur de la musique classique aussi, j'espère. Mais ce n'est pas une certitude pour tout le monde".

Héloïse Luzzati

à franceinfo

Héloïse Luzzati s'étonne par exemple de la lecture que certains ont faite de l'étude, y voyant une volonté "d'arriver à une politique de quotas entre les compositeurs et les compositrices". "Bien entendu, ce n'est pas le but, on ne se dit pas qu'il faut arriver à un 50/50, c'est anti-artistique, précise-t-elle. L'objectif de tout notre travail est de faire découvrir de la musique, ça ne retire rien à l'histoire de la musique telle qu'elle a été écrite, ça lui ajoute juste un bout de l'histoire qui lui manque."

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