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Rencontre avec Vincent Peirani, accordéoniste tout terrain

Il a la trentaine, un gabarit de basketteur et il joue de l'accordéon. Son talent et son éclectisme lui valent de mener de front une carrière dans le jazz -auprès de Youn Sun Nah ou Daniel Humair- et la musique classique. Il a enregistré en trio un album frais et envoûtant, "Thrill Box" ("boîte à frissons"). Pour Culturebox, Vincent Peirani évoque avec humour son parcours, semé d'obstacles.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 16min
Vincent Peirani à Paris (25 juin 2013)
 (Annie Yanbékian)

Il n'a pas choisi de faire de l'accordéon. Mais à l'instar d'une poignée d'autres praticiens, Vincent Peirani a su imposer cet instrument en déficit de crédibilité dans tous les domaines musicaux qu'il a abordés, parmi lesquels le jazz. Dès 2003, ce Niçois d'origine (il y est né le 24 avril 1980) a remporté le concours de Jazz de La Défense avant d'être sollicité par un nombre croissant d'artistes issus de nombreux univers dont la chanson et la world music.

En musique classique, Vincent Peirani joue régulièrement avec le violoncelliste François Salque (ils ont sorti l'album "Tanguillo" chez Zig Zag Territoires). Dans le domaine du jazz, après un album paru en 2009, il a enregistré « Thrill Box » sur le fameux label allemand Act avec le contrebassiste Michel Benita, le pianiste Michael Wollny et deux invités de marque, le clarinettiste (et épisodiquement bandonéoniste) Michel Portal et le saxophoniste Émile Parisien, « son ami, son alter ego, presque son frère », selon les mots de l'accordéoniste. Le disque comporte cinq compositions originales et sept arrangements de morceaux émanant des musiques traditionnelles (américaine, auvergnate, balkanique) et du jazz (Thelonius Monk, Brad Mehldau ou Abbey Lincoln et son fameux « Throw it away » que la femme de Vincent Peirani, chanteuse, lui a fait connaître au début de leur histoire). On entend Vincent Peirani chanter dans ce disque -fort bien- à deux reprises, une pratique qu'il compte bien développer à l'avenir.

La rencontre
Paris, 25 juin 2013. Rendez-vous est fixé à la Gare de Lyon pour accueillir un Vincent Peirani en provenance de Provence. Comme il s'agit d'une première rencontre, afin d'être sûr que vous ne le ratiez pas à sa sortie du TGV, il vous écrit dans un SMS : « Pour info, je fais 2,05 m et j'ai un accordéon dans le dos... » Vous vous rappellerez surtout des 2,05 m, du gilet rouge, de l'épaisse chevelure brune, du regard malicieux... et de son humour ! Un authentique chambreur qui se dévoilera en toute sincérité, sans éluder des périodes difficiles de sa carrière et de sa vie.
Vincent Peirani, un rien taquin, à Paris (25 juin 2013)
 (Annie Yanbékian)
- Culturebox : Pourquoi l’accordéon ?
- Vincent Peirani : Je n’ai pas choisi l’accordéon. Je voulais être batteur. Mon père a fait de la musique quand il était jeune, mais il a joué de plein d’instruments, accordéon, guitare, flûte, saxophone, clarinette, il chantait aussi… Quand j’ai dit à mon père que je voulais faire de la musique, il était super content. Je lui ai dit : « Je veux faire de la batterie. » Il m’a dit : « Non. Tu feras de l’accordéon. » J’avais 12 ans.

- Vous n’aviez jamais fait de musique avant vos douze ans ?
- Non, je faisais du sport. Handball, judo et natation. Je faisais ça à fond. Jusqu’à ce que je me casse les deux genoux, ce qui est arrivé un peu plus tard. J’ai commencé la musique à douze ans, et trois ou quatre ans plus tard, le sport, c’était terminé.

- Comment avez-vous réagi quand votre père vous a imposé l’accordéon ?
- Mal ! Au début, c’est lui qui me faisait travailler. Dès qu’il me posait l’accordéon sur les genoux, je pleurais. Ça ne me plaisait vraiment pas… Ça a duré comme ça pendant plus d’un an. Mais j’étais un bon élève, un bon soldat, donc j’obéissais.

- À quel moment avez-vous commencé à apprécier cet instrument ?
- Ça m’a plu à partir du moment où on m’a dit que l’on pouvait jouer de la musique classique avec l’accordéon. J’adorais la musique classique. C’est là que j’ai commencé à travailler ce type de répertoire sur cet instrument.

- Cela ne devait pas forcément être évident pour un adolescent de faire de l’accordéon. L’image un peu « bal musette », ringarde, n’est pas forcément très engageante à cet âge-là…
- C’était les années 90, 1992, c’était vraiment la lose, c’était nul. Quand des gens qui avaient entendu dire que je faisais de la musique venaient me parler, je leur répondais que je jouais de la batterie. Je ne disais pas que je faisais de l’accordéon, c’était la honte !

- Finalement, les choses se sont plutôt bien passées par rapport à vos débuts douloureux, puisque vous avez commencé à remporter de nombreux concours à partir de 1994…
- Ah oui, j’étais une bête à concours ! Je ne pouvais plus faire de sport mais j’avais gardé ce côté compétiteur et je me suis dit que les concours, ça allait me plaire ! Par ailleurs, un an après avoir commencé l’accordéon, mon père m’a dit : « Tu as bien travaillé, tu vas pouvoir faire un deuxième instrument. » J’ai répondu : « Génial ! La batterie ! » Il m’a dit : « Non, pas la batterie, la clarinette. » Et là, même combat, ça a été difficile… Mais bon, je m’y suis mis. Je suis allé l’étudier au conservatoire de Nice, j’ai eu mes examens, mon prix. Et au final, je n’ai jamais fait de batterie.

- Pourquoi votre père voulait-il que vous fassiez de la clarinette ?
- Mon père a fait du bal. À son époque, les accordéonistes savaient souvent jouer, en plus, d’un ou plusieurs instruments à vent. Mon père était dans cet esprit-là. Aujourd’hui, ça m’arrive encore de jouer de la clarinette. J’ai failli en faire sur le dernier disque. Mais comme il y avait déjà Michel Portal et Émile Parisien, deux « soufflants », je me suis dit que c’était inutile.

- Bon, vous pouvez toujours vous mettre à la batterie aujourd’hui…
- Je n’en ferai jamais, c’est sûr. C’est un drame psychologique, maintenant, pour moi ! Comme une espèce de bête noire… Je vais jusqu’au bout, je n’en ferai pas.
- Vous qui aimiez tant le classique, comment avez-vous découvert le jazz ?
- J’ai fait du classique pendant des années. Puis je suis tombé très malade, vers 1998, et j’ai tout arrêté pendant deux ans. J’ai eu un cancer. Tous les gens qui m'entouraient en classique, parce que j’étais doué, que j’avais remporté plein de concours, se sont barrés. Même les plus proches. À l’époque, un pote venait me voir à l’hôpital. Il m’avait amené des disques de jazz, un album de Sixun et l’un des derniers disques du pianiste Bill Evans. Je ne connaissais absolument rien de cette musique. J’ai adoré les deux albums. J’ai demandé à mon pote ce que c’était comme musique. « C’est du jazz ! » Je me suis dit : « Si je m’en sors, je veux apprendre cette musique. » C’est comme ça que j’ai fait du jazz. En plus, je suis devenu moins con ! Car vous relativisez d’un coup ! Vous vous dites que vous pouvez partir très vite ! Donc je me suis un peu calmé. Quand tout le monde vous dit que vous êtes un surdoué, un prodige, à un moment donné, vous le croyez, et vous devenez vraiment con ! J'ai aimé refaire du classique des années plus tard, avec des vrais gens, d’un autre niveau, ça m’a fait énormément de bien.

- Revenons au présent. Après un album en duo avec le saxophoniste Vincent Lê Quang en 2009 et des collaborations dans différents genres musicaux, vous avez sorti au printemps un disque en votre nom propre, « Thrill Box ». Pouvez-vous nous en raconter la genèse ?
- Je n’avais pas spécialement projeté de faire ce disque. Mais le directeur du label allemand Act m'a proposé de lui soumettre un projet. J’avais envie de travailler avec Axel Matignon (le producteur du disque, ndlr) qui m’a suggéré une formule acoustique. On s’est mis d’accord sur un trio piano-contrebasse-accordéon. Il restait à trouver les musiciens, l’identité du truc, ce que je voulais exprimer. J’avais envie d’un truc un peu folk, ce qui signifiait aussi « mon folklore à moi »... Je n’avais jamais joué avec Michel Benita (contrebasse, ndlr) mais je connaissais son travail. Concernant Michael Wollny (piano, ndlr), j’avais joué quatre minutes avec lui un an plus tôt au New Morning, au concert des 20 ans d’Act. On s’était très bien entendus. Quand il a fallu trouver un pianiste, j’ai pensé à lui.
- Comment s’est passé l’enregistrement de « Thrill Box » ?
- On n’a pas répété. Je voulais qu’on se rencontre en studio. Pour les compositions comme pour les arrangements des reprises, il fallait que je puisse raconter l’histoire en trois minutes et qu’on enregistre de manière spontanée. Du coup, il y a un côté frais, parfois un peu fragile et assez grisant, parce qu’on était hyper contents de pouvoir enfin jouer ensemble.

- Avez-vous enregistré plusieurs prises pour les morceaux ?
- En général, ce sont des one-shots. Une prise a suffi, voire deux maximum. Du coup, quand on s’est retrouvés en concert, c’était un autre ressenti, une autre découverte. C’était la première fois que l’on allait tous jouer dans la même pièce ! En studio, on joue dans des cabines séparées, avec des casques, donc c’était sympa ! Et petit à petit, on trouve nos marques. Pour moi, l’idée n’est pas de rejouer le disque sur scène. Il faut du temps, des concerts et apprendre à se connaître.

- Quand avez-vous commencé à composer ?
- Je ne sais pas trop, en fait. Je ne prends pas ça très sérieusement. Je suis instrumentiste, musicien, un peu touche-à-tout. Je dirais que je touche à l’écriture, mais je ne dirais pas que je suis compositeur. Compositeur, c’est un vrai métier. J’écris des choses... Il s’agit plus d’essayer de retranscrire des sentiments, des envies, des idées. Certains le font par des mots. Moi, je le fais de manière très simple et humble. Mais ça me fait du bien de sortir ces choses, c’est comme un besoin physique, psychologique, de prendre une photo de ce qui se passe à l’intérieur de moi-même. Et parfois, franchement, ce n’est pas beau à voir !

- Avez-vous une méthode particulière pour composer ?
- C’est différent à chaque fois. Sinon, je m’ennuierais. Je peux composer à l’accordéon, au piano, au Rhodes, et comme le son est différent, on joue différemment aussi. Parfois, j’improvise à l’accordéon durant des heures, je m’enregistre et je réécoute. Je relève des choses pas mal, des idées, des esquisses... Mais en fait, j’écris souvent sans instrument. Le moteur, c’est les gens avec qui je vais jouer, pour qui je vais composer. Pour ce disque, j’avais déjà en tête le son des gars, je connaissais leurs qualités, leurs défauts. J’ai écrit « Hypnotic » en pensant à Michael Wollny. Et c’était sûr que ça allait marcher. J’ai écrit la valse « 3 Temps pour Michel’P » pour Michel Portal, avec à la fois un côté traditionnel et un côté complètement barré, plein d’accidents…Comme il est, quoi ! Il a fait du bal, de la variété, du contemporain, du free, il a fait n’importe quoi ! Cette valse, c’est ma vision de lui. Pour « B&H », je pensais à Portal et aux gens avec lesquels il a travaillé : Bojan Z, Henri Texier. J’ai écrit ce morceau en pensant à ce trio et ça a donné le B de Bojan et le H de Henri, mais joué par Michel Portal.
Vincent Peirani et un (rare) rayon de soleil estival dans un restaurant parisien... (25 juin 2013)
 (Annie Yanbékian)
- L’image de l’accordéon s’est-elle améliorée ces dernières années en France ?
- C’est sûr que ça s’est amélioré avec des précurseurs comme Marcel Azzola, Richard Galliano, puis Marc Berthoumieux, Daniel Mille, chacun avec ses spécificités. J’ai fait récemment une émission de radio avec Azzola qui disait : « Non, ce n’est pas encore gagné ! Ce n’est pas parce qu’on en parle plus que l’accordéon a retrouvé la place qu’il devrait avoir. » Il a raison. Moi, j’ai la trentaine et j’ai galéré pour me faire accepter, juste parce que je jouais de l’accordéon. C’était le cas dans les clubs de jazz, mais c’était pire encore auprès des musiciens classiques, car non seulement je jouais de l’accordéon, mais je ne cadrais pas avec le look, j’avais les cheveux longs, des tatouages… Au conservatoire, au début, les gens se foutaient de ma gueule !

- Comment êtes-vous parvenu à vous imposer dans les clubs de jazz ?
-  Dans les clubs, au départ, les gens ne voulaient pas me laisser jouer ! Quand j’ai débarqué à Paris, il y a 13 ans, je ne connaissais personne. J’essayais de rencontrer des musiciens. Au début des conversations, j’écoutais. Puis venait le moment où on me demandait : « Et toi, qu’est-ce que tu fais ? » « Moi ? Je fais de l’accordéon. » « Ah bon… ? Ok… Bon, ben salut ! » C’est arrivé plein de fois ! Il y a certains moments où j’ai réussi à me glisser dans la jam session et à jouer. Et là, ça fonctionnait, avec une batterie, une contrebasse, un piano… Et les mêmes mecs qui m’avaient snobé me disaient : « Eh, mais dis donc, c’est pas mal ! » Maintenant, c’est plus facile, ça change, mais il y a quand même toujours des a priori ! Souvent, à la fin des concerts, des gens viennent me voir et me disent : « Vous savez, je n’aimais pas l’accordéon, c’est mon mari, ou c’est ma femme, qui m’a fait venir à ce concert. Et là, mon regard a changé, c’est super ! »

(propos recueillis par A.Y.)
"Thrill Box", de Vincent Peirani, album sorti le 9 avril 2013
 (Act Music)


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