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"Rebirth", l'autoportrait musical du saxophoniste Samy Thiébault

La musique, à la fois exutoire et introspection. Tel est l'usage qu'en a fait le saxophoniste de jazz Samy Thiébault en composant son sixième album, "Rebirth" (renaissance), un album sur les traces de l'histoire familiale et musicale de l'artiste. Un album plein de vie, de saveurs et d'influences où l'on retrouve, parmi les artistes invités, le trompettiste Avishai Cohen. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le saxophoniste Samy Thiébault
 (Laurence Laborie)

Né le 11 mai 1978 à Abidjan, Samy Thiébault a suivi un parcours classique au conservatoire de Bordeaux avant de finir ses études musicales en 2008 dans la classe de jazz du CNSM de Paris, tout en menant un cursus de philosophie. Entre-temps, il a découvert John Coltrane et a sorti dès 2004 un premier album, "Blues for Nel", où il rendait hommage à ses sources d'inspiration et ses maîtres en jazz, parmi lesquels Lionel Belmondo.

Après un disque consacré en 2015 aux Doors ("A Feast of Friends"), sa première passion musicale, Samy Thiébault a sorti le 30 septembre 2016 son sixième album en leader, "Rebirth", sur le label Gaya Music dont il est le fondateur. Entouré de ses fidèles complices Adrien Chicot (piano), Sylvain Romano (contrebasse) et Philippe Soirat (batterie), il a invité en plus le trompettiste israélien Avishai Cohen à y participer, ainsi que Manu Domergue (mellophone), Meta (percussions) et Jean-Philippe Scali (saxophone). Réalisé par le pianiste belge Éric Legnini, "Rebirth" nous invite à un voyage passionnant, au groove entraînant, de Fès à Abidjan, auxquels s'ajoutent, entre autres, des hommages à Ravel et Moussorgski.

Le quartet de Samy Thiébault, les invités de "Rebirth" ainsi que des "invités-surprises" se retrouvent mardi 31 janvier à Paris, sur la scène du Café de la Danse.


- Culturebox : Pourquoi le titre "Rebirth" ?
- Samy Thiébault : Le titre s'est imposé plus tard... Je suis rentré en studio en février 2016. Or, entre mars 2015 et décembre 2015, j'avais vécu une espèce d'urgence d'écriture, d'élan vital où je sentais qu'il me fallait écrire de nouvelles compositions pour le groupe. Ça venait de plusieurs faits. Je vivais une époque assez intense sur le plan personnel. Je venais de perdre mes deux parents, j'avais rencontré ma femme, je venais d'avoir mon fils... C'était une espèce de cocktail assez dense... D'un autre côté, on tournait beaucoup avec le groupe et quelque chose de nouveau se passait. Des choses se libéraient sur scène et notre rapport au public devenait beaucoup plus profond. J'ai réfléchi sur ce qui entraînait ce changement et j'ai réalisé que c'était une question de mélodie. On avait tourné auparavant avec le répertoire des Doors que j'avais réarrangé. Mais je crois qu'il y avait un travail sur la mélodie que je n'avais jamais fait avant. J'ai eu envie de faire des compositions qui prendraient le même chemin, qui seraient vraiment centrées sur la chanson et le rythme. Et en même temps, j'avais certainement besoin d'exprimer quelque chose de mon moi profond en cette période forte...

- Les pays évoqués dans le répertoire du disque sont directement liés à votre histoire... Vous y êtes-vous sciemment replongé ? 
- Six mois plus tard, quand j'ai levé le stylo, je me suis aperçu que les thèmes parlaient du Maroc, le pays de ma mère, de l'Afrique de l'Ouest, d'Abidjan où je suis né, de l'Amérique du Sud avec laquelle j'ai un très fort lien humain et culturel, et d'Iran, le pays de ma compagne... Ce n'était pas volontaire. Mais je me suis rendu compte que j'avais réalisé une espèce d'autoportrait... Maintenant, les gens se fichent de savoir que tout cela parle de mon histoire. Ce qui compte, c'est de transcender toutes ces choses et de les rendre universelles.
Par ailleurs, toute ce processus correspondait à une période de renouveau durant laquelle je me posais de vraies questions sur la pratique du saxophone ténor, sur le jeu, le rapport au rythme, je me suis dit que tout cela représentait une étape très forte, une forme de renaissance, et quand on a cherché un titre pour l'album, au bout d'une demi-heure de réflexion, on est arrivé à "Rebirth".


- Pendant que vous écriviez les musiques, vous ne vous êtes donc pas rendu compte du travail très personnel, rétrospectif, que vous étiez en train de faire ?
- Pas du tout. C'était vraiment un besoin... C'est le premier album non conceptuel que je fais. D'habitude, avant de me mettre à l'écriture, j'ai toujours une idée directrice. C'était le cas pour les disques précédents. Pour le projet qui précédait "Rebirth", je savais que j'allais me mettre à faire un album autour des Doors. Pour l'avant-dernier, "Clear Fire", je savais que je voulais travailler avec un chanteur-percussionniste [ndlr : Meta, qui fait son retour sur "Rebirth"], avec une orchestration particulière.. Pour "Upanishad Experiences", je voulais travailler sur un large ensemble avec l'apport de la voix de Jackie Berroyer... Mais avec "Rebirth", c'est la première fois que j'ai eu besoin d'exprimer quelque chose de primaire et vital. Je savais aussi que j'avais envie d'enregistrer très vite avec le groupe. D'ailleurs, toute l'équipe s'inquiétait un peu. Tout le monde me demandait : "Quel est le concept de l'album ? Tu ne peux pas juste dire que ce sera un disque de compositions..." On vit de plus en plus dans une époque de story-telling, il faut toujours avoir une histoire à raconter... Alors je me suis posé. J'ai regardé tout ça et je me suis dit : "Tout est là, c'est un autoportrait, une forme de renaissance." C'était assez évident.

- Votre disque démarre avec le titre "Abidjan", la ville où vous êtes né. Quels souvenirs gardez-vous de cette époque ?
- Je n'y suis resté que les trois premières années de ma vie. J'en ai donc des souvenirs un peu fantasmés, que mes parents m'ont racontés. J'en ai surtout une expérience très forte, qui est récente : j'ai été très heureux d'y retourner, adulte, et en tant qu'artiste, il y a deux ans, pour le festival de jazz d'Abidjan. Or, le hasard a voulu que la programmatrice, Marie-Hélène Costa, n'était autre que la personne qui s'occupait de moi quand j'étais petit ! Elle m'a dit : "Attends, tu es Samy Thiébault, le fils de Naïma et de Claude Thiébault ?" J'ai répondu par l'affirmative. Elle m'a dit alors : "Mais je te connais ! Je t'ai gardé quand tu étais tout petit ! Je vais t'amener visiter ta maison !" C'était extrêmement fort. Je venais de débarquer de l'avion, elle m'a pris dans ses bras et m'a dit : "Bienvenue dans ton pays." J'ai commencé à pleurer toutes les larmes de mon corps. À ce moment, il s'est vraiment passé quelque chose de l'ordre de la résurgence. Ce voyage a eu lieu en 2014, je crois, au cours de cette même époque assez dense dont je vous parlais tout à l'heure... J'étais en train de finir le disque sur les Doors tout en étant déjà plongé dans des problématiques de vie assez fortes... En rentrant de ce voyage, il m'avait paru évident que j'écrirais quelque chose en relation avec l'Afrique. Les graines étaient semées. Et en septembre prochain, je vais retourner en Afrique de l'Ouest, avec une grosse escale à Abidjan.

Samy Thiébault et Avishai Cohen
 (Laurence Laborie)

- Comment Avishai Cohen s'est-il retrouvé sur ce projet ?
- Parce que je ne voulais pas faire les choses à moitié. Parallèlement à mon travail sur la mélodie, sur des choses très élémentaires et primaires, j'avais envie de me savonner la planche ! Avec mon groupe, on se connaît depuis dix ans, c'est notre force. Mais comme vous le savez, quand vous connaissez trop les gens, vous courez un risque : il peut s'installer une zone de confort souvent un peu dangereuse. Je voulais donc intégrer un élément perturbateur pour nous faire travailler hors de nos réflexes de jeu, même s'ils sont formidables car ils forgent la cohésion du groupe. Il n'y a pas d'art sans évolution. J'ai voulu introduire du hasard dans ce qui pouvait être prévisible. Il y a deux ans, j'ai écouté le disque qu'Avishai Cohen avait sorti, je l'ai entendu jouer. Je trouve que c'est l'un des musiciens les plus inventifs, dans l'instant, qui soient. J'ai voulu que ce soit lui qui vienne participer au projet. J'ai eu la chance qu'il ait accepté assez rapidement. Ça a été formidable, ça nous a relancés sur une toute autre dynamique.

- Après "Rebirth", avez-vous déjà d'autres projets en tête ?
- Je pense que dans les six prochains mois, je vais rentrer en studio afin d'enregistrer quelque chose qui ressemblera à un diptyque. Il y aura donc deux volets différents qui se répondront, mais leur sortie sera décalée. Je ne vous en dis pas plus...

Samy Thiébault "Rebirth" en concert à Paris
Mardi 31 janvier 2017, Café de la Danse, 19h30 (première partie : Ellinoa Quintet)

Avec Samy Thiébault (saxophone ténor, saxophone soprano, flûte, compositions), Adrien Chicot (piano, Fender Rhodes), Sylvain Romano (contrebasse), Philippe Soirat (batterie), Meta (percussions, chant).
Invités : Manu Domergue (mellophone), Jean-Philippe Scali (saxophone baryton), Lisa Cat Berro (saxophone alto)

Autres dates :
Dimanche 5 février à Marseille (showcase privé)
Mardi 7 février à Salon-de-Provence (IMFP)
Samedi 11 février à Saint-Malo (Théâtre)
> L'agenda complet de Samy Thiébault

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