Ping Machine en concert vendredi à Paris : rencontre avec Fred Maurin
Pour Ping Machine, la saison 2011-2012 aura été exaltante ! L’accueil chaleureux rencontré par le troisième album «Des trucs pareils» a donné des ailes au groupe. Depuis le concert de création du troisième album, le 12 octobre 2011 à la Dynamo de Pantin, aux portes de Paris, le groupe de Fred Maurin s’est produit régulièrement, dans la capitale (par deux fois) et en province : Marseille et Béziers en novembre, Briançon et Chalon-sur-Saône en janvier, puis, enfin, Lillebonne en février, dans la région natale de Fred Maurin. L’occasion d’une résidence de quelques jours et d’un concert avec des musiciens locaux, histoire d’étrenner au passage de nouveaux morceaux.
Dans le même temps, la presse écrite et les médias (Radio France notamment, sans oublier Culturebox) ont offert des tribunes régulières à Fred Maurin et ses camarades. Cette reconnaissance ne peut que ravir les admirateurs de ce groupe de jazz jeune, moderne et généreux, lancé au milieu des années 2000. Le retour gagnant au Studio de l’Ermitage sonne déjà comme une apothéose. Comme chacun de leurs concerts. Sur scène, Ping Machine déploie une énergie et une inventivité folles, et déverse des torrents de couleurs, vibrations et rythmes insoupçonnés…
Rencontre avec Fred MaurinLe fondateur de Ping Machine nous parle de son parcours, revient sur la formation du groupe et nous confie ses impressions à l’issue d’une saison pleine de satisfactions.
Culturebox – Pouvez-vous nous parler de votre formation musicale ?
Fred Maurin - Je n’ai pas une formation musicale à l’origine. J’ai fait des études d’ingénieur en agronomie. Toutefois, à 9 ou 10 ans, je suis entré au conservatoire de Notre-Dame-de-Gravenchon, en Seine-Maritime. J’y suis resté deux ans et demi… puis j’ai fait du foot ! J’ai recommencé la musique à 15 ans. Au lycée, j’ai étudié la guitare en autodidacte, jusqu’à la fin de mes études générales. J’ai fait une école d’ingénieur, j’ai passé une agrégation et je me suis réinscrit au conservatoire, à plus de 20 ans. En 2004, j’ai passé un diplôme d’études musicales à l’EDIM (célèbre école de jazz et musiques actuelles proche de Paris) en partenariat avec le conservatoire de Bourg-La-Reine. Puis j’ai passé le diplôme d’Etat de jazz en 2007, en théorie pour être prof de jazz, mais je ne le suis jamais devenu...
- Comment votre culture musicale s’est-elle forgée ?
- J’ai joué dans beaucoup de groupes de rock. Quand j’avais 15 ans, on faisait des reprises d’ACDC ! J’ai un passé musical très rock. Quand j’étais petit, mon père écoutait beaucoup les Beatles, Pink Floyd, tout le rock de la fin des années 60, 70. Et puis Hendrix. Adolescent, je me suis mis à écouter Led Zeppelin. J’ai commencé à découvrir le jazz au lycée, en terminale. J’avais un copain de classe qui écoutait cette musique. Vers l’âge de 20 ans, je me suis mis à écouter beaucoup de musique du XXe siècle. Quand j’ai découvert «Le Sacre du Printemps» (oeuvre d'Igor Stravinsky, ndlr), je suis resté scotché dessus pendant un mois…
- Parlez-nous de vos anciens groupes avant la fondation de Ping Machine…
- Dans ces groupes, nous étions tous étudiants en musique dans différentes écoles, différents conservatoires. On a appris ensemble en jouant Thelonius Monk, Ornette Coleman, des standards qu’on aimait. J’ai aussi joué dans des petits groupes où on faisait pas mal d’improvisation libre. On jouait dans des bars. C’était l'apprentissage habituel. On travaillait un répertoire. Il y a certains morceaux qu’on n’a jamais pu jouer (rires)… C’est très important d’étudier plein de choses, ça permet de comprendre ce que l’on sait faire, ou pas, ce qui nous constitue, ce que l’on a vraiment envie de faire. Moi, je sais que je ne serai jamais un bon musicien de bebop. Il faut en faire 5 à 10 heures par jour ! J’ai eu un mal de chien à apprendre des morceaux quand j’étais étudiant en musique, pour passer mes examens. Mais une fois que l’on arrête de bosser ces morceaux, ça s’oublie à une vitesse folle !
- Comment le groupe Ping Machine a-t-il été formé ?
- Certains membres étaient mes professeurs, comme Andrew Crocker (trompette) et Jean-Michel Couchet (saxophone). L’orchestre a connu deux formats, deux époques, avant 2008, et après 2008. Avant, il comprenait principalement des copains rencontrés durant mes études –après aussi, cela dit. Le niveau d’exigence dans la réalisation n’était pas celui d’aujourd’hui, c’était encore celui d’un orchestre d’étudiants, même si je risque d’en vexer certains… En 2008, durant six mois, on a fait très peu de concerts. Je me posais beaucoup de questions quant à la capacité de faire évoluer l’orchestre. J’ai changé une grosse partie du groupe. Je suis allé chercher des gens que j’avais rencontrés entre-temps, d’un niveau musical largement supérieur. Cela a débloqué plein de choses. Avec des gens qui avaient une expérience professionnelle incroyable et des jeunes musiciens déjà très reconnus, l’orchestre a énormément progressé.
"Early Morning Party", extrait de l'album "Des trucs pareils", à Marseille, au Cri du Port (10/11/2011), avec des solos de Fabien Debellefontaine (saxophone) et Bastien Ballaz (trombone)
- D’où vient le nom «Ping Machine» ?
- Ce qui est certain, c’est que je n’allais pas appeler mon groupe «Frédéric Maurin Large Ensemble», par exemple... Il y a une forme de prétention là-dedans. Dans l’actuelle génération de jeunes musiciens de jazz, on a tous envie d’avoir des groupes. C’est représentatif de la façon dont on souhaite travailler, construire les choses. Il y a 7 ou 8 ans, j’ai été marqué par un master class du saxophoniste Roscoe Mitchell, l’un des fondateurs du collectif des musiciens de free jazz de Chicago. Il expliquait qu’ils vivaient tous dans la même baraque et jouaient tout le temps ensemble. Cette idée de groupe est très importante. Il nous fallait donc un nom. Or, chercher un nom de groupe, c’est très dur (rires) ! En revoyant un jour le film «Le sens de la vie» des Monty Python, où il y avait cette séquence de «la machine qui fait ‘Ping !’», cela m’a paru être une bonne idée de nom.
- Pourquoi n’y a-t-il pas de femme dans le groupe ?
- C’est une très bonne question ! J’ai déjà eu un certain nombre de remarques, à commencer par la maison… (rires) Ma femme me le reproche. Des personnes que l’on côtoie dans certaines institutions nous ont aussi fait des remarques amicales. Il y a deux choses. D’abord, et c’est un constat, le monde du jazz demeure très majoritairement un milieu de mecs. Quand j’étais en école de musique, il n’y avait pas de filles, les personnes qui étaient les plus proches de moi étaient des gars. Aujourd’hui, quand je dois remplacer certains musiciens, j’ai toujours une liste de possibilités, et il est rare que les filles auxquelles je pense soient disponibles. Avant, je choisissais mes musiciens au sein des gens que je connaissais, et il n’y avait que des garçons. Aujourd’hui, mes choix se font uniquement en fonction des compétences. Il n’y a aucun machisme. Mais les choses progressent pour les femmes. Aujourd’hui, dans le jazz –en dehors des chanteuses, je ne pense pas me tromper en disant qu’il y a dix fois plus de femmes qu’il y a vingt ans.
"Alors, chut...", extrait de l'album "Des trucs pareils", à Marseille, au Cri du Port (10/11/2011), avec un solo de Fred Maurin (guitare)
- Comment se passent les séances d’enregistrement du groupe ?
- On enregistre tous ensemble, en même temps. C’est une musique dans laquelle il y a de l’interaction, un dialogue permanent qui se crée. Cela n’aurait pas de sens d’enregistrer piste après piste. On fait des prises de certains morceaux, et parfois, des prises de certaines sections qui intègrent un solo. Ensuite, on choisit les prises en privilégiant à la fois le discours du soliste, la façon dont joue le reste de l’orchestre et la manière dont cela interagit. Pour le dernier disque, il n’y a aucun solo pour lequel on ait fait plus de trois prises. Ca ne marche pas de faire des solos cinq fois. On recherche une spontanéité, une âme. Cela veut dire aussi qu’il faut accepter que ce ne soit pas parfait. Quand on est maniaque et perfectionniste comme moi, c’est difficile à accepter. Cela veut dire que toute ma vie, quand je réécouterai le disque, à certains moments, j’aurai mal aux oreilles et ça me désespèrera, mais ce n’est pas grave ! Le studio fait partie des moments très agréables de la vie de musicien, avec les tournées et les concerts. J’ai un énorme plaisir à travailler avec les membres du groupe.
- La démarche d’aller au concert semble fondamentale pour vous. Dans vos disques, vous appelez les gens à le faire, et sur scène, vous remerciez toujours ceux qui ont fait la démarche de venir vous écouter…
- J’ai toujours été très étonné par le rapport avec le disque que peut avoir le public qui écoute du jazz –au sens très large du terme. Il y a plein de gens qui écoutent beaucoup de jazz mais qui ne vont jamais au concert ! Je le sais car j’avais fait un mémoire au conservatoire sur ce thème. J’étais effaré. Ce n’est qu’au concert que la musique acquiert sa dimension de communion. Les gens se réunissent, écoutent de la musique, ressentent ensemble des émotions, partagent des choses. Le concert, c’est fondamental dans la musique. Finalement, le disque éloigne de l’humain et replie sur l’individu. En concert, tous les sens sont sollicités, on sort d’une vision plus cérébrale et l’on retrouve aussi l’émotion du son. Car d’une manière générale, chez eux, les gens n’écoutent pas du tout la musique au volume auquel elle est jouée en réalité. Or une batterie, un tuba, ça sonne !
Un précédent passage de Ping Machine au Studio de L'Ermitage, à Paris (7 janvier 2011), un extrait du titre "Des trucs pareils" avec Andrew Crocker en solo (trompette)
- Comment avez-vous vécu cette saison dense, qui vous a permis de toucher un public de plus en plus large, notamment grâce à des passages sur les émissions de Radio France et à des tournées en province ?
- Nous avons été très heureux de pouvoir autant jouer ! Le soutien de Radio France et de la presse en général nous a beaucoup aidés à toucher un public beaucoup plus large.
- Comment le public a-t-il reçu cette musique qu'un certain nombre peuvent juger aride au premier abord, selon des témoignages que vous avez vous-même entendus il n'y a pas si longtemps ?
- Partout où nous avons joué, nous avons été très bien accueillis par le public. En concert, la musique ne paraît jamais "aride" car elle prend vie grâce aux musiciens. Souvent, des personnes du public viennent nous voir pour nous dire qu'ils ne connaissaient pas notre musique, mais qu'ils sont rentrés dedans et qu'ils ont passé 1h30 de "trip". Les gens doivent accepter qu'il n'y a rien à comprendre en musique, juste à accepter de partager un moment d'émotions.
- Que ressentez-vous, personnellement, en constatant que votre travail est ainsi reconnu ?
- Je crois que c'est le travail de l'orchestre qui est reconnu et c'est cela qui me fait le plus plaisir. Ce groupe est une aventure collective et cette reconnaissance de l'ensemble est la meilleure chose que nous puissions partager.
- Travaillez-vous déjà sur le prochain album ?
- Je suis en train d'écrire un nouveau répertoire, dont nous jouons deux morceaux depuis février. Je pense que d'ici à la fin de l'année, nous aurons de quoi faire un nouveau disque. J'aimerais faire un double CD avec un disque live et un disque studio pour 2013.
Propos recueillis par A.Y.
Le concert : Ping Machine au Studio de l’Ermitage
Vendredi 23 mars 2012
8, rue de l’Ermitage
75020 Paris
Tél : 01 44 62 02 86
Tarif : 12 euros (tarif réduit 8 euros), voir ici
Le concert sera retransmis sur France Musique à partir de 22h30, dans l’émission Jazz Club d’Yvan Amar.
Le groupe : Frédéric Maurin : composition, direction, guitare
Bastien Ballaz : trombone
Guillaume Christophel : saxophone baryton et clarinette basse
Jean-Michel Couchet : saxophones alto et soprano (remplacé à L’Ermitage par Pierre-Olivier Govin)
Andrew Crocker : trompette
Fabien Debellefontaine : saxophone alto, clarinette et flûte
Florent Dupuit : saxophone ténor, flûte, flûte alto et piccolo
Didier Havet : trombone basse et tuba
Rafael Koerner : batterie et percussions
Benjamin Moussay : piano, fender rhodes et célesta (remplacé à L’Ermitage par Paul Lay)
Fabien Norbert : trompette, trompette piccolo et bugle
Quentin Ghomari : trompette et bugle
Raphaël Schwab : contrebasse
Julien Soro : saxophone ténor et clarinette
Flashback ! Le "teaser" de présentation de l'album "Des trucs pareils", sorti en septembre 2011 chez NeuKlang
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