Orchestre national de Jazz : les chantiers de Frédéric Maurin, le nouveau patron
En janvier, le compositeur et guitariste Frédéric Maurin a pris ses fonctions de directeur artistique de l'Orchestre national de jazz pour quatre ans. En attendant le concert inaugural articulé autour d'Ornette Coleman, le 19 avril à Bobigny en clôture du festival Banlieues Bleues, il nous présente les premiers projets artistiques et quelques chantiers concrets de son mandat.
Après de nombreuses années passées à la tête de Ping Machine, big band ardent de jazz contemporain qu'il avait fondé en 2004, et à la présidence de Grands Formats, fédération dédiée au jazz en grande structure, Frédéric Maurin, 43 ans, a entamé une nouvelle phase de sa carrière. Le 1er janvier, il est devenu le nouveau directeur artistique de l'Orchestre national de jazz (ONJ) pour un mandat de quatre ans.
Au menu de l'ONJ version Maurin, des collaborations avec des compositeurs d’horizons très variés, du bassiste arrangeur Fred Pallem à la pianiste Ève Risser en passant par le saxophoniste américain Steve Lehman. Le nouveau directeur artistique ne s'impose aucune contrainte thématique reliant les programmes, à l'inverse de son prédécesseur Olivier Benoit qui avait articulé ses projets autour de l'Europe.
Les jeunes à l'honneur... ainsi que les femmes
Parmi les nouveautés initiées par Frédéric Maurin, il y a la création de programmes dédiés au jeune public (un "Dracula" créé à l'automne 2019 et, plus tard, un programme autour de Frank Zappa où interviendront des marionnettes), ainsi que la formation d'un Orchestre des jeunes de l'ONJ réunissant des élèves de conservatoires et écoles de musique. À sa tête, se relaieront d'anciens directeurs de l'ONJ avec pour objectif de redécouvrir 30 ans de répertoire de l'orchestre. François Jeanneau prend en charge la saison 1. Par ailleurs, la question de la sous-représentation des femmes dans le jazz figure parmi les préoccupations de la mandature.
L'ONJ version Maurin donne son premier concert, un programme élaboré autour du légendaire saxophoniste Ornette Coleman, vendredi 19 avril 2019 à Bobigny en clôture du festival Banlieues Bleues, avant d'autres dates.
- Culturebox : Vous avez débuté une toute nouvelle aventure à la tête de l'ONJ, une institution pour le jazz en France. Comment allez-vous ?
- Frédéric Maurin : Je suis très heureux. Il y a du stress parce qu'il y a beaucoup à faire et il y a des choses sur lesquelles je sais que je vais être très attendu. Mais c'est un stress très différent de celui que j’ai connu auparavant. Il est lié à des choses artistiques et au fait qu'on fasse bien ce qu'on doit faire. Mais il y a beaucoup moins de stress par rapport au fait de savoir si dans trois mois, on sera encore là. Quand on dirige un orchestre, après trois mois, on peut être amené à tout arrêter faute de financement ou faute de concert. Je mesure la chance incroyable que j'ai actuellement. Les choses se mettent en place, l'équipe est formidable, on va augmenter l'activité, donc j'espère qu'on va aussi augmenter l'équipe.
- Pouvez-vous nous présenter les premiers projets musicaux de l'ONJ ?
- Je souhaitais ouvrir l'orchestre à diverses esthétiques. On a invité beaucoup de compositeurs et de compositrices. Les commandes sont passées, le programme "Dancing in your Head(s)" autour d'Ornette Coleman, pour lequel Fred Pallem a écrit les arrangements, commence dès le 19 avril. On a commencé à répéter le deuxième programme, "Rituels", la semaine dernière, c'était super. J'en ai composé la moitié, l'autre moitié ayant été confiée à Camille Durand [alias Ellinoa], Sylvaine Hélary, Grégoire Letouvet et Leïla Martial. On a lancé aussi la production du premier spectacle jeune public de l'ONJ, "Dracula", dont je coécris la musique avec Grégoire Letouvet, et qui fait appel à deux comédiennes.
On est dans une phase de production, de mise en place, de répétitions. On passe de nouvelles commandes pour les années suivantes en essayant d'anticiper. Ça n’a pas été possible pour 2019 puisque j'ai été recruté à l'été 2018. On n'a pas encore de musique à faire entendre, alors on essaie de convaincre les gens sur les intentions et les descriptions des programmes, ce qui n'est pas évident. Mais ça vient, je ne suis pas inquiet. On a une présence sur quelques festivals cet été, c’est plutôt bien parce que ce n'est pas évident pour l'ONJ d'être présent sur ces événements.
- Ces signaux sont encourageants !
- Une des idées derrière le choix d'esthétiques variées, c'était aussi de pouvoir être programmé dans des lieux différents. Certains lieux ont des volontés de programmation plus proches du grand public, d'autres sont plus proches d'une musique d'avant-garde, de création. Que l'ONJ soit présent sur différents tableaux me paraît parfaitement légitime dans le cadre de ces missions. Ce n'est pas ce que j'aurais fait avec Ping Machine puisque j'y jouais ma musique et c'était alors le deal de cet orchestre.
- Dès votre nomination, vous avez présenté divers chantiers dont la parité hommes-femmes. Des musiciennes sont déjà mises à contribution sur des programmes. Une bonne nouvelle alors que la question de la faible présence des femmes dans le jazz fait débat de manière récurrente ces temps-ci…
- L’ONJ étant un orchestre "national", il faut une représentation large, et parmi les artistes présents sur les différents programmes, il faut qu'il y ait des gens de toutes les générations et qu'il y ait des femmes et des hommes. Dans le cadre de la mission qui m'a été confiée, il est important et légitime de prendre la représentation des femmes très au sérieux et de faire le maximum afin de pouvoir faire évoluer les choses. Mais je n'ai pas de leçon à donner à quiconque. Les gens gèrent comme ils le souhaitent leurs initiatives artistiques individuelles.
- À son échelle, comment l'ONJ peut-il faire évoluer les choses ?
- Pour cette question et pour d'autres, on lance un gros chantier. On a recruté quelqu'un aux actions culturelles à l'ONJ, un poste qui n'existait pas avant. Il s'agira de mettre en place des actions, modules, différentes choses autour des concerts - mais pas seulement - pour travailler sur des questions qui me paraissaient importantes. Il n'y a pas de femmes dans le jazz, il suffit de se rendre à un festival pour le voir, ou de recruter pour l'Orchestre des jeunes de l'ONJ comme je l'ai fait : sur 130 candidatures, il y avait neuf femmes. Et encore, c'est plus que la moyenne. Pour les femmes instrumentistes, on est plutôt à 3 ou 4% en ce moment. On va essayer de proposer plein d'actions très concrètes, très simples. Par exemple, aller dans les classes de premier cycle de conservatoire afin que les enfants puissent entendre des femmes musiciennes. Et que ces femmes leur parlent de leur métier, leur jouent du jazz.
- Pouvez-vous nous citer quelques autres chantiers ?
- Par exemple, la question du renouvellement du public. Comment peut-on s'adresser à des publics d'enfants ? Il y a un autre sujet, qui m'est un peu plus personnel, qui est celui de mener des actions dans les centres pénitentiaires [ndlr : Frédéric Maurin le faisait du temps de Ping Machine].
- L'ONJ possède un label, ONJ Records, sur lequel sont sortis les albums de la précédente mandature. Que va-t-il devenir ?
- Le label continue mais on va recentrer son activité sur celle de l'orchestre [ndlr : les musiciens de l'ONJ ont sorti quelques disques en petites formations sur le label. Ça ne se fera donc plus]. Pour moi, le cœur de l'activité, c'est l'orchestre. On revient à une instrumentation avec des effectifs importants, entre 15 et 18 musiciens sur scène. Sur l'action culturelle en revanche, on pourra faire intervenir des petites formations.
- Parlez-nous enfin du concert inaugural de votre mandat, le 19 avril en clôture de Banlieues Bleues.
- C'est une création, un programme d'arrangements confié à Fred Pallem sur la musique d'Ornette Coleman et la "galaxie Ornette", c'est-à-dire des musiciens influencés par le saxophoniste, comme Julius Hemphill, Eric Dolphy, Tim Berne... La résidence de répétition a lieu la semaine précédant le concert. On peut dire qu'il y a deux grandes périodes pour Ornette : l'acoustique, puis l'électrique à partir du milieu des années 70. L'idée générale était de présenter sa musique en englobant toutes les périodes, mais avec une vision plutôt groove et électrique.
J'ai toujours été intimement convaincu que la musique d'Ornette était très directe et que cette étiquette "free jazz" qu'on lui avait collée l'avait empêché de faire entendre sa musique à plein de gens. Si vous faites écouter plusieurs thèmes d'Ornette à des gens, ils trouveront ça très accessible. C'est le cas de "Dancing in your Head" qui donne son titre au programme, et aussi d'autres morceaux très entraînants. Bien sûr, au niveau du timbre et de l'approche, il y a quelque chose de l'ordre de l'engagement chez Ornette qui est très fort. Mais il n'y a pas nécessité d'apprentissage, il n'y a pas d'harmonies complexes... C'est une musique liée au chant, très communicative. J'y ai toujours ressenti quelque chose de solaire, fort et simple, collectif et barré, avec une dimension de folie joviale... Si vous écoutez sa musique, vous êtes bien... J'espère qu'on pourra transmettre tout ça aux gens.
L'Orchestre national de Jazz (ONJ) en concert
Concert inaugural le vendredi 19 avril 2019 à Bobigny, MC93, 20H30, "Dancing in your Heads" (1re partie : le quartet Novembre "Ornette/Apparitions")
"Dancing in your Heads" sera présenté à Vitrolles (Théâtre de Fontblanche) le 27 avril, à Jazzdor Berlin le 7 juin, à Saint-Omer Jazz le 7 juillet, à Jazz à Luz le 12 juillet. Tim Berne est invité sur les deux dernières dates citées.
Parmi les autres programmes, "Rituels", composition collective pour orchestre et quatre voix avec création vidéo, sera présentée le 9 novembre 2019 à Paris, à Radio France
> L'agenda-concert de l'ONJ
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