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Médéric Collignon, jazzman prodige, revisite King Crimson à Paris : rencontre

Mercredi soir au New Morning, le cornettiste et vocaliste étourdissant rend hommage au légendaire groupe de rock progressif. Il sera entouré de son propre groupe, Jus de Bocse, et… d’un octuor à cordes ! En attendant cette performance, nous avons rencontré le musicien, qui s'est confié avec la franchise qui fait sa griffe.
Article rédigé par franceinfo - Annie Yanbékian
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 12min
Médéric Collignon et son fameux cornet de poche feront partie des stars du jazz présent lors de ce "méga concert".
 (Fred Toulet/Leemage)

Médéric Collignon, né dans les Ardennes voici 41 ans, est l’un des musiciens les plus doués, créatifs et ébouriffants de sa génération. Après une formation classique à Charleville-Mézières puis Nancy, et l’apprentissage de la trompette, il s’est ouvert au jazz et à diverses musiques du XXe siècle. Il a troqué la trompette pour le cornet à pistons, puis le cornet de poche, son instrument de prédilection, ainsi que d’autres instruments à vent comme le bugle et le saxhorn.

Dans les années 2000, il a joué dans plusieurs formations comme l’Orchestre national du Jazz (ONJ) ou le Sacre du Tympan. Il s’est associé à des projets de théâtre et de danse. Il a participé à de nombreux enregistrements. Il a sorti deux albums à son nom et celui du groupe qu’il a formé en 2001, Jus de Bocse (comprenez «Juke-box»), «Porgy and Bess» en 2006* (il y revisitait à sa façon l’hommage rendu par Miles Davis au chef-d’œuvre de Gershwin), puis «Shangri-tunkashi-la» en 2010**.

Vocaliste virtuose et facétieux
Installé à Paris depuis 1997, Médéric Collignon a cultivé par ailleurs, en autodidacte, un don de vocaliste virtuose, combinant avec gourmandise le beatbox (les percussions), le scat (improvisations vocales) et d’autres techniques comme les vocalises suraiguës. Le tout, avec le renfort d’effets électroniques qui illustrent la dimension extra-terrestre d’un personnage pétillant et hors norme, qui s’avoue lui-même incontrôlable et allergique aux compromissions.

Médéric Collignon
 (DR)

La rencontre
Nous avons retrouvé Médéric Collignon le 1er décembre à Paris, dans un grand café de la place de l’Opéra. Un homme volubile, souriant, rieur, d’une vivacité d’esprit saisissante, assumant son côté «électron libre» dans le gotha du jazz, qui ne lui vaut pas que des amitiés. Il taillera, hilare, quelques costards. Mais nous ne donnerons aucun nom, pour ne pas dévier d’un sujet suffisamment passionnant en soi !

- Parlez-nous de ce projet d’hommage à King Crimson par des instruments à cordes, que vous présentez au New Morning.
- Ce qui m’amuse, c’est de leurrer les gens, de jouer avec le son, transformer un kilo de plomb en un kilo de plumes ! L’idée, c’est de remplacer la guitare électrique par plein de cordes. Non pas quatre, mais huit, deux quatuors à cordes. J’ai recruté des musiciens qui ont l’habitude de jouer dans différents registres, de voyager entre les styles. Immobilisé plusieurs mois par une hernie discale, j’ai eu tout le temps de les chercher… Je veux aussi démontrer qu’il est possible de voyager sur presque quarante ans de musique d’un groupe mythique, mais peu mis en avant, parce que trop complexe aux yeux de certains, alors que ce n’est que du rock, et qu’il n’y a rien de plus simple que le rock ! J’ai envie que les gens s’éclatent sur du rock, du jazz, des cordes, du sound painting***, où je ferai des conneries avec mon visage ! Ce sera le cirque, ça va rigoler !

Médéric Collignon (à droite) et son groupe Jus de Bocse
 (DR)

- Le projet a été créé sur scène les 17 et 18 juin sur la scène du Triton, aux Lilas, où Jus de Bocse est en résidence depuis des années...
- Nous nous sommes retrouvés à douze (le quartet Jus de Bocse et l’octuor à cordes, ndlr) sur une scène où il n’y a pas assez de place ! Et ça a marché du tonnerre de Dieu, pour un début, malgré quelques petites erreurs, car tout cela était encore vert ! Le Triton était rempli à ras bord. D’où l’idée de venir au New Morning, plus grand, puisqu’il doit pouvoir accueillir 350 à 400 personnes. On va jouer puissamment, vraiment rock, fort, car la salle est très difficile. On n’a pas peur, on y va !

Extrait du spectacle dédié à King Crimson au Triton en juin 2011 (partie 1)

- Comment ce projet a-t-il été accueilli à l'origine ?
- On m’a dit qu’écrire à partir de la guitare, pour violon, violoncelle, alto, cela équivalait à gravir une montagne avec la petite cuillère, que c’était quasiment impossible. D’autres m’ont fait comprendre qu’il ne fallait tout simplement pas le faire ! Alors je l’ai fait, justement ! Quand Claude Barthélémy, qui est un ami et un ancien directeur de l’Orchestre national du jazz, a appris que la partie guitare de King Crimson était remplacée par des cordes, il a fait «Pppfff !» Comme quoi, même les grands peuvent douter ! En fait, ce sont des mecs pareils, qui sont géniaux, qui me donnent envie de relever la barre encore plus haut !

- Peut-on espérer voir ces adaptations de King Crimson sortir en disque ?
- Contrairement à d’autres musiciens, je joue toujours les morceaux longtemps avant de les enregistrer. Le disque clôt une histoire, un processus de maturation, comme pour un vin naturel. C’est une façon de faire à l’ancienne. Et complètement indépendante, puisqu’en général, les gens enregistrent des disques pour se produire ensuite sur scène avec ce répertoire. Sauf que la musique n’a parfois plus de rapport avec celle qu’ils ont enregistrée. Cela peut causer une grosse déception pour le public. Avec moi, c’est l’inverse. Je joue, je joue, je joue… Puis à un moment donné, on enregistre. Quand la décision est là, ultime, et quand tu sens que tu vas sortir la substantifique moelle du groupe.

Extrait du spectacle dédié à King Crimson au Triton en juin 2011 (partie 2)

- Le studio représente-t-il un moment agréable ?
- J’aime bien le studio. Tu y gères le temps différemment. Tu sais que tu peux t’arrêter n’importe où, que tu peux mentir, manipuler… Mais tu sais surtout que tu peux envoyer bien plus loin ta balle dans l’espace. Quand tu es en studio, en plus de la musique, tu es motivé par la vie qui t’entoure. Il y aura toujours quelqu’un qui dira : «On peut attendre cet après-midi, après le repas, tu pourras rejouer, ne t’inquiète pas.» Or je déteste quand on me dit «Ne t’inquiète pas» ! Cela me donne envie de taper plus loin, de jouer comme un enfoiré. «Laissez-moi une prise, ouvrez encore les micros, j’y vais !» Et là, «Ouaaaah !!!» Tu envoies toute ton énergie, toute ta vie... Et oh, purée ! C'est passé à ça près, mais ça marche ! Cette tension crée un sentiment extraordinaire. Au mixage, je vais pouvoir m’amuser. A l’écoute, ça va être vivant, élevé d’un point de vue gustatif. On est dans la grande cuisine, pas dans le petit truc formaté, tout propre. La musique, ce n’est pas le Rubik’s Cube, c’est au-delà des maths ! Il faut que ça suinte le vivant, la sueur !

Extrait du spectacle dédié à King Crimson au Triton en juin 2011 (partie 3)

- En plus d’être connu comme étant un jazzman touche-à-tout, vous êtes réputé pour votre forte personnalité. Vous en êtes conscient. Comment le vivez-vous ?
- Il y a des gens qui ne vont pas chercher plus loin et qui me qualifient par exemple de «chien fou», de «clown»… C’est réducteur. Et la plupart du temps, les gens se répètent. Pour moi, les individus ne sont pas que des mots. A un moment, je leur fais un bras d’honneur, aux mots (il joint le geste à la parole) ! Je démoule même des mots, pour les transformer en autre chose, puisque j’écris aussi, je froisse le papier quand ce n’est pas bon, j’essaie d’être critique. L’idée, c’est d’être libre de ce que je dis, comme dans une impro totale.

Médéric Collignon et son cornet
 (DR)

- Avez-vous déjà pensé à écrire des paroles de chansons ?
- C’est tout le paradoxe ! Il y a quelques mois, mon manager m’a sollicité pour chanter mes propres chansons, avec des paroles en français. On s'est dit : «Jouons le jeu !» J’ai essayé… C’est de la merde ! Ce n’est même pas pensable ! J’ai dû essayer de lire un texte ou deux à ma douce, mais je m’étais mis dans une situation de spectateur, d’auditeur. Aucun plaisir, rien, affreux !

- Néanmoins, vous exprimez facilement vos révoltes et vos coups de gueule…
- Souvent, le verbe constitue un pare-feu, un repoussoir. C’est plus difficile d’exprimer des trucs en fermant sa gueule... Si je me laisse aller au silence, je deviens une sorte de bête visqueuse, un truc vicieux. Je me connais. En étant labial, verbal, prolixe, je sauve la vie des autres. Parce qu’ils ne me connaissent pas. Ma seule richesse, c’est d’avoir la conscience des choses. Même si ça ne plaît pas aux gens, je m’en fous. Je ne fais pas ça pour eux, mais pour moi. Il y a mes camarades de jeu, les musiciens, qui comprennent ne serait-ce qu’une partie de ce que je veux entendre, et il y a le reste du monde. Heureusement qu’il est là, puisque c’est le récepteur, voire le réceptacle, car il s’en prend plein la gueule ! Il m’énerve, ce monde à la con ! Il ne croit quand même pas que je vais me plier à ses œuvres. Je ne suis pas un mouton. L’arme, c’est de savoir parler, écrire, d’être éduqué. Des gens comme Desproges, voire Coluche, l'ont compris. Le mot «merde» a vraiment un sens. Il s’agit de se rapprocher de tous ceux qui ont eu la chance, sans se l’avouer, d’avoir été éduqués, avec beaucoup de pognon, et de leur pourrir leur vie en cassant leurs sales putains de certitudes à deux balles.

Médéric fait planer son cornet
 (DR)

- Etiez-vous déjà aussi révolté, quand vous étiez enfant ?
- Bah non, j’étais le plus sage des gamins ! C'est une évolution, un crescendo. J’aurais pu devenir un tueur à gages… C’est ce que je voulais devenir, à une époque. J'ai ressenti cela à la suite de la mort de mes deux grands-pères, survenue à quelques mois d'intervalle, deux ans après celle de mon père. Il est mort à 35 ans, trois jours après avoir été victime d’un accident vasculaire cérébral. Je l'ai découvert dans les toilettes. J’avais dix ans. Tout cela révolte un petit peu, surtout quand les choses se dégradent par la suite dans la famille. Cela peut rendre vachement critique.

- Votre notoriété dépasse largement les frontières du jazz. Votre vie correspond-elle à vos aspirations de jeunesse, lorsque vous avez décidé de vous consacrer à la musique ?
- En partie, oui... Sincèrement, j’imaginais que je gagnerais plus facilement ma vie. Mais la société a bien balourdé, jeté à la poubelle, les artistes de jazz notamment… Je ne suis pas aigri. Mais j’aurais aimé être plus à l’aise, car cela m’aurait permis de donner davantage aux autres. Pouvoir produire un disque en solo, et que je n'aie pas à m’arrêter à des interdictions des uns et des autres... Si un label dit «non», que je puisse dire «Je m’en fous, j’y vais», parce que je pourrais mettre 10.000 de plus... L’argent, c’est un outil pour fabriquer, faire naître plus de trucs. Si je n’avais pas ma chérie qui gagne bien sa vie, je ne pourrais même pas vivre à Paris.

Propos recueillis par A.Y.
 

Médéric Collignon & le Jus de Bocse en concert  "Hommage à King Crimson"
Mercredi 7 décembre 2011 au New Morning, 21H
7 & 9, Rue Petites Ecuries, Paris 10e - Tél. : 01 45 23 51 41

En concert au New Morning le 7 décembre 2011
 (DR)

Jus de Bocse quartet
Médéric Collignon : cornet à pistons
Philippe Gleizes : batterie
Frank Woeste : Fender Rhodes
Frédéric Chiffoleau : contrebasse

Octuor à cordes
- Youri Bessières, Anne Lepape (violons), Olivier Bartissol (alto), Valentin Ceccaldi (violoncelle) pour les "pros"
- Widad Abdessemed, Marius Pibarot (violons), Cécile Pruvot (alto), Matías Riquelme (violoncelle) pour les "semi-pros"
 

* «Porgy and Bess», chez Discograph
** «Shangri-tunkashi-la», chez Plus Loin Music
*** Sound Painting : genre de spectacle d’improvisations vocales, instrumentales, théâtrales, exécutées par un ensemble placé sous la direction d’un chef qui utilise des codes très précis

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