Le Sunset, club phare de la scène jazz à Paris, fête ses 40 ans : avant un concert-événement au Châtelet, son directeur se souvient
Le Sunset, célèbre club de jazz parisien, fête depuis décembre son 40e anniversaire, via une programmation festive et un concert en point d'orgue, le 28 janvier au théâtre du Châtelet. Pour franceinfo Culture, le directeur de l'établissement nous raconte une belle histoire de famille.
Une terrasse carrée sur la rue piétonne des Lombards, au cœur de Paris, et au fond, derrière un mur tapissé d'affiches de concerts, deux clubs dédiés au jazz, le Sunside au rez-de-chaussée et le Sunset en sous-sol. C'est ce dernier, mué en scène de jazz en 1982, dont Stéphane Portet, son directeur et programmateur, fête les 40 ans avec le concours d'amis musiciens, dont certains ont accompagné ses premiers pas dans le club, comme le pianiste Laurent de Wilde ou la saxophoniste Géraldine Laurent.
Le Sunset, c'est une affaire familiale dont Stéphane Portet a pris les rênes en 1993, le fondateur étant son père, Jean-Marc Portet. Aujourd'hui, l'établissement aux deux étages, ouvert sept jours sur sept, avec ses jauges de cent places par salle, s'est imposé comme l'une des plus importantes scènes du jazz à Paris.
Depuis le 17 décembre 2021, et jusqu'au 8 février 2022, le Sunset célèbre ses 40 ans avec une programmation incluant des artistes qui ont marqué son histoire. Le point d'orgue des festivités sera le concert organisé vendredi 28 janvier à Paris, au théâtre du Châtelet, à quelques dizaines de mètres de la rue des Lombards. Plusieurs personnalités du jazz y participent, parmi lesquelles l'organiste Rhoda Scott et les pianistes Yaron Herman et Jacky Terrasson. En attendant, Stéphane Portet nous raconte son aventure au Sunset.
Franceinfo Culture : Vous rappelez-vous de vos débuts au Sunset ?
Stéphane Portet : Je suis arrivé le 26 mai 1993, le jour de la finale de la Ligue des Champions entre Marseille et le Milan AC ! À l'époque, j'exerçais une activité qui me plaisait moyennement. Le Sunset était en pleine crise, il y avait des problèmes de personnel. Mon père s'est rendu compte qu'il se faisait voler. Il m'a demandé de lui donner un coup de main le temps de remettre le club sur les rails. Il n'avait pas compris que le jour où je mettrais les pieds là-dedans, ce serait pour la vie ! Au moment où je suis arrivé, il y a eu un changement total d'équipe.
Que faisiez-vous avant le Sunset ?
J'ai un parcours d'école de commerce. J'étais commercial pour une grosse société. Et à mes heures perdues, étant amateur de musique, j'étais DJ. Le week-end, j'allais mixer pour des soirées privées.
Vous êtes arrivé dans un club fondé par votre père... Racontez-nous ses premières années.
Avant le Sunset, le lieu s'appelait le Diable Vert. On a ouvert en 1976. Au début, c'était un restaurant. C'était la cantine de Coluche, du Théâtre du Splendid et de beaucoup d'artistes, on pouvait y dîner très tard dans la nuit... Par la suite, c'est devenu un genre de bar américain. En 1982, le Sunset a ouvert. Mon père n'a jamais été mélomane, il n'a pas une culture jazz mais il a toujours été quelqu'un à l'écoute. Si le Sunset est devenu un club de jazz, c'est grâce aux musiciens qui l'ont convaincu de transformer l'endroit à cet effet. Ils ont frappé à sa porte, et c'était la bonne porte ! C'est là que réside la belle histoire. C'est un lieu que les musiciens se sont approprié. Plusieurs années plus tard, le vendredi 13 octobre 2001, on a inauguré le Sunside.
Quel est le jour exact de l'inauguration du Sunset en 1982 ?
C'est une très bonne question, on ne retrouve pas le jour exact de l'ouverture ! Personne n'a été capable de nous donner une date précise... Comme mon père n'y connaissait rien en musique, la première année, la programmation reposait sur un collectif de musiciens qui jouaient non-stop. On n'envoyait pas de calendrier aux médias. Il y avait un groupe, Paname Fusion, dans lequel ont joué des gens comme Francis Lockwood, Didier Lockwood, Christian Vander, Paco Séry, Olivier Hutman... Puis mon père a engagé des programmateurs et les choses se sont organisées.
Quand vous avez repris le flambeau, avez-vous rapidement voulu imposer votre vision, apposer votre griffe ?
Cela a été immédiat. Avec ma culture un peu commerciale et marketing, j'ai tout de suite remodelé l'identité du lieu. Mais en termes de programmation, je me suis beaucoup laissé porter par les musiciens. Des artistes comme les frères Belmondo, Alain Jean-Marie, Simon Goubert, m'ont accueilli à bras ouverts. Il y avait aussi Julien Lourau, Henri Texier, Bojan Z... Je leur dois ma formation au jazz, ma culture dans cette musique. À mon arrivée au Sunset, le lieu était quasiment en liquidation, il fallait le redresser rapidement. Aussi, j'étais très à l'écoute de tout ce qui se disait, ce qui se passait. Les musiciens m'ont un peu formaté - dans le bon sens du terme. Tous les soirs, ils m'amenaient des disques nouveaux qu'on écoutait ensemble. J'ai vite compris qui étaient les artistes qui étaient tendance à l'époque et je me suis orienté vers eux. On les retrouve pour la programmation des 40 ans.
Cette initiation au jazz vous a permis d'esquisser des envies et désirs de programmation tournée vers une scène jazz française...
Exactement. L'ADN du Sunset, c'est de défendre le jazz français, les jeunes musiciens français. Ils sont nombreux dans ce pays, et c'est une mission pour moi de les aider à devenir un peu plus grands, plus importants. C'est la raison pour laquelle on a créé les Trophées du Sunside il y a presque quinze ans. C'est important de pouvoir découvrir les talents de demain.
Avez-vous quelques souvenirs qui vous aient particulièrement marqué ?
Il y en a tellement. Alors je vais juste évoquer ce souvenir de Sting qui est venu au Sunside en 2008 pour écouter un concert. Les musiciens l'ont vu et l'ont invité à les rejoindre. Il a fini assis sur un tout petit pouf au pied de la scène, recroquevillé comme un petit garçon, en train de chanter les morceaux les plus incroyables de son répertoire... C'est le genre de moment magique où tout d'un coup, vous dépassez le cadre du jazz. Sting est un Monsieur humble, d'une gentillesse incroyable. Quand des artistes de cette dimension viennent chez vous, cela veut dire que votre lieu est devenu une institution.
Quels artistes de jazz rêveriez-vous de voir se produire chez vous ?
Les grands artistes que je rêverais de voir jouer au Sunset ou au Sunside sont tous morts ! Mais si j'avais un rêve aujourd'hui, j'aimerais bien que des musiciens comme Herbie Hancock, Ahmad Jamal ou Sonny Rollins viennent faire un set chez moi. J'aurais tellement aimé voir Prince venir faire un bœuf, comme il l'avait fait au New Morning...
Que peut-on vous souhaiter pour les prochaines années ?
Aujourd'hui, mon rêve, c'est que cette histoire puisse perdurer encore longtemps, parce que c'est une saga familiale. J'ai 54 ans et un jour ou l'autre, je passerai la main. Je pense partir dans quelques années. Comme mes enfants sont trop jeunes et que tout cela n'est pas forcément leur tasse de thé, j'ai choisi mes associés. Je suis en train de les former à la culture Sunset !
Concert des 40 ans du Sunset
Vendredi 28 janvier 2022, 20H au Théâtre du Châtelet, à Paris
Avec Jean-Jacques Milteau, Sylvain Luc, Stéphane Belmondo, le trio de Jacky Terrasson, Yaron Herman, David El Malek, Étienne Mbappé, Rhoda Scott et son Lady All Stars... et des surprises
> À écouter : sur France Musique, Stéphane Portet était l'invité de l'émission Open Jazz d'Alex Dutilh entre le 27 et le 31 décembre, avec une thématique par jour autour des artistes programmés au fil du temps par le Sunset (les stars, les nouveaux talents, les valeurs montantes, la scène française, le futur immédiat)
> À lire : deux pages de souvenirs, parfois cocasses, de Jean-Marc et Stéphane Portet dans le Jazz Magazine de décembre-janvier
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