La péniche jazz "L'Improviste" rêve de jeter l'ancre
Il rêvait de racheter un club de jazz. Il s'est offert une péniche, lieu insolite dont il a su faire un rendez-vous chaleureux et prisé des amoureux du jazz. En 2007, Jean-Luc Durban, guitariste de formation et informaticien de métier, s'est associé à une poignée d'amis pour réaliser son voeu d'ouvrir un nouveau club de jazz dans la capitale. Six ans plus tard, ses partenaires ont vogué vers d'autres rives, mais lui est toujours là, tenant fermement la barre.
En cette fin juin, le patron de L'Improviste espère résoudre un problème lancinant, celui de la localisation de la péniche. Amarrée initialement sur le quai de l'Oise, mal desservi côté métro et juste ingérable en matière de stationnement, la péniche a été autorisée à s'ancrer, pour mai et juin, quai de Loire. D'ici quelques jours, Jean-Luc Durban espère être fixé sur un futur point d'ancrage plus central dans Paris, qui garantirait l'avenir de L'Improviste, belle salle de concert de 85 places, et son restaurant - pour une quarantaine de couverts - aménagé dans une salle panoramique, double activité pour laquelle il fait actuellement travailler cinq personnes à temps plein (dont un ingénieur du son) et un jeune à mi-temps en alternance (préposé à la communication).
La rencontre
Vendredi de grisaille pour la Fête de la musique, ce 21 juin 2013... L'occasion d'une petite visite guidée de la péniche la plus jazz de Paris par le maître des lieux, Jean-Luc Durban, quadragénaire posé et débordé, qui nous a fait partager quelques souvenirs, ainsi que ses espoirs et ambitions pour L'Improviste.
- Culturebox : Comment vous êtes-vous retrouvé propriétaire d'une péniche dédiée au jazz ?
- Jean-Luc Durban : J’ai acheté la péniche en juillet 2007. C’était une péniche de marinier qui transportait des céréales, très classique. Elle date de 1959 et était en très bon état. Ça s’est fait très vite, sur un coup de tête, c’était une affaire. Le précédent propriétaire ayant disparu, la famille voulait s’en débarrasser. Précédemment, j’avais dans l’idée d’ouvrir un lieu de jazz sur une salle en dur. Quand on a vu les prix sur Paris, on a compris que c’était juste impossible. On est alors parti sur l’idée d’avoir une salle de spectacle itinérante. Très vite, ça s’est aussi avéré impossible parce que ça répond à des normes draconiennes au niveau sécurité, administration fluviale... On a décidé de rester à quai et d’avoir une péniche-spectacle comme il en existe à Paris. On voulait dédier cette péniche au jazz. Il a fallu déposer un dossier pour avoir un emplacement sur Paris, ça a été long, il a fallu envisager des travaux, la péniche n’étant pas exploitable en l’état. Entre le moment où j’ai acheté la péniche et celui où on a démarré les travaux, il s’est passé un an et demi. Parce qu'il faut monter les dossiers, trouver le financement...
- Comment finance-t-on l'achat d'une péniche ?
- Oh, c’est très compliqué (rires) ! J’avais très peu de fonds au départ. Je suis allé voir les banques. J’ai dû essuyer une quinzaine de refus avant de tomber sur une banque qui accepte seulement de lire le dossier ! Parfois, les gens vous regardaient de la tête aux pieds en se demandant s’ils n’avaient pas un extra-terrestre en face d’eux… Rien qu’à l’idée d’acheter une péniche, ils commençaient à nous regarder de travers, et quand on leur disait en plus que c’était pour faire du jazz, alors là, c’était fini (rires), ils écoutaient par politesse… Finalement, je suis tombé sur une banque qui avait déjà financé ce type de projet et qui m’a soutenu. J’en ai pour un paquet de temps à rembourser...
- Combien de temps les travaux ont-ils nécessité ?
- Dès qu’on a eu le financement, on a commencé les travaux. Ils ont duré deux ans et demi, trois ans : toute la salle en bas, la super structure qui a été montée en haut avec la salle panoramique pour le restaurant, la terrasse... Tout cela passe par un architecte agréé, c’est assez surveillé, ce qui est normal. On a en charge des personnes, donc c’est une grosse responsabilité. Après avoir obtenu un emplacement auprès du Service des Canaux, on est finalement arrivé sur notre premier emplacement, quai de l'Oise, en juillet 2011, pour une ouverture en octobre.
- A-t-il été difficile de lancer l'activité musicale de L'Improviste ?
- J’avais déjà un réseau et je connaissais pas mal de monde, étant musicien de jazz à la base. Je suis guitariste. J’ai axé ma programmation en fonction des gens que je connaissais et de leurs qualités musicales. On a essayé de garder une ligne éditoriale à peu près fidèle jusqu’à présent, avec des musiciens qui proposaient des choses intéressantes et qui avaient une certaine actualité. On a voulu se démarquer de ce qui se fait ailleurs à Paris, programmant beaucoup d'artistes français, italiens, pas trop de musiciens américains, des musiciens en devenir aussi, et qui ont maintenant une actualité de plus en plus importante.
- On a fait un premier concert-test en septembre 2011 avec Tony Tixier (pianiste, ndlr). Ça l’a marqué parce qu’il en parle souvent ! C’était un très beau concert, il jouait avec Logan Richardson (saxophoniste) et il y avait une quarantaine de personnes dans la salle. J’ai beaucoup de temps forts en tête… Il y a eu Pierre Durand (guitariste de jazz, ndlr) qui était en résidence ici pendant un an, c’est un musicien incroyable. Avec lui, on a fait une projection cinéma sur Buster Keaton avec de la musique improvisée en direct. C’était fabuleux et je pense qu’on le refera. Il y a eu « Move is », avec le pianiste Bruno Angelini (avec le chanteur Thierry Péala et le saxophoniste Francesco Bearzatti, ndlr), une soirée fabuleuse également. Il y a eu un "focus" avec le saxophoniste Sébastien Texier, ainsi que l’enregistrement d'un live par son père, le contrebassiste Henri Texier, en décembre, qui était totalement imprévu. C’est la première fois qu’il jouait avec le batteur Louis Moutin. Comme notre ingé-son enregistre les concerts pour nos archives, Henri a demandé à l'écouter, il l'a trouvé super et a décidé d’en faire un disque. Il y a eu un concert incroyable avec le contrebassiste Sébastien Boisseau et le saxophoniste Matthieu Donarier, avec une grande qualité d’écoute dans la salle… On sent que les musiciens sont assez contents de l’acoustique. Et à partir du moment où ils sont contents, le public l'est forcément aussi. On reste sur cette vague pour l’instant, sachant que l’inconvénient de ce style musical, c’est qu'il ne draine pas les foules tout le temps... - Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées depuis les débuts de L'Improviste ?
- L’accessibilité. Ça commence à se régler en étant sur le bassin de La Villette, puisqu’il y a un nœud ferroviaire qui fait qu’on a trois stations de métro assez proches. En revanche, quand on était quai de l’Oise, de l’autre côté, il n’y avait qu’une station, il était impossible de se garer, beaucoup de gens qui avaient réservé m’appelaient pour me dire qu’ils tournaient depuis une heure en voiture et qu’ils rentraient chez eux... Ça nous a été fortement préjudiciable. Des gens qui aimaient bien le lieu, l’acoustique et la programmation ne venaient pas parce qu’ils savaient que c’était juste l’enfer pour venir. On a quand même dérouillé… Parallèlement à l’activité musicale, on a été obligé de nous diversifier. En 2011, on a loué la péniche pour des événements privés en journée, pour des entreprises, des particuliers, ce qui nous a permis de tenir financièrement. En décembre 2012, on a ouvert le restaurant. Face aux difficultés, comme on a la chance d’avoir une salle de spectacle qui se déplace, on est allé ailleurs. Depuis mai, on se trouve en situation transitoire.
- Où en êtes-vous au niveau de vos démarches ?
- Pour déplacer la péniche, il faut bien sûr demander des autorisations. Le service des Canaux nous a aimablement autorisés à venir sur le bassin de La Villette, sachant qu’il y a un nombre maximum de péniches qui est atteint actuellement. Nous sommes sur un emplacement provisoire qui sert normalement d’emplacement technique, et ça ne pourra pas excéder juin. À la fin du mois, on s’en va ! Et on ne sait pas encore où ! On a fait une demande pour le quai de Montebello, dans le 5e arrondissement, au pied de Notre-Dame. On attend la réponse de l’administration. C’est au Port autonome, qui régit tout ce qui touche la Seine, de décider.
- Difficile d'anticiper la saison prochaine dans ces conditions !
- On risque d’avoir à faire des travaux pour s’adapter aux hauteurs de quai, plus ou moins importantes selon l’endroit où on se situera dans Paris. Ici, dans le bassin de La Villette, le quai se situe quasiment au niveau de l’eau, à 40 ou 50 cm, alors que dans Paris, on peut avoir 3,50 mètres de dénivelé. Dès qu’on sera fixé, il va falloir être très réactif sachant qu’on arrive en période de vacances. La péniche sera sûrement en travaux tout juillet. Et rien n’est programmé pour l'instant côté musique pour août, seul le restaurant rouvrira. - Comment envisagez-vous la future programmation de L'Improviste ?
- Si on arrive sur le centre de Paris, on va peut-être devoir étoffer notre programmation en diversifiant nos offres et les styles musicaux. Cela ne me fait pas peur car il y a de très belles choses aussi dans le blues, le funk ou le rock. Donc, pourquoi ne pas dédier des journées à ces types de musique... C’est un lieu de musique live… On est un jazz club, mais finalement, on va sûrement enlever cette mention. Je pense qu’il faut maintenant élargir, dépasser ça. Certains groupes de rock, dans l’esprit, sont plus jazz que certains groupes de jazz. Donc on va plus tendre vers un site de musique live, et ça m’intéresse plus, quelque soit le style, même classique.
- N'est-ce pas un peu triste de se résoudre à gommer la mention "jazz" ?
- Oui, mais il y a un côté un peu suranné à parler de « jazz club », un côté qu’il faut dépoussiérer. C’est dommage, mais c’est peut-être typiquement français, on aime bien mettre les choses dans des petites cases, ça rassure. Il faut décloisonner tout ça. Pas mal de gens se disent à propos du jazz : « Ce n'est pas pour moi, c’est trop intello… » Et finalement, ce sont les mêmes qui disent après le concert, quand on arrive à les faire venir : « Bah, c’était super bien ! » Si on se présente comme un club de « musique live », c’est ouvert, les gens viennent, puis ils aiment ou pas, mais cela correspondra plus à l’âme du lieu.
- Avez-vous d'autres projets en tête ?
- On a le projet de monter une radio web à la rentrée, créer notre média, avec, une fois par semaine, une émission live avec interview d’artiste, une petite chronique... Les gens pourront se connecter et écouter le concert en direct. On a très envie de s’affranchir des contraintes inhérentes à la radio au niveau du jazz, où il n’y a qu’une ou deux stations. Sur le web, il y en a beaucoup plus, je pense que les gens y vont de plus en plus, c’est important d’y être présent et de créer quelque chose à notre patte. Et, pourquoi pas, créer un petit label de musique dédié à L’Improviste ? On pense aussi à un tremplin jazz : on va demander à des groupes émergents s’ils veulent bien venir jouer. On a trouvé des partenaires qui seraient prêts à nous aider financièrement pour leur trouver des prix, mais sans idée de concours ou compétition. Et plus tard, pourquoi ne pas organiser un festival ? Il faut toujours aller de l’avant, toujours proposer des choses...
(propos recueillis par A.Y. le 21 juin 2013)
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