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"Je ne voulais plus faire de musique torturée" : Laurent Bardainne & Tigre d'Eau Douce dans une virée soul ensoleillée avec l'album "Love is Everywhere"

Après avoir longtemps navigué entre jazz, pop, punk et électro aux côtés de nombreux artistes, Laurent Bardainne a sorti au printemps un premier album joyeux et solaire en son nom propre, à la tête d'un groupe au nom poétique : Tigre d'Eau Douce. Interview avant deux concerts à Nantes et Paris.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Le saxophoniste Laurent Bardainne, leader de Tigre d’Eau Douce (AGNES DHERBEYS / MYOP)

Saxophoniste, compositeur, producteur, réalisateur, Laurent Bardainne multiplie les projets et collaborations depuis plusieurs années. Il a fondé ou cofondé des groupes aux esthétiques variées - électro, pop, punk, jazz - comme Poni Hoax, Limousine (dont un nouvel album a été enregistré cet été) ou encore Lost, son projet avec la chanteuse Camelia Jordana. Il a travaillé avec Pharrell Williams, Philippe Katerine, Oxmo Puccino, Daniel Darc... Sur les scènes de musiques actuelles, on l'a vu briller aux côtés de Thomas de Pourquery, avec les groupes Rigolus et Supersonic.

À 44 ans, l'artiste breton - il est né le 14 septembre 1975 à Fougères - a sorti son premier album en leader d'une formation joliment nommée Tigre d'Eau Douce. Sorti le 24 avril 2020, en plein confinement, sur le label français Heavenly Sweetness, l'album Love is Everywhere propose une immersion dans un jazz très soul, joyeux, mélodieux, au groove chaleureux.

Pour ce projet très personnel, Laurent Bardainne s'est entouré des excellents Arnaud Roulin à l'orgue Hammond, Sylvain Daniel à la basse électrique, Philippe Gleizes à la batterie et Roger Raspail aux percussions. Le poète-chanteur londonien Anthony Joseph apporte sa voix sur l'ultime morceau de l'album, dont il a signé le texte. Et la fille du saxophoniste y fait aussi des apparitions furtives...

Laurent Bardainne & Tigre d'Eau Douce sont en concert vendredi 28 août aux Rendez-vous de l'Erdre et dimanche 30 août au Paris Jazz Festival, avant un passage au New Morning le 9 octobre.


Franceinfo Culture : Tout d'abord, la question Covid, comment avez-vous traversé ces derniers mois ?
Laurent Bardainne : On a vécu le confinement principalement à Paris, avec ma femme et ma fille de 6 ans. Vu qu'on était bloqués, il n'y avait plus le choix, plus matière à l'habituelle procrastination. On a décidé de faire une chose nouvelle par jour. Cette période a été l'occasion de me mettre au sport, de faire plein de choses avec ma fille, comme de la chimie... Chaque jour a été un jour nouveau. On s'est donné des défis, par exemple faire ma propre bière ! C'était super. Je me suis fait plaisir. Et en tant que musicien, j'ai vécu tout ça au jour le jour, dans l'attente des nouvelles.

C'est quoi, un tigre d'eau douce ? Pourquoi ce nom ?
C'est vraiment très enfantin. Ça se situe entre le "marin d'eau douce" du Capitaine Haddock et l'intérêt que j'avais, enfant, pour les félins. Ça symbolise quelque part la puissance, une certaine douceur et un peu d'humour.

Est-ce qu'on trouve aussi une réponse à cette question dans les commentaires en voix off du morceau Félin méchant ?
Il s'agit là de ma fille que j'ai "pitchée" [la vitesse de l'enregistrement a été modifiée] comme les voix anonymes qu'on entend dans certaines émissions de télé ! C'est elle qui me raconte son intérêt pour les chats et les félins !

J'ai lu que l'album avait été intitulé Love is Everywhere (c'est aussi le titre d'un des morceaux) en hommage au Facteur Cheval, icône de l'art brut, tout comme le morceau Le vent, les arbres, les oiseaux m'encouragent qui est une citation de l'artiste...
Oui, je crois qu'une de ses phrases dit "L'amour est partout", ou quelque chose comme ça. C'est d'ailleurs l'impression générale qui émane de son palais où il célèbre la vie et l'amour. J'ai "anglosaxonisé" la phrase pour que ça sonne mieux. Je passe souvent mes vacances dans la Drôme, je suis allé là-bas. L'art brut m'a beaucoup touché.

D'où sont venus le désir, la décision, de faire ce disque en votre nom ?
Je pensais depuis longtemps à enregistrer quelque chose sous mon nom. Il y a eu un cheminement naturel. Il était temps que je me remette à être leader d'un groupe, au saxophone. C'est quelque chose que je faisais beaucoup quand j'étais étudiant. Puis j'ai monté des groupes comme Limousine et Poni Hoax qui avaient des noms de groupes et des identités... Et avec la quarantaine, l'idée est revenue.

Quel était l'objectif, le mot d'ordre de ce projet ?
Je ne voulais plus faire de musique torturée comme j'en avais beaucoup fait avant. Je crois qu'il était temps - avec la paternité aussi - de vraiment prendre du plaisir, balancer de bonnes vibrations grâce à la musique. Étant disciple de Coltrane, je voyais son message selon lequel la musique pouvait être quelque chose de bénéfique pour les gens, et pouvait les aider à vivre mieux... Je me suis fixé cette charte musicale. C'est passé à travers le choix de l'orgue Hammond qui rappelle la musique soul et qui mélange aussi la musique d'église, sacrée, et la musique profane, de danse, le funk.

Hormis John Coltrane, quelles sont vos grandes sources d'inspiration chez les saxophonistes ? Ont-ils eu une influence dans l'écriture du disque ?
Je suis fan de tous les saxophonistes ténors de l'histoire, Coleman Hawkins, Ben Webster, j'irais même jusqu'à Stan Getz, Pharoah Sanders, Albert Ayler... Je les aime tous. Mais en tant qu'influences, je me suis davantage inspiré, pour les mélodies, de voix : Marvin Gaye, Bill Withers, des chanteurs black des années 60 et 70. Et je citerais même la chanteuse Sade en influence principale. Je l'écoutais quand j'étais petit. Je l'aimais beaucoup, je trouvais ce qu'elle faisait hyper sexy, très doux, très profond.

Dans quelles circonstances le disque a-t-il été écrit ? À l'occasion de voyages, par exemple, comme peut le laisser penser le morceau Kinshasa ? 
Kinshasa m'a été effectivement inspiré par un voyage avec Supersonic. On était à Brazzaville et on voyait le fleuve Congo, avec ses rapides incroyables et des vagues de quatre mètres de haut... De l'autre côté, on voyait une colline avec les lumières de Kinshasa en pleine nuit, c'était magnifique et effrayant. Il y avait toute une énergie que j'ai voulu retransmettre. On voyait des pirogues partir vers Kinshasa pour faire du commerce illégal. C'était tellement dangereux que chaque nuit, il y avait des gens qui ne revenaient pas.

Vous remontez sur scène ce week-end après une longue interruption du spectacle vivant. Avec votre groupe, dans quel état d'esprit abordez-vous ces concerts ?
Tous les musiciens sont au taquet pour travailler ! Avec le groupe, on a déjà eu l'occasion de jouer à Sète en juillet [Jazz à Sète a organisé une édition resserrée]. On était assez émus de rejouer. Mais on était encore plus émus d'observer l'enthousiasme et l'émotion des gens de revenir au concert. Ils faisaient la queue, il y avait un monde fou... On se rend compte à quel point les gens ont besoin de musique. C'était très touchant.

Laurent Bardainne & Tigre d'eau douce en concert
Vendredi 28 août 2020, Nantes, Rendez-vous de l'Erdre, 18h
Dimanche 30 août 2020, Parc floral de Paris (bois de Vincennes), Paris Jazz Festival, 16h
Vendredi 9 octobre 2020, Paris, New Morning, 20h et 22h

Laurent Bardainne : saxophone ténor, composition
Arnaud Roulin : orgue Hammond
Sylvain Daniel : basse électrique
Philippe Gleizes : batterie
Roger Raspail : percussions

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