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Interview Tony Allen fusionne le jazz et l’afrobeat dans "The Source"

L’illustre batteur nigerian Tony Allen, ancien compagnon de route de Fela et cofondateur de l’afrobeat, a réalisé un vieux rêve en rejoignant en début d’année le prestigieux label de jazz Blue Note. Après un EP - un mini album - en hommage à Art Blakey, il vient de sortir à 77 ans un splendide disque, "The Source", qui synthétise ses influences. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le batteur Tony Allen (2017)
 (Universal / Decca / Blue Note)

Natif de Lagos, Tony Allen, qui fut le batteur et le directeur musical de Fela Kuti entre 1968 et 1979, vit en France depuis une trentaine d’années. Rien d’étonnant à ce que le cofondateur de l'afrobeat - mélange irrésistible entre jazz, funk et musiques, rythmes et chants d'Afrique de l'Ouest - ait pris l’habitude de s’entourer d’artistes hexagonaux.

Pas moins de onze musiciens ont participé à The Source, parmi lesquels des fidèles de Tony Allen comme le saxophoniste Yann Jankielewicz, co-compositeur et arrangeur du disque, le claviériste Jean-Philippe Dary ou le guitariste Indy Dibongue. Il y a aussi deux brillants invités, le tromboniste Daniel Zimmermann qui ouvre avec maestria le disque, et le saxophoniste Rémi Sciuto, et enfin et une ultime guest-star, le Britannique Damon Albarn (Blur, Gorillaz...), vieil ami de Tony Allen, au piano sur un morceau.

Album complètement instrumental contrairement à ce à quoi Tony Allen nous avait habitués, The Source a été enregistré à Paris en analogique, puis mixé à Londres. Avec l’essentiel du casting du disque, Tony Allen avait par ailleurs lancé au printemps un EP consacré au batteur Art Blakey, la plus grande influence de sa carrière. Sorti le 8 septembre 2017, The Source marque la rencontre réjouissante entre l’afrobeat que le batteur incarne depuis des décennies et le jazz nord-américain qui l’a nourri depuis son adolescence.

Quand j'avais 17, 18 ans, c'est dans les disques Blue Note que j'ai trouvé ma plus grande inspiration

Tony Allen


- Culturebox : Dans le texte de présentation de l’album, votre premier sur le label Blue Note, The Source est décrit comme l’accomplissement d’un rêve d’enfant…
-  Tony Allen : Ce disque est différent de tous mes travaux précédents. Je dis que c’est du jazz, mais ce n’est pas du jazz contemporain ou des standards. C’est du jazz à ma façon. Ma manière de faire du jazz a été appelée afrobeat. Quand on parle de jazz, le meilleur label en la matière, c’est Blue Note. Quand j’étais en Afrique, à l’âge de 17, 18 ans, c’est dans les disques Blue Note que je trouvais ma plus grande inspiration. Mon idole Art Blakey était sur Blue Note, mais il n’était pas le seul. De nombreux musiciens américains de jazz ont enregistré sur ce label, comme John Coltrane, Miles Davis, Herbie Hancock...

- Comment le rêve de travailler avec Blue Note s’est-il concrétisé ?
- Je dis toujours que chaque chose arrive quand c’est le bon moment. À l’époque où je tentais de me rapprocher de Blue Note, ça n’a jamais marché. Puis le temps a passé. Et en fin de compte, c’est eux qui m’ont proposé de travailler avec eux. J’étais en train d’enregistrer un nouveau répertoire. J’étais encore avec mon ancien label qui était en plein bouleversement et j’étais en désaccord avec certaines choses. Avant d’entrer en studio, en 2016, j’ai joué le répertoire de l’album à La Villette afin de voir comment les gens y réagiraient. Ça s’est bien passé. Blue Note était là. Ils ont appelé mon manager.

Vous avez écrit les musiques avec le saxophoniste Yann Jankielewicz, votre complice de longue date. Comment vous êtes-vous partagé le travail de composition et d’arrangement ?
- Il s’agissait de faire un disque dans lequel je ne chanterais pas, sans aucune voix, un album complètement instrumental. J’ai beaucoup chanté par le passé. C’est fini, je suis fatigué, je ne veux plus chanter. Désormais, je ne veux faire que de la musique instrumentale. Pour écrire la musique, j’ai travaillé avec Yann dans son home studio, on a fait de la programmation, je construisais peu à peu la musique, j’écrivais d’abord sur ordinateur toutes les parties : batterie, claviers… J’ai écrit la partie des cuivres et Yann en a fait les arrangements. Sa mission consistait à remplir les espaces que j’occupais auparavant quand je chantais. Et il a fait du bon travail.

- Pourquoi le choix d’un enregistrement analogique ? Pour vous rapprocher du son Blue Note ?
- Bien sûr. La plupart des enregistrements du label sont analogiques et n’ont rien à voir avec les ordinateurs, le son digital. Le digital, c’est bien pour enregistrer, mais quand vous connaissez le son, vous connaissez la grande différence entre le CD et le vinyle. Dans le second cas, la lecture se fait avec un stylet qui est en contact direct avec le disque, et le son est complètement différent. Seul le vinyle permet de vraiment ressentir les "vibes", les vibrations. Si vous voulez vraiment faire du jazz, je crois qu’il faut du son analogique.

- Dans quelles conditions se sont passées les séances d’enregistrement ?
- Dans les conditions du concert, en une prise pour chaque morceau. Nous n’avons pas recours à l’overdubbing [ndlr : le re-recording, réenregistrement de pistes pour les ajouter sur des pistes existantes]. Il m’est très difficile de faire deux prises. Si je dois en faire une deuxième à la demande de quelqu’un, il s’avère que la première prise reste la meilleure. Alors je ne veux pas perdre mon temps ! Je demande à mes musiciens d’être prêts le moment venu. L’ingénieur du son doit avoir mis en place de bonnes conditions de captation. Si tout le monde est prêt, alors je dis aux musiciens : "Ok. On y va pour une prise." Après, c’est fini. La seule chose qui me ferait revenir sur un morceau enregistré, ce serait un problème de son.

- J’ai lu qu’avec Yann Jankielewicz, vous aviez trouvé votre inspiration en écoutant ensemble Lester Bowie, Charles Mingus, Art Blakey, Gil Evans…
- Ça me fait venir des pensées, des ressentis… La plus grande partie de mon travail vient comme ça : j’écoute différentes musiques et ensuite, ma propre musique va en sortir. Il faut éviter que cela ressemble à ce que vous écoutez. Il s’agit juste d’avoir des ressentis : "Oh, ça c’est un bon mouvement… Je pense que je pourrais faire quelque chose autour de ce cercle…" Si je puise mon inspiration des autres, je ne les copie pas, je ne reproduis jamais ce qu’ils font. Vous ne pouvez jamais savoir d’où vient mon inspiration.

Avec Damon Albarn, c'est plus que de l'amitié. C'est comme la famille


- Damon Albarn, avec qui vous avez travaillé sur divers projets depuis environ douze ans, participe au disque. Racontez-nous cette relation au long cours.
- Regardez mon dernier album [ndlr : Film of Life, Jazz Village, 2014]. La chanson Go Back témoigne de cette relation. Nous bâtissons notre propre travail commun. Nous avons fait The Good, the Bad and the Queen [un groupe et un album sorti en 2007 avec Paul Simonon, bassiste de Clash, et Simon Tong, guitariste de The Verve], puis Rocket Juice and the Moon [un album est sorti en 2012 avec Flea, bassiste de Red Hot Chili Peppers]. Puis Damon est venu participer à Film of Life. Je lui ai dit : "Tu dois venir chanter." Il a répondu : "Qu’est-ce que tu veux que je chante ?" "Je ne sais pas, commence par venir au studio." Alors il a demandé : "Quel est le thème ?" [Il soupire] J’ai répondu que le thème, c’était les migrants. Il a voulu chanter quelque chose à leur propos. Il a écrit le texte, il l’a appelé "Go Back". Ils veulent tous venir ici dans l’espoir d’une vie meilleure. Mais ils ne savent pas ce qui se passe. Ici, il y a aussi des problèmes. Quand ils viennent, ils ne trouvent pas d’endroit où vivre, ni de travail.

- Comment Damon Albarn s’est-il retrouvé sur The Source à jouer du piano sur le morceau Cool Cats ?
- J’étais à Londres pour le mixage de l’album. Nous n’étions plus en train d’enregistrer, mais Damon a appris que j’étais en ville, en studio. Je lui ai proposé de me rendre visite. Il est passé avec les membres de Gorillaz et de The Good, the Bad and the Queen. Tout le monde a investi le studio et Damon a demandé à écouter la musique. Puis il a voulu jouer quelque chose. Nous n’étions pas prêts pour un quelconque enregistrement. J’ai dit : "Vincent [ndlr : Taurelle], Bertrand [Fresel, les producteurs de l’album], Damon veut jouer, mettez en place des claviers pour lui." C’est mon ami, vous savez. C’est plus que de l’amitié, c’est comme la famille. Comme mon frère. Je connais ses parents, je connais tout le monde. J’ai rencontré son père, il m’a dit : "Vous n’emmenez pas Damon au Nigeria ?" J’ai dit : "Pourquoi pas ?" Depuis, nous sommes allés à Lagos, quatre fois déjà !

- L’album The Source s’achève par un morceau au titre très optimiste, Life is beautiful… Avez-vous choisi seul les titres des différents morceaux ?
- Oui. Je choisis les titres après-coup. C’est un travail qui prend du temps. Il faut réécouter les morceaux plusieurs fois, et on m’a demandé de faire vite. Je m’en suis occupé chez moi. Ma femme a fait des suggestions. Le titre "Life is beautiful", c’était son idée. Je savais déjà que ce morceau conclurait le disque.

- Et vous, pensez-vous que la vie est belle ?
- Non, ce n’est pas ce que je ressens. J’essaye juste d’écrire des musiques qui vont le dire, des musiques qui vont donner le sentiment, au moment où on les écoutera, que la vie est belle.


Tony Allen en concert en France
Vendredi 20 octobre 2017 au Tourcoing Jazz Festival
Mardi 14 novembre à Tours, Festival Émergences
Jeudi 7 décembre à Angoulême
> L’agenda-concert de Tony Allen

Tony Allen “The Source” (Blue Note / Universal)
Avec Tony Allen (batterie), Yann Jankielewicz, Jean-Jacques Elangué et Rémi Sciuto (saxophones), Jean-Philippe Dary, Vincent Taurelle, Damon Albarn (claviers), Nicolas Giraud (trompette, bugle), Indy Dibongue (guitare), Mathias Allamane (contrebasse), Daniel Zimmermann (trombone, tuba)
- Tony Allen, EP digital et vinyle “A Tribute to Art Blakey and The Jazz Messengers” (Blue Note / Universal)

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