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Cécile McLorin Salvant, virtuose du jazz vocal, en tournée en France

Avec son troisième album "For one to love" paru à la rentrée, la chanteuse franco-américaine Cécile McLorin Salvant confirme avec éclat son statut de nouvelle star du jazz. Nommée aux Grammy Awards en catégorie "meilleur album de jazz vocal", acclamée en septembre à Jazz à la Villette, elle est en tournée en France du 9 au 27 janvier, avec un passage à Paris, au New Morning, le 10. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Cécile McLorin Salvant
 (Mark Fitton)

- Culturebox : Vous présentez votre dernier album, "For one to love" comme le plus personnel que vous ayez réalisé depuis que vous chantez. En quoi est-il si personnel ?
- Cécile McLorin Salvant : D'abord, cinq chansons du disque, soit presque la moitié, sont mes compositions, pour lesquelles j'ai également écrit les textes. Ces chansons sont complètement autobiographiques et parlent de choses, de sentiments, que j'ai vécus. Ensuite, j'ai enregistré ce disque avec le groupe avec lequel je tourne depuis des années. Non seulement on se connaît très bien musicalement, mais on est aussi amis. On partage plein de choses, des secrets, des expériences. La couverture de l'album est aussi très personnelle : je l'ai réalisée moi-même, chez mes parents, avec ma sœur qui m'a aidée à l'imprimer. Pour le livret, j'ai écrit à la main toutes les paroles de mes chansons, illustrées de mes dessins. La photo à l'arrière du disque a été prise dans mon appartement, à Harlem, par un jeune homme avec qui je suis allée à l'école. Ça reste dans la famille, il y a quelque chose d'intime à chaque niveau de l'album.

- Vous présentez vos compositions comme des pages de journal de bord, de journal intime… Or elles sont assez tristes !
- Oui. Mais je pense qu'il y a toujours de la lumière, de la légèreté, j'essaye toujours de trouver de l'humour. Une des chansons que j'ai écrites, "Left over", dans laquelle je chante et joue du piano, parle d'une histoire d'amour impossible avec quelqu'un. À un moment, j'explique que j'aimerais quand même remercier la femme qu'il aime parce qu'elle lui donne son sourire... Pour moi, c'est presque un moyen de rire de tout ça, d'essayer de trouver un peu de lumière dans une situation frustrante, désespérante, mais aussi totalement banale. Tout le monde vit des histoires d'amour impossibles.


- Les textes de vos chansons sont en anglais. Sur scène, vous reprenez avec brio des succès de Barbara, Damia... Envisagez-vous d'écrire des chansons en français ?
- C'est malheureux parce que je sais que j'ai peur d'écrire en français. Je commence à le faire. J'attends un peu, je teste des choses. Ce pas est aussi difficile à franchir que l'a été celui de chanter en français. Maintenant, je suis accro à ça ! Parfois, lors de mes concerts en France, des gens se plaignent car ils trouvent qu'il y a trop de chansons en français ! Les paroles comptent tellement pour moi, c'est si important de raconter ces histoires. Alors, si le public comprend les paroles, c'est encore mieux. Quand je viens en France, j'ai envie de rendre hommage à cette belle langue, à ces chansons, certaines sont incroyables. Je trouve étonnant que dans le public français, certains ne veuillent pas les entendre. On a presque honte de sa propre langue, de sa culture, de son patrimoine, c'est dommage.

- Parmi les chanteurs français en activité, y en a-t-il qui vous aient touchée ?
- J'aime beaucoup Juliette. Qu'il s'agisse de ses chansons, de sa présence sur scène, même si je n'ai vu que des vidéos de ses concerts, ou de sa voix, je la trouve incroyable. Je ne connais pas beaucoup de chanteurs français aujourd'hui, mais quand j'entends Juliette, je suis vraiment émue.

- Envisagez-vous de faire un disque entièrement en français ?
- Absolument. J'y réfléchis. J'aimerais le faire dans les années qui viennent, idéalement avec un groupe de musiciens américains et français, dans une assez grande formation. Avec des compositions personnelles en français. J'ai commencé à essayer d'écrire des choses, mais pas encore la musique. Il faut que je prenne le temps de comprendre ce que je fais, ce qu'il ne faut pas faire… Le disque serait centré sur la chanson réaliste des années 30, peut-être le café-concert. Il tournerait surtout autour de Damia, Fréhel, avec peut-être un peu d'Erik Satie.


- Revenons à votre disque. Outre vos cinq compositions, avez-vous choisi les sept standards et reprises en concertation avec votre groupe ?
- Non. C'est toujours mon choix. Le groupe refuse presque de choisir des chansons quand je le lui propose ! Mais j'aime toujours faire des recherches, fouiner, pour découvrir, écouter des chansons que je trouverais intéressantes, qui ont quelque chose. C'est très agréable et amusant, même si ça prend du temps.

- Vous adorez le son acoustique et vous avez poursuivi dans cette voie avec "For one to love", enregistré dans les conditions du live…
- Tout le disque a été enregistré en live, sans overdub. Pour une chanson toutefois, sur une note que tout le groupe aurait dû jouer en même temps, on a recalé le piano et la basse qui étaient légèrement en retard par rapport à la batterie. Ça a été le gros clash de la session d'enregistrement ! Je voulais qu'on garde cette erreur. Mais on me disait : "Ça sonne mieux !" J'ai fini par accepter. À un autre moment, on a enlevé le son de la contrebasse qui ne devait pas jouer sur un endroit précis. Pour tout le reste, on a des prises entières dans les conditions du live. En studio, je voulais qu'on soit dans la même pièce afin de jouer encore plus dans cette ambiance. Il y a eu peu de prises. On a enregistré pendant trois jours, de midi à 17h à chaque fois. On tourne ensemble depuis longtemps, on avait répété plusieurs semaines auparavant, on était plus ou moins prêts.

- À quand un "vrai" album live ?
- Je pense qu'on va essayer d'enregistrer le prochain album, avec de nouvelles chansons, dans un club new-yorkais, courant 2016. New York, c'est chez moi et il n'y a rien de mieux que de pouvoir chanter, puis rentrer le soir chez soi, et recommencer le lendemain. C'est un luxe incroyable.


- Parallèlement à la scène, vous avez une passion pour la peinture et le dessin au point d'illustrer vous-même vos disques, mais aussi votre site internet et vos comptes sur les réseaux sociaux…
- J'ai toujours aimé dessiner. J'hésitais à me lancer car ma mère et ma sœur sont très fortes et savent faire plein de choses ! Ma mère connaît le crochet, le point de croix, elle fait de la dentelle, des robes, de la peinture à l'huile, de la sculpture, des meubles... Ma sœur fait aussi de la sculpture… Je me disais : "À côté de ça, comment vais-je pouvoir apporter ma contribution ?" Je dessinais dans mes cahiers à l'école. Puis j'ai arrêté. Et un jour, en tournée, ça m'a pris de dessiner sur un coin de page. Puis j'ai pris un cahier. Puis j'ai commencé à m'intéresser à l'aquarelle, à l'encre japonaise… Ça a commencé à faire partie de ma journée… J'étais presque plus obsédée par ça que par la musique !

- En deux ou trois ans, tout s'est énormément accéléré pour vous. Aujourd'hui, vous êtes considérée comme l'une des plus grandes représentantes du jazz vocal. Vous attendiez-vous à ce que votre carrière de chanteuse de jazz prenne un tel envol ?
- Non, puisque je ne m'attendais même pas à être chanteuse de jazz. Tout n'a été que surprise après surprise. Je suis étonnée... Pour ce disque, on a fait ce qu'on voulait et on l'a fait presque pour nous, avec la musique que l'on avait envie de faire. On se disait que si les gens n'aimaient pas, nous serions un peu déçus mais l'important était que nous soyons contents. Je crois que je n'ai jamais vraiment pu dire ça sincèrement à propos de quelque chose que j'ai fait. Ce disque-là, je peux presque l'écouter sans trop souffrir...

- Vous avez tant de mal à vous écouter !
- Ce n'est même pas à cause des imperfections, c'est l'approche, le concept… Je me dis : "C'est n'importe quoi, je suis à côté de la plaque, c'est nul…" Je sais que c'est dans ma tête. Je suis dure avec moi-même, ça me fait avancer. C'est pour ça que j'essaye de ne pas trop m'écouter car sinon, c'est la spirale vers… Il ne vaut mieux pas ! Il vaut mieux que je passe du temps à chanter - ce que j'aime faire - et que je partage ce temps avec d'autres. Si je peux presque écouter ce disque, ça veut dire qu'on s'approche de quelque chose de très authentique, pas loin de la musique que j'ai dans la tête. À partir de là, apprendre que d'autres personnes l'ont entendu et pensent que c'est bien, c'est du bonus. J'ai l'impression d'avoir une chance énorme.


- Dans l'album "For one to love", vous reprenez des chansons de comédies musicales, dont un impérial "Something's coming" (extrait de "West Side Story")...
- Depuis que je suis toute petite, j'adore la comédie musicale. Je puise de plus en plus dans ce répertoire. Au point où récemment, un New-Yorkais qui a assisté à notre concert nous a charriés gentiment en nous disant que nous faisions du cabaret post-moderne ! Si un jour j'ai l'occasion de chanter dans une comédie musicale, je lâche tout et j'y vais !


Cécile McLorin Salvant en tournée en France du 9 au 27 janvier 2015
À Quimper, Paris, Arras, Albi, Narbonne, Onet-le-Château, Chalon-sur-Saône, Cholet, Saind-Cloud, Montrouge, Athis-Mons, Rouen, Beauvais
> Son agenda-concert et les liens des différentes dates

Cécile McLorin Salvant : chant
Aaron Diehl : piano
Paul Sikivie : contrebasse
Lawrence Leathers : batterie

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