Branford Marsalis et Kurt Elling, tandem royal dans l'album "Upward Spiral"
Membre d’une famille de musiciens, Branford Marsalis est né le 26 août 1960 au Pont Breaux, en Louisiane. Ses quatre frères sont jazzmen, à l'instar de Wynton Marsalis, son cadet d'un an, célèbre trompettiste. Son père Ellis est pianiste, sa mère Dolores chanteuse.
Branford Marsalis partage sa carrière entre le jazz et la musique classique. Il a fait aussi des incursions dans le rock (dans plusieurs disques de Sting, mais aussi avec Grateful Dead).
Côté jazz, depuis trente ans, il anime un quartet. La formation actuelle se compose du pianiste Joey Calderazzo (depuis 1999, à la suite de la mort de Kenny Kirkland), du bassiste Eric Revis (depuis 1996) et du batteur Justin Faulkner (depuis 2009). Sorti le 10 juin chez Okeh, le nouvel album du quartet, "Upward Spiral" compte un invité : le célèbre chanteur de jazz Kurt Elling, 48 ans, originaire de Chicago. Au menu, des reprises de Gershwin, Jobim, Sonny Rollins, Sinatra, Fred Hersch, Chris Whitley ou Sting, une chanson co-signée Marsalis-Elling et une improvisation sur un poème de Calvin Forbes. Un disque brillant, parfois mélancolique, voire sombre, porté par un groupe de cinq artistes en osmose, au sein duquel personne n'est mis en avant.
Le quartet de Branford Marsalis et Kurt Elling se produisent lundi 27 et mardi 28 juin au New Morning. Ces soirées donnent le coup d'envoi du festival "All Stars" de la salle parisienne qui fête ses 35 ans.
- Culturebox : Comment l’idée d'inviter un chanteur, en l'occurrence Kurt Elling, sur un projet du quartet, a-t-elle germé ?
- Branford Marsalis : Tout est parti d’une de ces conversations idiotes… Celles où on pose des questions improbables du genre : "Si tu devais te faire amputer d'une partie de ton corps, que choisirais-tu ? Tu préférerais perdre un œil ou un bras ?" C’est comme ça que Joey Calderazzo a lancé : "Si tu devais faire un disque avec un chanteur, qui choisirais-tu ?" J’ai répondu tout de suite : "Kurt Elling." Il a répliqué : "Mais pourquoi ?" J’ai dit : “Parce qu’il chante toujours juste, parce qu’il fait partie des rares chanteurs de jazz qui sonnent vraiment comme un chanteur de jazz et qui aient un vocabulaire jazz." Joey est allé voir sur YouTube et il a regardé tout ce qu’il a pu trouver sur Kurt. Le lendemain, il m’a dit : “J’ai regardé des vidéos de Kurt jusqu’à 4h du matin. Il est incroyable. On devrait faire un disque avec lui."
- Et cela a donc lancé le projet.
- Non, pas tout de suite... Quelque temps plus tard, au printemps 2013, j’étais membre du jury lors du concours du Thelonious Monk Institute en catégorie saxophone. Je traînais au bar avec un ami à Washington. Il m'a dit : "Regarde ! Il y a Kurt Elling, assis juste là !" Je suis allé le voir : "On parlait de toi il y a quelques mois. On devrait faire un disque ensemble !" "Ok, cool !", a-t-il répondu. Puis l'année 2014 a filé. Début 2015, Kurt m'a envoyé un mail : "Étais-tu sérieux à propos du disque ?" Je lui ai dit que je travaillais sur beaucoup de musique mais j'ai proposé que nos managers se mettent en contact pour s'organiser. En mars 2015, mon manager m'a appelé : "On enregistre en décembre !" Comme j'étais très occupé avec un projet en musique classique, on ne s'est penché sur le répertoire qu'à la mi-novembre. On a enregistré à la Nouvelle-Orléans.
- Comment les morceaux du disque ont-il été déterminés ?
- Tout le monde est venu avec des idées de morceaux, les membres du quartet ont apporté des chansons qui me plaisaient. En revanche, Kurt a proposé des choses sur lesquelles je n'accrochais pas. Il a été assez frustré... Mais ce n'est pas grave. En fin de compte, il a fini par trouver des musiques formidables !
- Le répertoire est très ouvert, du jazz à la pop, en passant par la comédie musicale. Vous avez repris un titre de Sting, avec qui vous avez beaucoup travaillé par le passé...
- La chanson de Sting "Practical Arrangement" a été écrite initialement pour une comédie musicale, elle est très belle, c'est vraiment un morceau incroyable. Je ne travaille plus avec lui ces temps-ci. Mais dès qu'il a besoin de moi, qu'il m'appelle et j'en serai heureux.
- Il y a aussi des compositions signées de vous ("Cassandra Song") et du pianiste Joey Calderazzo ("The Return"), pour lesquelles Kurt Elling a écrit des paroles.
- Joey a écrit le morceau final, "The Return", pour le disque. En revanche, "Cassandra Song" est une reprise d'une de mes anciennes compositions ("Cassandra", sortie en 1998 dans l'album "Requiem", ndlr). Quand Joey a joué ce vieux morceau devant Kurt, celui-ci s'est écrié : "On devrait le reprendre !" Je ne le souhaitais pas mais ils étaient très motivés. Je ne peux pas toujours avoir le dernier mot ! En vérité, au début, je voulais écrire des chansons pour ce disque. Ça me paraissait très intéressant d'écrire pour un chanteur. Mais j'avais été accaparé par mon projet parallèle, très compliqué, en musique classique, et je n'en avais pas eu le temps. Je m'étais fait à l'idée que je n'apporterais aucune chanson à cet album.
Je pense que je me situe à l'opposé de plein de gens qui feraient tout pour placer leur musique dans un disque. Ce n'était pas important pour moi, mais à partir du moment où les gars ont insisté pour reprendre ce titre, j'ai accepté. Quand je pense à tous les musiciens qui se disent compositeurs. Je ne suis pas compositeur. J'écris des musiques, des morceaux.Je ne suis pas compositeur. J'écris des morceaux.
- Est-ce le travail que vous faites en musique classique qui vous a inspiré cette distinction ?
- Non, je pense que c'est juste quelque chose de bizarre... Sting a écrit certaines des plus belles musiques du monde, et il est considéré comme un song-writer. Nous, en jazz, on écrit des morceaux sur douze mesures ! Parfois moins ! On n'écrit pas vraiment des compositions. Et parfois, ce qu'on considère comme des œuvres de composition n'est pas de grande qualité... Je ne sais pas si c'est le cas dans la langue française, mais en anglais, on utilise tout le temps les mots en dehors de leur contexte, ça nous aide à nous sentir mieux par rapport à nous-mêmes. Je n'ai aucun problème avec le fait de dire que je ne suis pas compositeur. Je me suis fait cette réflexion avant de commencer à jouer de la musique classique. Quand j'avais commencé à en écouter, je m'étais interrogé : "Si moi, je suis compositeur, alors comment faut-il qualifier Mahler ? Il faut lui trouver une nouvelle désignation, parce qu'on ne fait certainement pas la même chose !"
- Comment les arrangements des morceaux ont-ils été réalisés ?
- C'est le groupe qui crée les arrangements, la forme, pendant les sessions en studio, à partir des mélodies et des accords.
- Je crois savoir que c'est important pour vous de conserver telle quelle la mélodie d'un morceau que vous reprenez, sans éprouver le besoin de la triturer, la déconstruire...
- Souvent, les artistes éprouvent un sentiment d'insécurité. On essaye toujours de faire des choses qui nous aideront à nous sentir spécial, différent. On va prendre par exemple un morceau de George Gershwin et on va le réharmoniser. Et les musiciens vont dire : "Le morceau est meilleur maintenant !" Gershwin écrivait de la musique pour gagner sa vie. Il passait des heures sur chaque morceau. Chaque accord qu'il écrivait était le meilleur possible. Si votre méthode est si parfaite, alors écrivez vos propres morceaux ! Pourquoi l'imposer à ceux des autres ? La plupart du temps, avec le quartet, on conserve les harmonies originelles. On change peut-être un accord ici ou là, mais on veille à respecter le compositeur.
- Les morceaux du disque sont plutôt courts, équilibrés, avec des parties d'improvisations assez brèves...
- Si ce n'était pas le cas, cela irait à l'encontre du projet qui consiste à intégrer un chanteur. Il était nécessaire de répartir équitablement les parties solos au sein du disque.
- Vous êtes plus qu’un quartet de musiciens, vous êtes un groupe d’amis. Est-ce que vous vous voyez régulièrement en dehors de vos engagements musicaux ?
- Non, parce que nous ne vivons pas au même endroit. Seul Joey Calderazzo, le pianiste, habite à cinq minutes de chez moi. Je vis à Durham, en Caroline du Nord. Du coup, on se voit souvent. Eric Revis, le bassiste, vit à Los Angeles, alors que Justin Faulkner, le batteur, habite à Philadelphie.
- Du coup, comment se passent les sessions d'enregistrement ? Est-ce que ce sont des moments joyeux comme des retrouvailles ? Ou des moment de grande concentration ?
- Il y a des moments sérieux, des moments amusants... Et on crie pas mal ! Au point où Kurt a demandé : "Ça se passe toujours comme ça ?" Je lui ai répondu que quand on s'entoure de grands musiciens, avec de fortes personnalités, il y a forcément des clashes. Puis on se calme et on joue, et ça passe. Ça fait partie du processus. Et à la fin de la journée, c'est moi qui prends les décisions. Si ça me posait un problème, je choisirais des musiciens avec des caractères plus faibles, mais on ferait de la moins bonne musique... Je suis ravi du résultat final de ce disque. C'est l'un des premiers albums que j'aie plaisir à écouter et réécouter. C'est surtout lié à tout ce que les musiciens ont accompli. J'en suis très fier.
Branford Marsalis Quartet et Kurt Elling en concert à Paris
Lundi 27 juin, mardi 28 juin 2016 au New Morning, 21H
7-9, rue des Petites-Écuries, 75010
Pour les anglophones : les musiciens présentent "Upward Spiral"
Branford Marsalis : saxophones
Joey Calderazzo : piano
Eric Revis : basse
Justin Faulkner : batterie
Invité spécial : Kurt Elling
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